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La revue n° 42 Éditorial

Éditorial

La littérature des manifestes

Dès mes premiers contacts avec la littérature d’avant-garde j’ai été surpris par une caractéristique de cette littérature.  Aujourd’hui je crois que cette particularité est encore plus importante que ce que je lui ai concédé au commencement. Dans mes articles j’avais parlé quelques fois, en passant, sans insister, de cette particularité. En quelques mots, il s’agit d’une caractéristique qu’on peut remarquer facilement. Grâce au grand succès des avant-gardes historiques, succès amplifié par la critique, les matériaux fournis de ce chapitre de l’histoire littéraire sont cités dans les dernières années sans cesse, comme une puissante obsession. Donc, il ne s’agit pas d’une réalité trop peu connue. Tout au contraire. Quand-même, en dépit de cette super-circulation on n’a pas souligné suffisamment l’existence de deux grands chapitres de la littérature d’avant-garde : la littérature des écrits d’avant-garde proprement-dits, d’une part, la littérature des manifestes, d’autre part. Entre les deux « chapitres » on a une relation originale.
L’insuffisante observation de ce départage est le résultat de la considération de cette réalité dans une manière traditionnelle. Habituellement, les manifestes littéraires sont considérés comme des textes explicites, explicatifs, qui méritent être considérés seulement pour les « idées »  qu’ils contiennent, des suggestions en vue du processus créatif. La littérature proprement dite des avant-gardistes, par contre, est considérée comme la section la plus importante, celle sur laquelle doit se concentrer l’attention des lecteurs, etc. D’après le modèle de lettres traditionnelles les programmes artistiques sont vus comme des suppléments aux « œuvres », ce dont, en fin de compte, on peut se dispenser sans problèmes, n’étant pas aussi essentiel que l’œuvre proprement dite.
C’est suffisant de suivre aussi la modalité dans laquelle cet état d’esprit est reflété par les commentaires critiques jusqu’à l’apparition des avant-gardes et de constater que l’œuvre a été toujours primordiale. Les programmes, les manifestes, etc., peuvent être utiles dans certains cas, pour l’interprétation de l’œuvre, celui qui fait l’interprétation. Mais toujours l’attention primordiale sera accordée à l’œuvre.
Il suffit de regarder avec un plus d’attention le mouvement avant-gardiste dans son ensemble pour constater que la situation est fondamentalement différente. Les manifestes littéraires ont la même importance (sinon, au moins dans certains cas, plus…) que les « œuvres » qu’ils introduisent. Dans le cas des avant-gardes, les manifestes sont cités plus souvent que les œuvres qu’ils introduisent. Et, si l’importance accordé aux manifestes est facile a déceler, allons plus loin et observons que ces textes, plus développés, comme volume et comme mise théorétique, que tous les manifestes de la littérature d’avant les avant-gardes, constituent, eux-mêmes, une littérature. Une littérature qui a des procédés spécifiques, une littérature qui mise elle-même sur des effets, s’éloignant, comme toute littérature, du « message » qu’elle porte.

D’après la logique traditionnelle, dans les manifestes on expose des idées, des convictions, des choses abstraites, tandis que les œuvres proprement dites s’adressent aux affects, à cet intelligence du vivant qui tient de l’expressivité, des émotions. Dans la ligne de la conception traditionnelle les manifestes travaillent avec la force de la démonstration. La confrontation entre les manifestes était une lutte d’arguments logiques. La part artistique, par contre, ne connaîtra pas des confrontations, mais seulement des manières d’exprimer. La confrontation des idées littéraires doit être soutenue seulement avec des arguments rationnels, qui tiennent de l’idéologie. On doit évaluer aussi dans quelle mesure les avant-gardistes exposent dans leurs textes programmatiques les idées littéraires consacrées, en ajoutant à ceux-ci des propositions de réforme – ou partent d’une conception nouvelle, sans rapports avec les prédécesseurs.
Dans la littérature des manifestes proposée par les avant-gardistes, la place des démonstrations a été prise, toujours, par des exclamations, des vitupérations, des paroles, etc. Bien sûr que Breton veut convaincre, mais Marinetti, Tzara, les expressionnistes sont surtout des pamphlétaires, souvent pathétiques.

 

Constantin Pricop