La
page
blanche

La revue n° 45 atelier de traduction

atelier de traduction

Donna Hilbert

Traductrices: Mariacristina Bertoli et Emmanuelle Bourguet
Traductions pour “La page blanche”
Septembre 2011

Donna Hilbert est née dans la Red River Valley en Oklahoma, près de la frontière texane, mais elle a passé la plupart de sa vie au sud de la Californie. Après avoir obtenu une licence en sciences politiques auprès de la California State University, Long Beach en 1978, elle y est retournée quelques années plus tard pour suivre des cours d’écriture créative. Son dernier recueil de poèmes est The Green Season (World Parade Books, 2009); parmi ses autres oeuvres, on notera Traveler in Paradise: New and Selected Poems (Pearl Editions, 2004), Transforming Matter (Pearl, 2000), Feathers and Dust (Event Horizon, 1996), Deep Red (Event Horizon, 1993) et Mansions (Event Horizon, 1990). En 1994 la publication au Royaume Uni de son recueil de nouvelles Women who Make Money and the Men Who Love Them lui a valu le prestigieux prix “Staple First Edition Writing Award.” Quelques années plus tard, en 2001, une selection de ses poèmes parus entre 1989 et 2000 a été publiée par Pudding House sous le titre de Greatest Hits. Donna Hilbert est le personnage principal aussi bien que l’interprète du film Grief Becomes Me: A Love Story (2010), un documentaire sur sa vie et ses oeuvres dirigé par Christine Fugate.




Grief Becomes Me

You’ve never looked better,
my friends Edward and Neil
tell me and lean close
for a clearer view.
I know what they mean
and believe it’s true,
the same way earth and sky
wash to a radiant clean
after relentless days of rain.
How you would present me
with pieces of sea glass
tumbled smooth
from journeying canyons
and rivers to the ocean
and back again
washing up at our feet –
bits of amber, green,
and the rarest stellar blue.
Everything pure and impure
has leached from the soil
of my face,
and in the corners of my eyes,
hard crystals form.



Le chagrin me convient

“Tu n’as jamais eu meilleure mine,”
me disent mes amis Edward et Neil
tout en se penchant vers moi
pour mieux me regarder.
Je sais ce qu’ils veulent dire,
et trouve qu’ils ont raison:
de la même façon, la terre et le ciel
se rincent jusqu’à une netteté radieuse
après des jours de pluie incessante.
La façon dont tu me montrais
des éclats de verre
charriés par la mer jusqu’à la polissure
par des gorges et des fleuves
voyageant jusqu’à l’océan
et puis à rebours,
s’échouant enfin à nos pieds –
morceaux d’ambre, de vert
et du bleu stellaire le plus rare.
Tout le pur et l’impur
a filtré par le sol
de mon visage,
et aux coins de mes yeux
des cristaux solides se forment.




Order

In this cut glass relish tray
where my grandmother once laid
out circles and slices of pickles
and beets, I now arrange
bags full of buttons
bought at the swap meet.
What would she make of me –
idle pursuer of order and beauty –
sorting by colors, shape and size
castaway remnants
of other people’s lives?



Ordre

Sur cette assiette compartimentée
où ma grand-mère autrefois disposait
des rondelles de rillons et rillettes,
maintenant je dispose insouciante
des pochettes bien remplies de boutons
achetés sur l’étal du brocanteur.
Que penserait-elle de moi,
de mon oiseuse poursuite de l’ordre et du beau,
classant par couleur, par forme et grandeur,
les restes naufragés
de vies restées ailleurs?




The Doctor Book

I loved the big doctor book
with cut-away pictures
of the human body,
the highway map of arteries
and veins, intestines
like the snakes I made with clay,
the liver, so slimy and dark
I could almost feel it slip through my hand.
Best of all, I liked the pictures
of the smallpox victims,
their bodies almost absent
under a mass of festering sores.
My grandpa had smallpox when he was a boy,
but recovered without a scar
to look like Gary Cooper.
If such a miracle were possible,
then surely I was safe in his house.



Le livre du corps humain

J’aimais le grand livre du corps humain
avec les images en coupe
des organes,
la carte routière des artères
et des veines, les intestins
pareils aux serpents en pâte à modeler que je fabriquais,
le foie, si gluant et sombre
que je pouvais presque le sentir glisser entre mes mains.
Plus que tout, j’aimais les images
des victimes de variole,
leurs corps presque absents
sous une masse de plaies suppurantes.
Mon grand-papa avait eu la variole quand il était petit garçon,
mais il avait guéri sans une cicatrice
pour devenir semblable à Gary Cooper.
Si un tel miracle était possible,
alors j’étais vraiment en sécurité chez lui.



NOTES BIOGRAPHIQUES
Mariacristina Natalia Bertoli est doctorante en littérature américaine à l’Université de Fribourg, Suisse. Ses traductions, poèmes, nouvelles et essais ont parus en Espagne (Miscelánea), aux États Unis (Paideuma, Philadelphia Poets, Pearl, The Chiron Review), en Italie (Testo, Semicerchio, Testo a fronte, Poesia) et en Suisse (Bloc Notes, SPELL, Versants). Ses travaux les plus récents portent sur La Prisonnière des Sargasses et seront bientôt publiés au Canada (Mosaic) et au Royaume Uni (Cambridge Publishing Scholars).
Emmanuelle Bourguet étudie les Langues et Littératures anglaise, américaine, espagnole et latino-américaine à l’Université de Fribourg, Suisse. Elle travaille comme traductrice indépendante depuis trois ans et mène actuellement des recherches sur la littérature américaine féminine de la fin du XIXème siècle.