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La revue n° 46 Le billet de Constantin Pricop

Le billet de Constantin Pricop

LE POUVOIR DE LA LITTÉRATURE

Elle est bien connue la capacité des mots à se... « matérialiser». Mais pas seulement dans le sens des œuvres littéraires – suggestions, effleurage poétique, en un mot, de l’art… Les mots des œuvres littéraires ont cet effet, c’est vrai, mais aussi des conséquences en ce qui concerne la condition «de tous les jours» de notre vie. Et je ne parle pas ici des enrichissements spirituels, des expériences esthétiques, etc. Mais d’un effet qui a pour fin la modification de notre conscience quotidienne – bref, de notre condition humaine comprise au-delà du domaine des arts.

 

Je ne parle donc pas de l’esthétique, mais non plus des disciplines qui travaillent avec les mots sur l’inconscient – inculquant des idées positives et des choses de ce genre – NPL, suggestothérapie, hypnose eriksonienne et toutes les autres. Je veux rester dans notre domaine – la littérature – qui a aussi des conséquences non artistiques. Je me demande, voilà, si on peut parler des effets de la littérature sur notre vie de chaque jour.

 

Il faut préciser d’abord les prémices de notre position. Reconnaissons, par exemple,  que l’écriture littéraire est, dans la plupart des cas, le point le plus haut de l’expressivité – c’est-à-dire de l’exploitation des pouvoirs de suggestion. Si on pense que les psychologues sont convaincus que des formules bien précises peuvent avoir des effets très profonds dans notre psychisme, on peut penser que le texte littéraire est encore plus profond et stable dans ses actions sur l’inconscient. C’est vrai, le poète ne cible pas un effet ou un autre – il joue sur l’effet en général, sur les capacités presque innombrables des mots à créer des illusions dans les consciences. La parole poétique ne donne pas les conséquences de ceux qui cherchent un résultat bien précis, mais le pouvoir des mots des poètes est dans les cas bénis bien plus profond et plus vaste. En termes… cliniques, on peut dire que ce que provoquent dans les consciences les créateurs qui emploient les mots, c’est un certain élargissement global de la conscience. Les consciences de ceux qui lisent la poésie et qui comprennent le rôle de leur acte sont bien plus compréhensives, bien plus disponibles à héberger le monde que celles des gens qui ne lisent pas. Et partant ils sont bien plus ouverts aux usages dans des buts plus… précis des suggestions linguistiques contrôlées.

 

Mais il y a encore des aspects importants connexes à la condition de la littérature. Une réalité de l’art des mots de plus en plus employée dans les domaines non littéraires est le pouvoir de la narration. La prose littéraire n’est pas une invention. Elle répond à un besoin inné de l’être humain, celui de conter. L’histoire et la psychologie accordent de plus en plus d’importance à la capacité de dire des histoires. Les capacités de raconter entrent de plus en plus dans les habitudes. Dire des histoires ne tient pas seulement l’espace des romans, des nouvelles, des feuilletons télévisés, des films d’art – mais, voilà -, on entre dans presque tout ce que raconter peut signifier …C’est une manière d’entrée dans notre conscience – et maintenant ce ne sont pas seulement les écrivains qui s’en préoccupent. 

 

Et comme ca, être témoin des choses, des endroits, des angles, dans un mode de vies autrement inaccessibles, autrement inimaginables, est une acquisition immense. Ça doit enrichir les vies de ceux qui lisent de la littérature. C’est une amplification irremplaçable… 

 

La littérature conduit à un individu bien plus capable de comprendre et, pourquoi pas, d’agir sur la société, de vivre dans ce monde, parce que le liant de cette société ce sont les mots. Et c’est pourquoi les dons de la littérature ne peuvent pas disparaitre – même si lui, l’art des mots, est dans une continuelle transformation…

 

 

Constantin Pricop

 

(On peut trouver sur Amazon une collection de mes notes dans LPB: Constantin Pricop, « Signes sur LPB ».)