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La revue n° 50 Point de vue

Point de vue

La communication de l’incommunicable

C’est assez difficile de percevoir les modifications dans l’évolution littéraire pendant qu’elles se produisent. En général, on peut les évaluer rétrospectivement, après des années. De nos jours, on peut discerner quand même une mutation; c’est la preuve que les modifications sont consistantes et assez nettes. Une autre particularité du moment présent c’est le fait que dans le même temps on peut déceler une liaison entre les évolutions dans la mentalité générale et celles dans la sphère des arts. On a toujours, bien sur, une telle correspondance, mais les rythmes des deux domaines sont différents, les coïncidences plutôt vagues et les correspondances relatives. C’est seulement dans les rudimentaires interprétations marxistes que l’on peut connecter fixement les deux séries de phénomènes. Mais cette fois on dirait que la spiritualité générale et le milieu littéraire (artistique en général) vont ensemble.

Si on parle de ce que caractérisent les mouvements des dernières années, c’est, sans aucun doute, le populisme. Sous une variété de formes – mais, en essence, la même chose: le populisme. Oui, certainement, on a toujours des penseurs d’élite, des gens qui n’acceptent pas la ligne générale, vulgaire - mais les grands mouvements de ce qu’on peut nommer une pensée collective vont vers le populisme. Ça a été expliqué, correct, probablement, comme une réaction a un autre mouvement de pensée généralisé antérieurement en Occident et qui a suffoqué la pensée dans les dernières années. C’est une réaction justifiée contre le dogmatisme du political correctness. Cet ordre, qui s’est imposé dans tout le monde américain/européen et qui était d’abord un signe d’un humanisme à outrance est devenu un lit de Procuste pour tout ce qu’est le comportement dans la vie publique. On a substitué les actions, les sentiments, les pensées par des formules. C’est pas correct de dire ça, ou ça. Le dogmatisme a pénétré fortement la pensée. Il n’est correct de penser ça ou ça que dans une formule... acceptée... On n’avait pas la permission de penser, d’avoir des doutes, des cas particulier etc. - rien, des universités américaines se sont transformées en nids de ”cellules” comme, autrefois, les groupuscules des bolchevick qui s’opposaient brutalement, sans aucun bon sens, a tout ce qui pouvait contrarier leur doctrine. J’ai vu un clip (sur internet, comme tout le monde...) filmé dans la salle de conférence d’une université américaine. Une réunion paisible des professeurs, des spécialistes qui débattaient sur un sujet quelconque. C’était une réunion académique comme sont toujours les ensembles académiques. Dans ce calme professionnel a surgit un petit groupe d’ activistes political correct qui ont commencé à hurler contre un des professeurs qui, de leur point de vue, n’était pas... political correct. Leurs voix n’avait rien d’intellectuel, ils ne voulaient pas dialoguer, expliquer comment le professeur a fait une faute d’appréciation sociale ou tant d’autres. Ils veulent seulement imprimer dans les têtes des autres leurs slogans sans aucune trace de raison... Ils hurlent sans répit. Une vingtaine de minutes, une demi-heure, ils ont bloqué toute forme de communication. La méthode classique du lavage des cerveaux. On dirait une séance pendant la révolution culturelle maoïste... Même si on peut trouver des racines raisonnable à tous ces mouvements, leur manifestations publiques, leur manière d’essayer de... convaincre les autres a le clair aspect de dictature, du cliché de (soit disant) pensée communiste - c’est l’intolérance, le manque de dialogue, le simplisme, l’agressivité. Tous ces ”qualités” ont comme but d’annuler le dialogue, la capacité de réfléchir, l’originalité, le talent, la création. Tout doit être contrôlé, mis dans des clichés, réduit à une tenue du discours public.
Et les réactions, exagérées à leur tour, sont aussi peu acceptables – un discours politique mené par les populistes...

J’ai simplifié, bien sûr – parce que je ne peux pas trop insister sur ces observations sociologiques. Mais ce qui est visible c’est que les masses en ont assez de ces choses... soit disant subtiles, des choses des élites menées en formules... correctes. Ils ont leurs problèmes, qui sont trop pesants pour être substitués par une pensée rigide. Et, surtout, ils aiment le dialogue – banal, peut-être, vulgaire, peut-être, mais vivant. Pas des choses qui cachent, sous une apparente sophistication, un primitivisme qui montre une sérieuse régression de la vie intellectuelle.

Les reflets d’un tel détournement dans les arts? Une communication plus simple, plus vive. Des choses qui communiquent. Des... vases communicants entre les humains, și vous voulez... Les abstractions, les expérimentations stériles, tout ça a un public de plus en plus restreint. Și l’artiste veut satisfaire le public, il doit apparaitre comme l’un des leurs.

Il fallait cette époque du populisme omnipotent pour percevoir mieux l’écart qui s’est produit autrefois entre les artistes et ceux à qui ils s’adressaient. Dans l’époque d’un Baudelaire, d’un Breton même, après un siècle, il y avait encore un public qui émulait les artistes; un public qui aimait être provoqué par les artistes et qui se voyait, d’une certaine manière, être les complices de ceux qui expérimentaient, de ceux qui les provoquaient. Même și les artistes d’avant-garde n’ont jamais un grand public, ils ont quand même leurs admirateurs. Și on n’a pas des gens disposés à suivre les plus provocantes... provocations, les avant-gardes ne sont pas possibles. Les avant-gardistes prétendent qu’ils s’en fichent de la communication; ils veulent détruire la communication: ils font exploser les mots, les contours du dessin, l’harmonie classique de la musique... Mais cette quête de l’incommunicable doit être communiquée. Ils ont besoin de ceux qui, comme j’ai déjà dit, veulent être provoqués. Et c’est arrivé dans des périodes sociales assez paisibles. Le temps du développement de la société bourgeoise, d’une relative stabilité, d’une relative prospérité pour une partie de la société devient une provocation pour les artistes qui rêvent de déstabiliser l’équilibre. Épater le bourgeois c’est la raison des artistes incommodes qui ont trouvé des gens qui veulent les suivre dans leurs expériences. La société avait une évolution plane, presque linéaire – les artistes dans l’avant-garde de leur époque ont besoin d’être de travers, d’édifier leur position sur la contradiction, l’épatement du goût commun, de changer le calme des lignes droites.

La dernière moitié du 19 siècle et la première du 20 siècle, furent l’époque des grandes expérimentations artistiques. La destruction, la recomposition du langage de tous les arts, le langage du monde avec ça, avouent le courage d’une époque de la provocation partagée - parce qu’on avait un public incité par ces expérimentations, amène avec les groupes divers des avant-gardes artistiques. Bien sûr, on a toujours une lutte entre les anciens et les modernes, une agression de ceux plus jeunes contre les vieux, mais ça c’est possible quand on a ce public, même minuscule, de sa part, quand on a des gens qui accompagnent les insolences, les insubordinations, les cruautés des nouveaux venus contre ceux qui se compliquent dans les fauteuils de la consécration. Car être consacré c’est déjà avoir atteint la station finale, beaucoup de monde veut arriver là, et, une fois être consacré, ce qui suit s’est le renversement par ceux qui veulent ce fauteuil...

Ce qu’on ne se dit pas assez c’est que les avant-gardes ont un côté social très poussé. Elles ont besoin de contrarier, d’avancer contre le courant. Leur substance ne vient pas de l’intérieur, de leur consistance, mais du bruit obtenu de la part des autres. C’est pas seulement l’artiste qui travaille dans sa solitude, qui pense à sa condition, a sa responsabilité devant l’existence, mais c’est un spectacle devant un public qui ne se contente pas d’applaudir, qui veut siffler, hurler contre, admonester. Et l’artiste d’avant-garde est celui qui provoque ce spectacle. Les dadaïstes faisaient réellement des spectacles devant leur public des cafés. L’insertion sociale est grande, ils ont un besoin consistant de cette insertion. C’est le cas des avant-gardes historiques, comme elles sont nommées par les i novissimi italiens, Sanguineti et Co. Mais ces néo-avant-gardistes des années 60 du 20 siècle ont reconnu que l’avant-garde historique n’est plus possible, que dans leur temps on doit agir autrement, avoir une toute autre position envers le contexte littéraire. Ils veulent être de l’avant-garde aussi, mais dans leur temps il fallait une autre avant-garde. De nos jours on a des avant-gardistes retardés, des gens qui veulent imiter les dadaïstes, par exemple, qui donnent un spectacle triste, comme tous les épigones – mais le temps d’avant-gardes de la première moitié du 20 siècle est définitivement passé.

Déjà le mouvement beat, les postmodernisme, le nouveau roman, les directions d’avant-gardes dans la deuxième partie du 20 siècle, n’ont plus les caractéristiques des avant-gardes historiques, comme elles sont nommées par les i novissimi italiens; le nouveau roman français et les postmodernistes américaines ne vont plus vers l’incommunicable, mais vers la communication d’un nouveau contenu. Ils ne veulent plus montrer les limites de leur langage, du langage de tous, ils veulent reconquérir la capacité du langage de communiquer. On a, de temps en temps, des cas limite, comme un Gherasim Luca, par exemple, mais la direction générale est autre. Les artistes veulent communiquer. La tendance de communiquer, de développer une conception sur le monde dans l’écriture artistique est aujourd’hui d’autant plus intense. Depuis le théâtre absurde (le théâtre, mais pas seulement le théâtre) on à découvert la difficulté de communiquer en ayant, quand même, le désir de communiquer. Communiquer l’incommunicable. Un poète qui veut être lu aujourd’hui ne fera pas des successions de syllabes sans mots, comme dans les poèmes de Gherasim Luca, mais va vers un univers à lui – s’il en a un.

La capacité de communiquer du langage, dont des avant-gardistes historiques (enfin, quelqu’un d’entre eux...) se sont doutés, n’est plus mise en question. On veut communiquer même le sentiment de ne pouvoir communiquer. Epater les bourgeois n’est plus la mission des artistes, les ”bourgeoises” d’aujourd’hui ne sont plus celles du 19 siècle. Les mouvements des foules ont, comme j’ai dit, un autre caractère et les arts suivent ce trend. Les mouvements d’avant-garde surgissent et se développent autrefois dans des sociétés assez stables, dans un climat social général qui donne l’impression du prévisible. Le futurisme apparaît au commencement d’un siècle plein de promesses, en plein essor économique. Les anomalies de la première guerre mondiale dans une société qui doit être prospère déterminent le dadaïsme et l’expressionisme. Mais ces catacombes de la guerre sont seulement une rupture dans une vie qui connait le progrès, une évolution. Dans un mot un crescendo.

Les mouvements d’avant-garde sont le reflet des sociétés stables, avec une promesse, au moins, du développement, avec des lignes structurales fixes. Notre époque a une autre dynamique, nous vivons, en apparence, dans la société la plus sûre, mais qui a une dynamique convulsive, des menaces globales apocalyptiques. Le danger de détruire l’équilibre de la nature, de détruire la nature, celui de ne pas récupérer un sens social cohérent, dans une société qui n’est plus composée par des classes dans une certaine mesure bien marquées, comme il y a un demi-siècle, mais composé seulement de très riches et de très pauvres ont fait surgir une conception de risk society définie par le sociologue allemand Ulrich Beck. La société des risques, avec des menaces globales impossibles à camoufler. Et dans ce monde en danger généralisé, quel peut être le rôle des avant-gardes? Quand tout est statique et prévisible, on peut comprendre le rôle de ceux des avant-gardes retroussés sur eux mêmes, mais quand la catastrophe est au dessus de toutes les têtes le rôle des arts, en tant qu’ils ont survécu, est autre. L’approche de la catastrophe a renversé les équilibres. L’artiste d’aujourd’hui a un autre statut que celui des époques des avant-gardes historiques. Oui, un vrai écrivain sera toujours obsédé de faire plus de choses qu’ont fait les autres. Oui, il fera des expérimentations qui défient la banalité. Oui, il cherchera de nouveaux modes d’expression. Mais des avant-gardes qui se suffisent à elles mêmes, des simples répétitions de ce qu’ont fait les vrais avant-gardistes de la première moitie du 20 siècle n’est plus possible. Je vois maintenant seulement la voie de l’expérimentations avec lui même, dans un monde de plus en plus instable. L’artiste peut avoir la difficile mission de l’équilibre dans une risk society.

Constantin Pricop