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PLACE AUX POÈMES

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ZOOM CÉSAIRE

zoom sur aimé césaire 


aimé césaire est né en martinique en 1913, et toute sa vie, il a écrit des poèmes comme on lance un javelot. ses poème sont des armes. ils ne décrivent pas le monde, ils le transforment. il a inventé le concept de négritude — comme un cri de guerre contre le colonialisme, un chant de résistance pour les peuples noirs, et une réinvention de la langue française, qu’il tord, qu'il étire, qu’il renouvelle, dont il exploite les mots, en particulier les mots rares et bienvenus, oubliés, qu'il charge d'images.

césaire est un poète politique au sens le plus profond : sa poésie n'est pas un discours, c'est une insurrection. il écrit au rythme du tambour, avec la fureur de l'ouragan, et la précision du chirurgien. ses mots sont des coups de poing, mais aussi des caresses — il parle de la douleur de l'esclavage, mais aussi de la beauté des forêts tropicales, des corps noirs, des révoltes à venir. il mélange le français classique et le créole, le surréalisme et les contes africains, la Bible et les mythes vaudous. ses poèmes sont des ponts entre les mondes, des manifestes pour les opprimés, et des hymnes à la liberté.

ce qui marque chez césaire, c'est sa capacité à faire de la poésie une force active. il ne se contente pas de dénoncer, il invente. il ne pleure pas les victimes, il appelle les guerriers. ses textes sont des appels — à se souvenir, à se battre, à renaître. quand il écrit "ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruisselle de sang", il ne parle pas seulement de sa race, il parle de sa révolution.



cahier d’un retour au pays natal (1939) — extraits


au bout du petit matin…

au bout du petit matin la ville immense et nègre se dressait nue. elle était seule sous le soleil, sans rempart, sans défense, offerte aux vents et aux marées et aux cyclones. ses pieds dans la boue des faubourgs, ses mains dans les ordures des docks, ses derrières contre les murs des casernes, ses têtes dans les fumées des usines, elle s’étalait, s’étalait comme une femme lasse que sa nudité ne gêne plus.

et la ville était nègre. nègre par sa misère. nègre par sa nudité. nègre par ses taches de rouille et de sang, ses taches de vin et de sperme, nègre comme un grand nègre couché qui rêve de blanc et que le blanc écœure.

et dans ses rues, des nègres. des nègres aux pieds nus, des nègres en haillons, des nègres qui piétinent la boue des faubourgs ou qui dorment le long des murs des casernes. des nègres qui ricanent sous les coups, des nègres qui tremblent sous les injures, des nègres qui se cachent dans tous les coins de la ville, des nègres qui se terrent, des nègres qui se tapissent, des nègres qui grelottent de peur, de faim, de misère, de froid, de tout.

et moi, je dis : hurrah ! le grand cri nègre hurrah ! que j’ai contenu trop longtemps. hurrah ! voici que je suis debout et libre, et que je parle à pleines voix et que ma voix est la voix de mille bouches et la voix de mille bras et la voix de mille jambes, et que ma voix est la voix de ceux qui n’ont pas de voix, et que ma voix porte jusqu’aux confins du monde la clameur sanglante de ceux qui n’ont pas de voix.



 discours sur le colonialisme (1950) — extraits


une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.

le colonialisme, je le répète, déshumanise l’homme même le plus civilisé ; que le colonisateur, pour se donner bonne conscience, se drape dans des valeurs humanistes, cela ne change rien à l’affaire.

entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la présomption, l’arbitraire, les travaux forcés, l’ignorance, l’épidémie, le mensonge, la paillardise, le pillage, le meurtre.

les colonisateurs savent bien qu’ils ne tiennent leur pouvoir que de la peur qu’ils inspirent. ils savent que leur force repose sur la faiblesse des colonisés. aussi font-ils tout pour entretenir cette faiblesse, cette ignorance, cette peur.

mais un jour, les colonisés se lèvent. un jour, ils disent non. un jour, ils prennent les armes. un jour, ils se libèrent.



 les pur-sang (1961) — extraits


nous sommes des pur-sang. nous sommes ceux que la nuit a choisis pour porter le flambeau du jour. nous sommes ceux que la terre a désignés pour ensemencer les cieux. nous sommes ceux que l’histoire a marqués au fer rouge de la révolte.

nous ne sommes pas des hommes. nous sommes des dieux. des dieux noirs, fiers, debout. des dieux qui ont brisé leurs chaînes. des dieux qui ont conquis leur liberté.

nous ne marchons pas. nous dansons. nous dansons sur les ruines des empires. nous dansons sur les cadavres des tyrans. nous dansons, et notre danse est un défi.

nous ne parlons pas. nous chantons. nous chantons la révolte. nous chantons l’espoir. nous chantons la victoire.



  la tragédie du roi christophe (1963) — extraits


je suis le roi. le roi des nègres. le roi des haïtiens. le roi des affranchis.

je suis celui qui a brisé les chaînes. je suis celui qui a chassé les blancs. je suis celui qui a bâti la citadelle.

mais je suis aussi celui qui sait. qui sait que la liberté n’est pas un don. qui sait que la liberté se prend. qui sait que la liberté se défend.

je suis le roi. mais je suis aussi l’homme. l’homme qui pleure ses morts. l’homme qui craint pour ses enfants. l’homme qui sait que la lutte continue.



  moi, laminaire… (1982) — extraits


moi, laminaire, je suis celui qui vient des profondeurs. je suis celui qui porte en lui la mémoire des ancêtres. je suis celui qui parle avec la voix des morts.

je suis celui qui a vu les navires négriers. je suis celui qui a entendu les cris dans les cales. je suis celui qui a senti l’odeur du sang et des excréments.

je suis celui qui se souvient. qui se souvient des chaînes. qui se souvient des fouets. qui se souvient des violences.

mais je suis aussi celui qui se lève. qui se lève avec le soleil. qui se lève avec les révoltes. qui se lève avec l’espoir.

je suis laminaire. je suis la vague qui monte. je suis le vent qui souffle. je suis le feu qui brûle.