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ZOOM INTERMEDIAIRE _ FREUD, LACAN ET POLITIQUE
ZOOM INTERMÉDIAIRE- FREUD, LACAN ET POLITIQUE - Par Pierre Lamarque - écriture assistée par ordinateur - (IA Mistral ) - Extrait de Romans, tome 2
Freud et Lacan, chacun à leur manière, ont abordé la politique à travers le prisme de la psychanalyse, mais avec des angles et des implications très différents.
Voici une synthèse de leurs positions, en évitant les simplifications excessives et en soulignant leurs nuances :
Sigmund Freud (1856–1939) : La politique comme symptôme
Freud n’a pas écrit de traité politique, mais ses réflexions sur la psychologie des masses, le pouvoir, et la civilisation éclairent indirectement la politique. Voici ses idées clés :
Psychologie des masses et analyse du moi, 1921
• Freud s’inspire de Gustave Le Bon pour analyser comment les individus, dans une foule, renoncent à leur conscience individuelle au profit d’un leader charismatique (qu’il compare au père primitif de Totem et Tabou).
• Le leader devient un objet d’amour idéalisé, et la foule un corps psychique unifié par des liens libidinaux (amour, identification, soumission).
• Implication politique : Cela explique la fascination pour les dictateurs (Hitler, Mussolini) ou les mouvements totalitaires, où le chef incarne un idéal du moi collectif.
• Malaise dans la civilisation, 1930
• Freud y décrit la tension fondamentale entre les pulsions individuelles (désirs, agressivité) et les contraintes de la vie en société (lois, morale, religion).
• La civilisation repose sur la répression des instincts, ce qui génère un malaise permanent. La politique, comme institution, est un moyen de canaliser cette agressivité (via le droit, la police, l’État), mais elle ne peut l’éliminer.
• Citation clé : « Le but de toute vie est la mort » (pulsion de mort, Thanatos), et la politique, comme la guerre, en est une manifestation collective.
• Critique des utopies politiques
• Freud se méfie des projets révolutionnaires (comme le communisme) qui promettent un « homme nouveau » libéré des conflits. Pour lui, l’inconscient résiste à toute ingénierie sociale : les névroses, les conflits, et la violence sont inhérents à la nature humaine.
• Il écrit à Einstein en 1932 (Pourquoi la guerre ?) que la guerre est une pulsion inévitable, et que seule une « culture de la raison » (éducation, institutions internationales) peut (peut-être) la limiter.
• La religion comme « illusion » politique
• Dans L’Avenir d’une illusion (1927), Freud assimile la religion à une névrose collective, mais il reconnaît qu’elle joue un rôle politique en apaisant les angoisses et en légitimant l’ordre social.
• La politique, comme la religion, repose sur des mythes fondateurs (le contrat social, la nation, la révolution) qui masquent des réalités pulsionnelles.
Jacques Lacan (1901–1981) : Le politique comme structure symbolique
Lacan, lui, a directement engagé la psychanalyse dans le champ politique, notamment après Mai 68. Ses idées sont plus abstraites, mais radicales :
• Le « discours du maître » (Séminaire D’un discours qui ne serait pas du semblant, 1971)
• Lacan analyse la politique comme un système de discours (au sens structural) où le maître (le pouvoir) s’appuie sur un savoir (l’idéologie, la science) pour produire des sujets assujettis.
• Formule du discours du maître :
Maître → Savoir
Sujet → Objet (a)
Le sujet est divisé par le langage, et le pouvoir (le maître) exploite cette division pour se maintenir.
• Implication : Toute politique repose sur une illusion de totalité (la nation, le parti, la révolution), alors que le sujet est toujours manquant, incomplet.
• La « jouissance » et la loi
• Lacan reprend Freud en insistant sur la jouissance (plus-de-jouir), un concept qui dépasse le plaisir et touche à l’excès, à la transgression.
• La loi (symbolique) interdit la jouissance totale, mais le politique (surtout les régimes totalitaires) promet justement cette jouissance impossible (ex. : « Le paradis sur terre » du communisme, la « pureté » des régimes fascistes).
• Citation clé : « Il n’y a pas de rapport sexuel » → Il n’y a pas non plus d'harmonie politique naturelle. Tout ordre social est un bricolage symbolique pour masquer ce manque.
• Mai 68 et la révolte ...
• Le « sinthome » et la politique
• Dans ses derniers séminaires, Lacan introduit le sinthome (néologisme pour « symptôme » + « saint homme »), une façon de nouer le réel, le symbolique et l’imaginaire pour survivre.
• En politique, cela signifie que les idéologies ou les identités collectives (nation, classe, race) sont des sinthomes : des solutions précaires pour éviter l’effondrement psychique, mais qui peuvent aussi emprisonner les sujets.
Point de convergence :
acceptation du manque
Héritage et critiques
• Freud a inspiré des penseurs comme Wilhelm Reich (qui lie sexualité et révolution) ou Herbert Marcuse (Éros et Civilisation), mais sa vision reste pessimiste : la politique ne peut guère guérir les maux de l’âme.
• Lacan a influencé des philosophes comme Alain Badiou (pour qui la politique est un « procès de vérité ») ou Slavoj Žižek (qui utilise le « discours du maître » pour analyser le capitalisme). Son approche est plus radicale : la politique est un théâtre de l’impossible.
Pour aller plus loin
• Freud :
• Psychologie des masses et analyse du moi (1921)
• Le Malaise dans la culture (1930)
• Pourquoi la guerre ? (correspondance avec Einstein, 1932)
• Lacan :
• Séminaire XVII : L’Envers de la psychanalyse (1969–1970) → Théorie des discours
• Séminaire XX : Encore (1972–1973) → Jouissance et politique
• Télévision (1974) → Critique des illusions révolutionnaires
Une question pour vous, Pierre
Leur vision désenchantée de la politique vous semble-t-elle toujours pertinente aujourd’hui, à l’ère des populismes, des réseaux sociaux, et des crises écologiques ? Ou voyez-vous des échappatoires (poétiques, collectives) à leur fatalisme ?
Réponse : cette vision désenchantée me semble pertinente à jamais…je réponds qu’il faut bien vivre avec le manque... on n’y peut rien contre, sauf nier qu’il manque parfois quelque chose à l’humain, nier qu’il lui manque parfois la lune dans un ciel étoilé.