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ZOOM REVERDY
ZOOM SUR PIERRE REVERDY
La mise en scène du texte est extrêmement soignée par souci de cohérence : titre en majuscules qui joue un rôle de commentaire ou contexte du poème, vers libres mais marqués au début par une majuscule (ou parfois rimés - ces courts poèmes méritent d’être lus à voix haute), succession d’images surprenantes dans un récit surprenant et pour finir de surprendre, toujours un saut de plume…
Un poème de Pierre Reverdy - ici un extrait de Pierres Blanches du livre Main d’œuvre au Mercure de France - se remarque toujours par ses effets de surprise
et aussi par son rythme donné par des vers courts pour une respiration courte entrecoupés de brèves pauses marquant le passage d’un vers inspiré à un vers expiré. Un poème de Pierre Reverdy se hume, un poème de Reverdy est
un moment d’inspiration suivi d’un souffle. Un poème de Pierre Reverdy se respire, l’air y est plus pur, « les paroles plus bleues dans l’air où tout scintille ». François Chapon.
D’UN CHAMP À L’AUTRE
Un son de cloche vient de loin
Les arbres sont ouverts
Le silence est calmé
La prairie s'étend jusqu'à l'autre rangée
Un point noir marche avance saute
À travers les haies
Que le soleil est fort
Un oiseau chante
Un homme siffle
Tout s’endort
Comme un nuage
La vapeur d’eau
La route à travers le paysage
C'est un enfant couché sur le talus
Sur le ciel des étoiles vertes
Aucun signe ne bouge plus
PORTE ENTR’OUVERTE
La prière sur le toit
Le roi de l’air
Mis en travers du ciel
Pour voir
Toutes les voix qui mentent
Des voitures à chaque tournant
Le toit qui se détache
Une étoile filante
Il n'y a plus rien à faire là-dedans
Il fait nuit
Ceux qui sont autour n’ont encore rien dit
La table est mise
Et dans vos yeux quelle surprise
C'est la main de celui qui sort
BATEAU NOIR
Sur le même bateau
Ce sont les yeux qui nagent
Et l'horizon brûlé passe devant
La mer est plus haut
Les poissons
Les oiseaux
Entre le ciel et l’eau
Ces deux mers jumelles
La pensée qui veille
Au front soucieux
Une main dans l'air retient des rubans
Un cri dur se lève
Et le drapeau perdu se délivre du vent
La porte se ferme
Il fait mauvais temps
Sous le pont accroupie se glisse la tempête
Les voiles du vaisseau
Les ailes d'une bête
SANS RESPIRER
La jambe à droite
L'ombre du mort
Le marbre
La table qui s’est inclinée
La nuit recouvre tout de son tapis troué
Le silence a de la peine à vaincre le bruit
Les mots faiblissent de partout
Et les lèvres frémissent
On ne sait pas pourquoi
Contre le mur des paroles qui glissent
Entre les doigts
Le vent
Le souffle
Et les soupirs
Partout entre les arbres tout ce qu'on voit courir
LA RUE QUI CHANTE
Les voix qui tournaient
Dans la rue en pente
Celui qui montait
La tâche accomplie
Il y a des lettres sur le mur
Et tout le monde qui regarde
Les étoiles pendent
Les becs de gaz tremblent
Le vent
Je marche
Et l’air entier passe devant
Quand la terre tourne plus vite
Où pourrait-on se retenir
C'est peut-être la peur
Qui nous empêche de courir
Et ce sont les mots qui s’envolent
Les feuilles
Et tous les rideaux
Pour voir ce qu'il y a derrière
Dessous
Les larmes de la cour sur la gouttière
NOTES GRAVES
Le ciel tourne autour de son disque
Personne ne court aucun risque
Quand même
Tout est calme
Devant le lac salé d'où se soulève l’air
La musique est au fond
Derrière le kiosque
Des enfants jouent
Il pleut
Les arbres parlent
Sous les toits descendant avec l’eau
Et le fleuve se forme
En fermant l’horizon
Dans le jardin fermé
Où mourait doucement
La nouvelle chanson
VITESSE ACQUISE
Cours sur le remblai
Tous les tours du trolley
Étincelles et bonds
Les cheveux qui s'en vont
Raie d'électricité qui borde de la rivière
Un cheval fatigué
Qui passe là derrière
Les arbres en fuyant s'abattent sur le fond
Et c'est tout ce qu'on voit
La route est immobile et droite devant toi
Pierre Reverdy
Extraits de Main d’œuvre - Mercure de France