Le dépôt
15) The aristocraty of talent 16) Opinions et jugements 17) Cosmopolitisme et... cosmopolitisme
Notes extraites de la revue roumaine Cultural Expres (en cours de traduction)
The aristocraty of talent (juillet 23)
Dans THE ARISTOCRACY OF TALENT. How Meritocracy Made the Modern World (Penguin Books, 2021), Adrian Wooldridge reprend les objections de Daniel Markovits et Michael Sandel, des universitaires dont les interventions prestigieuses ont attiré l'attention sur leurs travaux - des travaux qui s'attaquent aux inégalités dans les possibilités d'accès à une éducation d'élite aux États-Unis. La question devient importante pour l'évolution de la société américaine car, comme on l'a dit, l'impossibilité pour certains des jeunes les plus doués d'être formés au plus haut niveau d'éducation serait une « atteinte au génie de la nation »... Mais le livre d'Adrian Wooldridge ne rejoint que collatéralement ceux qui discutent des problèmes de la méritocratie aux États-Unis, des chances de formation et de promotion de l'élite. Ce que l'auteur cherche à souligner, c'est l'importance extraordinaire du fait qu'à un certain moment de l'histoire, l'humanité est arrivée à la conclusion que les postes les plus importants de la collectivité devaient être occupés, comme une idée primordiale, par des individus aux qualités supérieures. Non pas ceux qui sont issus d'une certaine famille, non pas les propriétaires de biens importants, non pas les détenteurs d'armes mortelles et d'armées, non pas ceux qui font partie de groupes d'influence et ainsi de suite, mais des individus intelligents, professionnellement compétents, éthiquement corrects et disposés à mettre leurs qualités au service de la société. C'est le moment, selon Adrian Wooldridge, où l'humanité dépasse le Moyen-Âge. Les traités historiques présentent différents critères (économiques, politiques, changements de conscience) selon lesquels le monde est considéré comme étant entré dans la période moderne. Mais pour l'essentiel, la société entre dans l'ère que nous vivons lorsqu'elle se détache de la logique du troupeau et accepte l'importance de l'individu. Il peut sans doute y avoir des accidents, des abus, etc. dans l'application de cette logique implacable, mais à l'époque moderne, elle définit le fonctionnement des sociétés civilisées. La logique du mérite sépare le monde moderne du monde médiéval. Et ce principe s'impose, je le répète, en passant par des phases historiques caractéristiques, chaque étape modélisant, remodelant, déterminant les évolutions. L'idée de promouvoir les méritants est tellement répandue dans le monde d'aujourd'hui que la défendre est, pourrait-on dire, d'une extrême banalité ! Qui ne sait que les meilleurs du monde avancent ? C'est qu'une idée peut être un état de fait ou un simple slogan creux. A commencer par L' ARISTOCRATIE DU TALENT. Comment la méritocratie a fait le monde moderne, nous pouvons nous demander ce qu'il advient de l'idée de méritocratie une fois qu'elle a atteint une diffusion universelle, une fois que « tout le monde » est convaincu de son bien-fondé. Il existe... des situations particulières... concernant... l'application du principe unanimement accepté, selon les coutumes de chaque communauté. L'idée de méritocratie est... adaptée maintenant même là où le Moyen-Âge est plus qu'évident (bien que personne ne reconnaisse aujourd'hui qu'il vit au Moyen-Âge...) La gêne de reconnaître que de nombreuses communautés sont encore au Moyen-Âge conduit à les maquiller avec les caractéristiques de l'époque moderne. La réalité est facilement identifiable derrière la modernité du décor... - que l'on retrouve en divers endroits du globe. Le « déguisement » moderne apparaît, par exemple, chez je ne sais quel petit prince de pays féodaux riches en pétrole, dont la progéniture est censée avoir obtenu un diplôme dans l'une (... ou plusieurs...) des plus importantes universités du monde civilisé. Sa position sociale n'est pas assurée par les compétences acquises dans les études, mais par les parents qui lui lèguent le royaume... Suivant une généralisation superficielle de la... modernité, on trouve partout des institutions copiées sur celles des États démocratiques, partout - démagogiquement - on adopte la terminologie sociale des États développés... - l'impression de similitude est ainsi garantie. L'uniformité simulée donne l'impression de la globalité du monde moderne - une impression tout à fait fausse. Il convient d'examiner comment ces instruments sociaux apparemment communs fonctionnent dans des communautés où des idées telles que la liberté et la démocratie n'ont pas existé et n'ont pas évolué, où l'industrialisation n'a été connue que très tardivement, où la vie urbaine n'a pas joué un rôle décisif, etc. Des constructions particulières formées au fil du temps, résultat d'expériences spécifiques, qui ne sont rien d'autre que la vie sociale de ce monde. Les constructions sociales assurent dans la mentalité commune la conviction que la société ne peut se développer sans donner à ceux qui le méritent la place et l'attention qu'ils méritent. En l'absence de cette conviction, tout évolue dans une direction différente. Mais là où le passé a offert aux générations d'autres expériences, là où d'autres construits sociaux opèrent (une société ne peut exister sans les convictions qui assurent sa cohérence et un certain mode de fonctionnement), l'idée de méritocratie est une pure démagogie. Imaginez comment cette idée aurait fonctionné au Moyen-Âge. Qui aurait pu évaluer les qualités d'on ne sait quel jeune homme issu d'un milieu modeste, aussi doué soit-il ? Et même s'il s'était trouvé quelqu'un, un généreux mécène pour soutenir un tel homme, le système n'aurait rien changé à ses convictions générales. Si les liens familiaux, économiques et de pouvoir façonnent la réalité sociale, tout ce qui les contredirait serait rejeté sans hésitation. Sinon, comment la méritocratie pourrait-elle fonctionner là où le seigneur féodal rend la justice à coups de fouet ? Il en va de même dans les sociétés néo-médiévales. Sous le communisme, les critères de promotion sociale étaient l'appartenance à une famille de « bonne origine », la loyauté au parti et la sécurité ! Les critères de promotion étaient clairs. Je ne vais pas les énoncer, ils n'ont rien à voir avec les mérites professionnels, l'intelligence ou les études. De même dans la conception nationaliste néo-médiévale (bien que l'idée de nation, comme celle de communisme, soient post-médiévales, elles perpétuent la même mentalité...). Non pas ses mérites, mais... sa pureté ethnique (qui est d'ailleurs extrêmement difficile à prouver, les ethnies se combinant dans de multiples circonstances...) La loyauté, en fait la soumission au communisme ou au nationalisme. On est lié à un groupe, redevable à un groupe, promu dans la mesure où l'on sert le groupe - la valeur individuelle n'a pas sa place ici...
L'économie mondiale est aujourd'hui étroitement liée au principe de méritocratie. Là où le système ne peut fonctionner par parasitisme du budget de l'Etat, comme c'est le cas ici par exemple, les promotions sont conditionnées par l'environnement économique. La machine concurrentielle doit fonctionner et vous n'embaucherez pas un incompétent sous prétexte qu'il est un ami de votre bande. Vous ne pouvez pas vous le permettre. Pour qu'une entreprise puisse fonctionner et faire face à la concurrence, il faut embaucher les meilleurs. Dans le cas contraire, l'entreprise est vouée à l'échec. Il est facile de voir que la méritocratie devient la ligne directrice partout où la société médiévale et son mode spécifique de promotion ont été dépassés. En principe, la méritocratie est devenue aujourd'hui le seul moyen d'assurer le progrès social. Mais cette idée, devenue un slogan populiste, est appliquée dans les sociétés à la périphérie de la civilisation d'une manière tout à fait différente. Parce que la façon de penser et d'agir, la mentalité selon laquelle ces sociétés fonctionnent sont différentes. La société doit accepter que ses meilleurs représentants occupent les postes de décision. Dans les sociétés où le système privé domine, on essaie d'employer les personnes les plus qualifiées - dans celles où le budget de l'État est parasité, on voit bien que les institutions et les entreprises d'État recrutent des loyalistes et des complices. Les choses n'ont aucune chance de changer car chaque changement de gouvernement est suivi d'un changement de la nuée d'incompétents que les gouvernants entraînent dans leur sillage. Les convictions profondes sur le monde social qui créent effectivement la société ne peuvent donc naître et se forger qu'avec le temps. Mille ans de migrations, de luttes pour la survie, de mélanges de cultures, de disparitions de populations entières et ainsi de suite, façonnent un certain instinct vital. Dans les conditions historiques connues de ces lieux, il ne peut y avoir de structures rigides, de fixité par la tradition. Les puissants ne s'authentifient pas par des grades (conventions abstraites), mais seulement par ce qu'ils ont accaparé et par l'imposition violente. Il y a toujours des prétendants supposés au pouvoir - c'est celui qui est le mieux armé qui l'emporte. Dans le monde occidental, ce qui est banal ici est rare là-bas : les dynasties se maintiennent pendant des siècles. Les critères de stratification sociale sont également différents. La vie urbaine est extrêmement réduite. Les établissements temporaires dans les zones rurales dominent. Après mille ans de piétinement des peuples migrateurs, après l'établissement sur ces territoires d'États temporaires de ces migrants, après leur pulvérisation et l'installation d'autres envahisseurs, les convictions profondes des survivants ne peuvent qu'être dominées par ce qu'ils ont vécu. Dans ces premières sociétés, d'autres traits caractéristiques s'installent, le monde se structure selon d'autres constructions. L'absence de ressources, l'appât du gain par tous les moyens, même brutalement, sont autre chose que les lois des hiérarchies nobles - qui supposent la reconnaissance d'un ordre abstrait. Dans... les bas-fonds de la civilisation, ce n'est pas une idée qui règne, mais une possession aussi réaliste et concrète que possible. La puissance, pas le grade. Ce n'était pas des Voltaire et Rousseau, mais des troupeaux de bétail et des terres agricoles dont les propriétaires dépensaient les revenus pour aspirer au luxe occidental. La révolution produite en Occident offrait le modèle, mais copiée, elle avait une signification différente pour les nouveaux occidentalisés......
16) Opinions et jugements (Août 23)
Il existe un large éventail de moyens d'influencer, de changer l'opinion, de canaliser les choix, etc. Des traités ont été écrits et des techniques (voire une véritable science) ont été développées à cette fin. Des cours sont dispensés avec des exercices consacrés à ces pratiques. Il existe des instructions pour augmenter son audience dans les médias. Avec l'ouverture de cet immense et nouvel espace de socialisation, inexistant il y a seulement quelques décennies, la recherche sur l'interaction et l'influence par la communication publique a connu une croissance exponentielle. Il n'y a pratiquement pas de limites à cet égard. Il existe des techniques qui se développent d'elles-mêmes, des mécanismes de communication qui se détachent complètement de ce qui est communiqué. De sorte qu'aucune relation raisonnée ne peut être établie entre les deux composantes de la communication : ce qui est communiqué et la manière dont cela est communiqué. Les spécialistes du domaine sont devenus une catégorie de techniciens qui ne se préoccupent que de l'efficacité de la transmission du message et ne s'intéressent pas à ce qui est communiqué. La responsabilité du contenu de la communication est transférée à d'autres domaines - aux politiciens, aux idéologues, aux spécialistes de l'éthique, aux spécialistes des domaines concernés, etc. L'influence par la communication peut devenir un sport... comme un autre, la technique permettant de réaliser des exploits spectaculaires - comme les culturistes qui, à l'aide de procédures et de substances spécifiques, remplissent leur corps de muscles (quelque chose qui ressemble à... des muscles) qui n'y seraient jamais apparus naturellement... Parfois, des coïncidences inattendues se produisent - comme lorsque certains des millions d'amateurs qui rêvent d'un grand nombre d'admirateurs dans les médias de masse y parviennent réellement. Sans pour autant être plus consistants en termes de contenu que d'autres qui passent inaperçus... D'autres fois, des stars tout aussi inconsistantes se construisent par des moyens similaires. Il suffit de promouvoir avec constance, pendant longtemps, sur une chaîne de télévision ayant une certaine audience, un personnage qui a quelque chose à dire sur les livres, les spectacles, etc., pour l'élever aux yeux du grand public au rang de grand critique d'art... Une fois retiré de la grille des programmes, le cacochyme ne peut que revenir à sa condition insignifiante.
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Il s'agit d'interventions sur un programme pour contrôler l'opinion. Dans ce cas, il y a une intention claire d'orienter les croyances dans la direction souhaitée. Aujourd'hui, ces actions font l'objet d'une attention particulière. On étudie les moyens d'atteindre les objectifs souhaités et des instituts spécialisés sont créés à cet effet. Les principaux domaines visés sont électoraux et commerciaux - élections et ventes. Des bases de données sont gérées pour des cas spécifiques, des algorithmes spécifiques sont utilisés, des prévisions valables sont obtenues à partir de ce qui est connu à un moment donné, des moyens de correction sont envisagés, etc. On pourrait penser que ces outils sociaux ne fonctionnent que pour les élections ou la vente de biens matériels. Mais de la même manière qu'un cuisinier peut être vendu avec succès, un auteur ou un livre peut l'être aussi.
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Les moyens de persuasion ne sont évidemment pas infaillibles. Ils ne peuvent pas tromper une personne bien informée qui réfléchit de manière critique et qui ne prend pas pour argent comptant tout ce qu'elle entend. L'esprit critique et une bonne information sont une protection contre l'influence. Mais une information irréprochable dans un monde où l'information est pléthorique est difficile et demande du temps et de l'énergie. L'esprit critique, quant à lui, présuppose une certaine éducation, une tradition culturelle, un niveau intellectuel... L'esprit critique est le résultat d'une position individuelle équilibrée et ferme. Il est vrai que le sens du terme critique s'est tellement étendu qu'il en est venu à couvrir toutes les contradictions, de l'analyse justifiée et raisonnée à l'objection pour l'objection, en passant par la recherche du nœud dans la boue. Les véritables critiques sont donc rares. Ils sont d'ailleurs difficilement identifiables dans l'avalanche des soi-disant critiques... La vraie critique est rare et, comme on peut le comprendre, elle est submergée par ceux qui manipulent les louanges de toutes sortes (parfois cachées sous d'habiles formes de... critiques...).
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Tout cela fait partie des actions délibérées d'influence sur des « cibles » au sein d'une catégorie spécifique d'individus. Elles ont un destinataire et un but. Il existe une autre catégorie de pressions exercées sur les choix d'autrui. Une force insidieuse. Alors que les efforts intentionnels de persuasion sont souvent faciles à détecter, même si nous ne succombons pas une seule fois à leurs intentions, même si nous sommes conscients de ces intentions, cette autre forme d'influence n'est pas perçue comme telle. En outre, elle ne se présente souvent même pas comme une tentative d'influence et n'est pas non plus nécessairement le résultat d'une telle intention. Elle est simplement le résultat de la vie sociale. Comme chacun sait, l'homme est un « produit » social, formé et évoluant dans la collectivité. La période de formation est longue et nécessite des efforts soutenus de la part des éducateurs (parents, enseignants, etc.). Dans le processus d'éducation, les choix personnalisés sont rarement cultivés - les constructions sociales qui constituent la réalité sociale des collectifs respectifs sont fixes. Ceci est valable pour toute l'existence de l'individu - avec des adaptations, des modifications requises par les époques historiques, mais sans perdre la continuité avec l'époque de formation. Si l'individu est transféré dans une autre culture, il s'adapte au nouveau système et le pratique - ou, dans le cas contraire, il reste un étranger... Les systèmes culturels ne seront pas toujours fidèlement acceptés - mais ils forment le cadre, la structure dont font partie, en tant que membres de la société, même ceux qui ne les acceptent pas, qui s'y opposent, qui se définissent par la négation. Ceux qui enfreignent les règles restent dans le système. En dehors de la société, il n'y a que ceux qui vivent dans un autre... monde...
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Les choix des individus dans une collectivité ne sont pas entièrement libres, comme on pourrait le croire. Pas même les opinions sur un film ou un livre. Le vote s'exprime librement - mais dans la plupart des cas, ce n'est pas le citoyen qui fait le choix. Il est et n'est pas seul à voter. Une structure complexe est à l'œuvre entre l'électeur et le choix qu'il fait. Une structure compliquée, inégale, asymétrique. Des médias aux services (plus impliqués qu'on ne le croit dans l'orientation des opinions des individus - des opinions politiques aux choix sociaux et... aux préférences culturelles), des réseaux sociaux... naïfs à ceux animés par diverses... officines, du voisin bienveillant au parent... bien informé, etc... - tous exercent une influence. Bien sûr, l'efficacité de ces facteurs d'orientation de l'opinion est très inégale, allant de 0 % à des pourcentages vertigineux. Bien sûr, il y a des individus qui font leurs propres choix, mais ils sont trop peu nombreux, et même eux se laissent encore envoûter par le chant des sirènes. Tant que les intérêts des entités les plus nombreuses et les plus efficaces ne sont pas dans l'intérêt de la société, les choses ne vont pas bien. Quoi qu'on en dise, toutes les sociétés n'ont pas toujours la maturité nécessaire pour choisir la meilleure voie pour elles... Et changer les influenceurs de l'opinion publique - c'est ce à quoi nous travaillons... sans relâche...
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Il existe de fortes personnalités qui, grâce à l'éducation et au pouvoir de la pensée, acquièrent une certaine indépendance. La rectitude de ces personnalités peut même parfois aboutir à influencer les autres (pour le meilleur ou pour le pire). Mais cette indépendance se manifeste aussi dans l'environnement social ! Dans le règne humain, il n'y a de singularisation que dans... la collectivité. En dehors de celle-ci, l'être humain mature, dans la plénitude de ses facultés intellectuelles, n'est qu'une... partie de la nature, du cosmos auquel il s'adapte - comme tout ce qui fait partie de la nature...
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Les effets de l'environnement social sur la formation des opinions individuelles sont particulièrement évidents dans les domaines où il n'y a pas d'unités de mesure précises, où les gens travaillent exclusivement avec des impressions et des opinions. Ceux qui sont conscients de leurs possibilités ne donneront pas leur avis sur une question scientifique où les choses sont fixées avec précision. Il existe, bien sûr, des points de vue originaux de scientifiques qui modifient la vision scientifique acceptée, mais ils n'appartiennent pas aux amateurs, ni à ceux qui ne font que deviner, mais aux spécialistes qui innovent sur la base d'une très bonne connaissance des faits du problème - et non sur la base de l'ignorance. C'est pourquoi les « admirateurs » des génies scientifiques, des domaines spécialisés, sont peu nombreux par rapport à ceux qui se manifestent dans les arts, les sports, etc. Il n'y a pas de place pour les affirmations non fondées dans les sciences ; dans les domaines de la deuxième catégorie, il y a beaucoup de place pour de telles choses... Bien sûr, il s'agit d'expériences complètement différentes (art vs. raisonnement scientifique), mais en tant que phénomènes sociaux, phénomènes impliquant des groupes de personnes, ils peuvent être mis sur un pied d'égalité. Là aussi, il y a une solidarité par catégorie, par fascicules sociaux distincts. Il y a, et c'est prouvable, un certain consensus sur les goûts en fonction du niveau d'initiation dans le domaine. Il est évident que ceux qui connaissent mieux la littérature, les arts plastiques, la musique, etc. ont des options artistiques bien différentes de celles de l'homme de la rue, inculte en la matière.
17) Cosmopolitisme et... cosmopolitisme (Sept 23)
Rares sont les personnes instruites qui ne savent pas comment est née la formule « formes sans fond » et quel rôle elle a joué dans l'adaptation de la Roumanie moderne au monde civilisé. La formule est devenue célèbre et a accompagné (et accompagne encore...) les évolutions de la société dans laquelle nous vivons. Personne ne se révolte lorsqu'elle est utilisée - on pourrait même dire qu'elle est acceptée comme quelque chose d'inévitable... D'autant plus qu'elle s'avère être d'une pertinence perpétuelle... Mais combien de personnes connaissent l'opposition totale déclenchée par la parution de l'article dans « Convorbiri literare » et ses conséquences ? Lors de la publication des observations tranchantes de Maiorescu sur l'adaptation de la société de ces pays au monde occidental, la presse de l'époque a accablé l'auteur d'accusations. Les réactions de l'époque sont symptomatiques non seulement de l'attitude à l'égard de Maiorescu, mais aussi de l'atmosphère spirituelle de l'époque. Chaque époque est structurée autour de certains thèmes et attitudes ; il est possible d'esquisser le profil de l'époque en mettant en évidence les thèmes privilégiés et la manière dont ils sont traités. Ces thèmes n'apparaissent pas exclusivement à cette époque, ils ne sont évidemment pas les seuls à circuler à ce moment-là, mais ils sont privilégiés, ils sont constamment présents dans les prises de position des commentateurs, ils sont repris, soutenus, débattus avec prédilection, en un mot ils couvrent une grande partie de l'écran de l'actualité. Nation, nationalisme, patriotisme (généralement confondu avec le nationalisme) sont les idées dominantes de l'époque. Pas seulement dans notre pays - elles couvraient toute l'Europe à l'époque - certes avec des significations très différentes - mais elles anticipaient déjà l'esprit de Caragiale. Bien sûr, il y a eu de sérieuses batailles entre partis, factions, personnalités et individus, des questions considérées comme essentielles ont été soulevées, et ainsi de suite, mais tout cela s'est joué sur la carte nationale. C'était une époque où les peuples du continent vivaient une fièvre d'affirmation nationale, d'imposition... des différences. En même temps, bien sûr, c'était aussi l'époque de la revendication de la civilisation européenne partout, et les reproches, les louanges et les arguments de notre publicité allaient dans ce sens. Il n'est donc pas difficile de comprendre pourquoi les déclarations critiques radicales et franches de Titu Maiorescu, qui sont apparues au milieu d'un enthousiasme national débordant, n'ont pu que provoquer des réactions proportionnelles. Des attaques ont été enregistrées dans les publications « Românul », « Trompeta Carpaților », « Federațiunea », « Uniunea liberală », « Telegraful »... Il a également été rejeté par des noms éminents de l'époque - à commencer par G. Bariț, qui a lancé la série d'attaques, et par de nombreux autres jusqu'à Hasdeu, l'éternel adversaire du Junim. Ce qui est important, c'est ce qui a été reproché à Maiorescu. On ne lui a pas dit que ses observations n'étaient pas vraies, on ne lui a pas donné d'exemples pour montrer que la réalité était bien différente de ce qu'il avait présenté dans ses écrits. On lui a reproché ce qui lui est encore reproché aujourd'hui par une écrasante majorité de ceux qui ne tombent pas automatiquement dans l'admiration des productions locales. On l'accusait de renier les valeurs nationales, d'être antiroumain, de... se vendre aux étrangers. (Notez la différence de sens marquée entre le cosmopolitisme de l'époque et le cosmopolitisme d'aujourd'hui...) C'était (et c'est toujours) une position quasi-officielle de l'État. Les intellectuels progressistes qui ont emprunté les idées nationalistes circulant en Occident et imposé la nécessité d'européaniser la Roumanie, de la sortir de la bulle orientale, ont transformé l'idée d'une nation indépendante en une attitude autoritaire. L'enthousiasme pașoptiste en a fait une position officielle, et l'on a exigé non seulement la loyauté envers l'État (ce qui aurait été tout à fait naturel), mais aussi un soutien élogieux. Un uniforme officiel, propagé dans les écoles, les arts et les diverses manifestations culturelles, les discours politiques, etc. En toutes circonstances, la Roumanie ne pouvait être présentée que de manière élogieuse, avec le plus haut degré d'admiration. Il s'agissait d'un nationalisme ayant ses racines dans le romantisme allemand, prônant une continuité des traditions, une mystique des origines de la nation - radicalement différente des idées des Lumières d'une communauté de citoyens rationnels comprenant leurs droits et obligations... L'enthousiasme national européanisant et pașoptiste qui s'est développé dans la version roumaine (similaire au nationalisme d'autres pays d'Europe de l'Est) sous cette forme spécifique a éliminé d'emblée toute attitude critique. L'exhortation d'Heliade Rădulescu est caractéristique à cet égard. « Écrivez les garçons, n'importe quoi, écrivez seulement... ». Il n'y avait pas de temps pour... la critique, il fallait seulement montrer qu'une littérature roumaine existait. (Il est vrai que Heliade - Rădulescu, esprit lucide, est allé au-delà du programme politique et a souligné le revers de la médaille : l'encouragement de la médiocrité nationale. M. Sarsaila, l'auteur, est une illustration de ce que signifie l'application de son exhortation sans contrôle critique...) La situation était la même dans tous les domaines de la vie sociale. Il fallait improviser quelque chose, quelque chose de national. Il fallait faire quelque chose sur le modèle occidental, de quelque manière que ce soit, si seulement on pouvait le faire. Dans ce contexte, les objections aux réalités roumaines n'avaient plus d'importance (majeures ou insignifiantes, justifiées ou injustifiées), elles devenaient automatiquement des attitudes anti-nationales, anti-roumaines. Certes, les offenses, les dénigrements gratuits ne pouvaient être acceptés, mais on condamnait en même temps les attitudes critiques justifiées, les observations critiques réellement imposées par la réalité, qui, si elles avaient été prises en compte, auraient contribué à clarifier des situations confuses. En éliminant la critique, on élimine les moyens de vérification et de rectification, perpétuant ainsi (et aggravant avec le temps) les erreurs mêmes qui ont grevé la modernisation du pays. Ce rejet de toute forme de critique des réalités nationales, apparu lors de la création de la Roumanie moderne, s'est éternisé, est devenu une composante essentielle de l'idée de nation, etc. Aujourd'hui, la formule de Maiorescu est acceptée par beaucoup comme l'effet de... la répétition, elle est affirmée par une majorité sans comprendre sa triste conclusion... Maiorescu est devenu à l'opposé de la direction actuelle... l'ennemi du roumain, le « cosmopolite », l'admirateur de l'étranger, etc. Personne n'a accepté publiquement la vision critique de Maiorescu. Pas même ceux dont on s'attendrait à ce qu'ils le soutiennent, par exemple le junimiste A. D. Xenopol.
Les historiens de la littérature ont enregistré le soutien d'Eminescu à Maiorescu. C'est dans ce contexte que la majorité de ses collègues de « România jună », la société viennoise des étudiants roumains à laquelle appartenait le poète, a réagi contre le leader de la Junte. L'hostilité de la majorité des membres de la société est également dirigée contre Eminescu et Slavici, critiqués pour leur soutien. Eminescu a défendu Maiorescu contre le cosmopolitisme, arguant que... le cosmopolitisme n'était même pas possible. Chaque individu travaille dans un contexte spécifique, se mettant ainsi au service des personnes au milieu desquelles il travaille : « J'ai toujours soutenu que la notion de cosmopolitisme est une notion qui n'existe pas. Ne soyons pas inventifs sur des sujets dont le sens serait difficile à définir pour chacun d'entre nous. Peut-être le cosmopolitisme existerait-il - s'il était possible. Mais c'est impossible. L'individu qui veut vraiment travailler pour la société ne peut pas travailler pour une humanité qui n'existe que dans ses parties concrètes - dans les nationalités. L'individu est condamné par le temps et l'espace à travailler pour la seule partie à laquelle il appartient. C'est en vain qu'il s'efforcerait de travailler pour toute l'humanité à la fois ; il est lié par des chaînes indissolubles au groupe de personnes dans lequel il est né. Il n'y a rien de plus cosmopolite que les mathématiques pures, et pourtant le savant sera obligé de les écrire dans n'importe quelle langue, et par ce moyen de communication elles deviennent avant tout la propriété d'un groupe d'hommes, d'une nationalité, et cette nationalité considère le savant comme sien, autant que ses théories peuvent appartenir à toute l'humanité. Le cosmopolitisme est un faux-semblant et rien d'autre... » (Des réunions de la société “România Jună”. Nationaux et cosmopolites) Mais l'article d'Eminescu reste... inédit.
La postérité ne s'est pas non plus ralliée à la thèse de Maiorescu. Pas tout à fait, en tout cas. Sans porter les accusations brutales de ses contemporains, ceux qui sont venus après lui se sont efforcés de... « positiver » la formule des formes sans substance, d'en trouver les... parties positives, d'en désamorcer le caractère originel. En fait, la rhétorique nationaliste a été perpétuée comme ligne officielle et quiconque la contredit devient aujourd'hui encore un « ennemi du roumain ». Cependant, Maiorescu avait compris que le nationalisme ouvrait une porte de sécurité aux échecs, aux demi-mesures - en apposant l'étiquette d'un produit roumain sur le dessus. Maiorescu reconnaît le risque de présenter le médiocre comme exceptionnel simplement parce qu'il s'agit d'un produit local, satisfaisant ainsi l'ego cultivé par la rhétorique nationaliste. (Cette rhétorique est encore ridicule aujourd'hui quand, dès qu'une personnalité apparaît sur la scène internationale, née, éduquée, établie dans je ne sais quel espace culturel qui n'a rien de commun avec la Roumanie, on découvre que la personnalité en question a... des racines roumaines...). Le nationalisme ethnique est toujours actif, selon lequel... l'essence du roumain est inévitablement transmise aux descendants...) Selon Maiorescu, ce qui est mauvais ailleurs l'est aussi ici... La vérité est qu'à travers son exercice critique, il soulève un vieux problème : valeurs universelles vs. valeurs locales. Existe-t-il ou non des choses universellement acceptées qui peuvent être supérieures à d'autres dont le principal mérite est d'être des réalités locales ?
Dans Against Today's Culture..., Maiorescu juge les productions culturelles roumaines en les comparant aux réalisations universelles et souligne ainsi le manque de valeur des roumaines. Ce faisant, il compare des œuvres universellement reconnues avec des produits locaux. Il est facile de comprendre de quel côté il fait pencher la balance. La question est de savoir s'il existe une échelle de valeurs unique et universelle ou s'il faut l'adapter aux conditions locales. Les résurrections nationales ont favorisé cette dernière solution. Une échelle de valeurs pourrait devenir... locale si les valeurs sont contextualisées, si l'acte d'appréciation devient dépendant des circonstances dans lesquelles il s'exerce. Les évaluations faites par des groupes de personnes ne le sont-elles que pour ce groupe de personnes, et ce qui peut sembler précieux à un groupe ne l'est pas pour un autre ? Ce serait la justification du localisme, de la parcellisation des jugements de valeur en fonction des régions, des segments sociaux, etc. Maiorescu pensait que l'essence du nationalisme était le renflouement de la médiocrité locale...
Constantin Pricop
trad G&J
Un mot sur Constantin Pricop par Flavius Paraschiv (janvier 2024)
Le professeur Pricop est le rédacteur en chef de la revue roumaine Cultural Expres, où il écrit depuis 2017 une chronique spéciale, vivante et acide, dans laquelle sont présentés, analysés et critiqués divers aspects du monde littéraire et de notre espace socioculturel. En tant que rédacteur en chef, Constantin Pricop a réussi à rassembler autour de la publication des personnes talentueuses, des voix connues en Roumanie qui ont quelque chose à dire sur la littérature et au-delà. En tant que mentor, le professeur s'est révélé être non seulement une source d'information crédible, mais aussi un modèle. Il ne pouvait en être autrement, puisqu'il n'est pas seulement un connaisseur de la littérature, mais aussi un solide esprit critique, capable de recommander des lectures vraiment essentielles et formatrices. Pour certains, Constantin Pricop a été plus qu'un professeur. Ceux qui l'ont mieux connu ont découvert un homme ouvert, libre de toute contrainte idéologique inutile et désireux d'aider et de guider. Les lecteurs de sa chronique dans le magazine « Cultural Express » savent que le professeur n'est pas du tout indulgent avec les travers d'aujourd'hui, c'est pourquoi il les pointe du doigt dans un style ironique et caustique.