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AUTEUR-E-S - Index I

2 - Constantin Pricop

30) Écrivain né à Iași : B. Fundoianu (I) - 31) B. Fundoianu (II) - 32) Le jeune Fondoianu (III) - 33) Le jeune Fondoianu (IV)




Écrivain né à Iași : B. Fundoianu (I) - (nov - déc 24)


B. Fundoianu est l'un des rares écrivains roumains à avoir une double carrière littéraire : une partie des textes qu'il a écrits sont rédigés en roumain, l'autre en français. L'étude du rapport entre ses écrits en roumain et ceux en français devient donc indispensable pour une connaissance correcte de cette personnalité. Si, à première vue, le « passage » d'une langue à l'autre n'est qu'un changement de vêtement linguistique, l'« être » de l'écrivain restant le même (n'a-t-on pas dit de Panait Istrati qu'il est... un écrivain roumain dans un vêtement linguistique français ?), en réalité, ces transferts sont plus compliqués. Pour l'écrivain, la langue n'est pas, comme on le sait, un simple outil que l'on peut remplacer sans problème. Elle est la colonne vertébrale de l'ego de l'écrivain ; changer la langue dans laquelle l'écrivain s'exprime entraîne des changements significatifs, un remodelage de la personnalité créatrice. L'étude de la façon dont la personnalité créatrice se « multiplie » en apparaissant sous une nouvelle forme n'est pas, bien entendu, sans intérêt. L'examen de textes significatifs pour B. Fundoianu peut constituer un premier pas dans une telle recherche.

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 B. Fundoianu était critique littéraire, essayiste et gazetier en roumain. Il a émigré en France en 1923, à l'âge de 25 ans, après avoir publié Imagini și cărți din Franța in Romania en 1921, un livre qui a provoqué une réaction à cause des déclarations sur la littérature roumaine dans la préface. Quelles sont les choses « scandaleuses » que l'auteur de 23 ans a dites dans cette préface tant vantée ? Suivons l'ordre de ses arguments. Tout d'abord, Fundoianu réitère ses déclarations sur les relations entre les littératures roumaine et française. Plus précisément, il s'agit du caractère de pure imitation de la littérature française par la littérature roumaine. La « découverte » de cette dépendance, comme le souligne l'auteur lui-même, n'est pas de son fait. Elle avait été remise en question avec véhémence, par exemple, par l'une des figures de proue de l'époque : Nicolae Iorga. Dans son étude, Fundoianu ne contredit pas le grand historien, mais radicalise seulement le sens de ses observations. Il ne s'agit pas d'influence, de symbiose, affirme le jeune critique, mais de parasitisme. « Je ne veux pas affirmer ici, ce qui est une vieille chose, que notre littérature vit avec celle de la France dans une agréable symbiose ; cela signifierait, si l'on respecte le sens du mot emprunté à la botanique, qu'elles vivent en commun, dans un mariage, et que l'une sert l'autre. L'histoire de la littérature est là pour nous dire que notre littérature n'a été qu'un parasitisme. D. Iorga a admirablement remarqué combien nous étions français avec Logofat Conachi, lamartiniens avec Bolintineanu, hugolâtres avec Alecsandri. La liste est longue. Bălcescu n'a pas oublié Lamennais, pas plus que Costache Negruzzi n'a oublié Prosper Mérimée, Macedonski a commencé avec Musset et a fini avec Mallarmé. De 1900 à nos jours, le paysage littéraire doit son orientation et sa substance à Baudelaire, Verlaine et Laforgue ». Rarement, cependant, la littérature roumaine s'est trouvée en mesure de se libérer de cette intimité trop étouffante. « Par deux fois, notre littérature a tenté d'échapper à ce coït trop excessif : une fois avec Filimon, qui a apporté le romantisme allemand dans son bagage littéraire, et la deuxième fois avec Eminescu, la figure représentative de toute l'idéologie des Conversations Littéraires. » Le fait qu'Eminescu se développe dans un milieu culturel autre que celui de la littérature roumaine lui semble douloureux, et la tentative d'Iorga de lutter contre l'influence française évidente est vaine. « Il est douloureux que notre seul écrivain brillant ait germé dans un autre arbre, qu'il ait grandi dans un autre cocon que celui dans lequel notre littérature s'est habituellement développée. Mais cela ne change rien à la réalité, et M. Iorga a commis un acte insensé en luttant contre l'influence de la culture française dans notre pays ». Pourquoi serait-ce insensé ? Parce qu'« une culture peut donner des orientations et des conseils, des matériaux et des stimulants, mais elle ne crée pas d'hommes de génie ». D'ailleurs - grâce à quel hasard chimique - Eminescu, qui appartenait à la littérature allemande, était un miracle - tout comme, d'ailleurs, le logopède Conachi, l'homme de l'autre race, était un maniaque ». Et, après avoir constaté que le génie d'Eminescu n'a pas changé l'ordre des influences, il proclame notre impossibilité d'assimilation, l'absence de talents remarquables, etc. « Notre culture compte donc un génie - mais il n'a pas poussé vers le Rhin le bateau de notre histoire littéraire, resté sur les rives de la civilisation française. Si notre littérature a été un parasitisme continuel, ce n'est pas la culture de la France qui est en cause, mais notre incapacité à assimiler - plus : l'absence de talents remarquables capables de faire quelque chose d'ordonné et de correct d'une nourriture étrangère. » Et l'auteur de se demander, de manière rhétorique, s'il ne nous manque pas... l'âme, « une âme différente et personnelle », « puisque nous n'arrivons pas à créer une littérature qui puisse se suffire à elle-même, sans attachement à l'extérieur » ? Et il ajoute, pour éviter tout malentendu : « Qu'on ne dise pas que l'allusion condamne seulement les “symbolistes”. Comme il est facile de réduire l'âme de Sadoveanu à l'âme slave, et comme il est douloureux de la découvrir - en tant que fantôme. En l'absence de cette âme, nous avons été contraints d'emprunter ailleurs, et c'est ce qui rend notre situation si triste. Si une orientation littéraire étrangère est toujours un avantage, une âme étrangère est toujours un danger. 

Faute d'une « âme » propre, entre l'apparition du premier « talent remarquable », Eminescu, et celle du second, Arghezi, la littérature roumaine n'a réussi qu'une chose : fixer la langue littéraire. Elle est ainsi sortie de la sphère de la « mauvaise imitation » pour entrer, « avec toute sa hardiesse », dans une nouvelle catégorie. Enfin, nous arrivons aux phrases incriminées. « Notre culture a évolué, elle a pris un visage et un état, elle est devenue une colonie - une colonie de la culture française ». C'est ainsi que la littérature roumaine, dont pas mal de gens sont fiers, pleins de conviction, est présentée comme une pauvre colonie de la littérature française... L'auteur tente de nuancer cet état de fait. « Nous nous accrochons à la littérature française à cause de notre bilinguisme - au moins la classe de chevauchement. » Un bilinguisme toutefois incomplet, tient à souligner l'auteur, car « nous ne pouvons pas écrire en français, ce qui serait pourtant la seule logique, et en roumain, que nous imitons dans notre “cercle étroit”, nous n'apportons aucune contribution ni aucun bénéfice à la culture générale ». Notre condition semble, de ce point de vue, condamnée. « En tant que littérature personnelle, nous ne pouvons intéresser personne. Nous devrons convaincre la France que, sur le plan intellectuel, nous sommes une province dans sa géographie, et que notre littérature est une contribution, dans ce qu'elle a de plus supérieur, à sa littérature ». Si Fundoianu recommandait d'attendre notre reconnaissance en tant que colonie de la littérature française, son diagnostic sévère était sans aucun doute contraire à l'atmosphère d'affirmation nationale (y compris littéraire) enthousiaste dont l'intelligentsia roumaine était nourrie à l'époque. L'opinion semblait exagérée et même des auteurs ouvertement favorables à la synchronisation de la littérature roumaine avec la littérature occidentale (comme E. Lovinescu, pour la revue « Sburătorul literar » dans laquelle Fundoianu avait publié) ont protesté. Nous reviendrons sur les réponses et les protestations. Pour l'instant, il est important de souligner que les propos de Fundoianu ne sont inhabituels que par leur radicalité et par la solution envisagée. Sinon, les accusations d'imitation de la littérature française (entre-temps, pour être juste, nous sommes passés à l'imitation d'autres littératures...) ne manquaient pas même avant Fundoianu. Nicolae Iorga, que l'auteur cite, comme nous l'avons vu, avait condamné sans ambages notre asservissement littéraire. Fundoianu ne fait pas le chemin inverse, sauf qu'au lieu de rejeter les écrits trop... contaminés, il estime que l'imitation est trop enracinée pour être refusée, et qu'il serait honnête de nous reconnaître simplement comme... une colonie de la littérature française. Le thème de l'emprunt était connu et fréquent - Fundoianu le radicalise...


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La sélection des auteurs roumains considérés par Fundoianu comme porteurs d'un esprit original (si peu nombreux !) ne choque pas non plus par son originalité. Comme nous l'avons vu dans le passage reproduit ci-dessus, notre auteur considère néanmoins qu'il existe aussi des auteurs non contaminés par des emprunts, représentants de l'esprit roumain. Il cite Filimon et Eminescu, puis Arghezi. L'admiration inébranlable que le jeune Fundoianu portait au talent d'Arghezi est sans faille. Mais il n'est pas le seul écrivain roumain apprécié par l'éphémère critique. Les nombreux articles parus dans la presse permettent de découvrir d'autres auteurs appréciés pour la couleur locale de leurs écrits. Creangă, par exemple. D'ailleurs, après Images et livres de France, Fundoianu a prévu de publier un volume d'Images et livres roumains.


Nous pouvons donc prouver sans difficulté que l'attitude drastique de Fundoianu à l'égard de la littérature roumaine trouve ses racines dans les positions un peu moins sévères, à la recherche d'une « solution » différente, de Nicolae Iorga. Voici ce qu'il a dit (en 1903 !) sur la mission de l'intellectuel roumain. « Ce que nous devons faire avant tout, c'est purifier, rendre notre culture entière et, surtout, la diffuser », car en Roumanie, nous avons “un État pour tous, et une culture pour les boyards et les parveniții en place”. Les conclusions de M. Iorga n'ont pas non plus été tendres lorsqu'il a déclaré : « Nous avons un État national sans culture nationale, mais avec une spécialisation étrangère, française ». Sans culture nationale, avec une spécialisation étrangère et française, nous aurions dû mettre de côté ce que nous avions faussement imité pour commencer notre propre culture. Dans son intervention, Fundoianu a mis en doute notre capacité à repartir du début, dans une autre direction.




B. Fundoianu (I) - (janvier 25)


En commentant le livre d'Ibrăileanu L'esprit critique dans la culture roumaine (dans deux articles parus dans « Sburătorul literar »), Fundoianu présente implicitement son point de vue sur la critique roumaine. Son évaluation commence par la situation générale de la société roumaine. Notre espace étant soumis aux vicissitudes de l'histoire, nous avons joué un rôle « immense », dit Fundoianu, en endiguant les vagues d'envahisseurs se dirigeant vers l'Europe, mais ce mérite s'est traduit par une absence culturelle. Nous n'avons pas défendu notre culture parce que... nous ne l'avions tout simplement pas... Nos débuts ont été tardifs, à une époque où le continent occidental possédait déjà des traditions, une culture et une civilisation. Les emprunts aux pays développés étaient inévitables. « La voie n'était pas très bonne, mais il n'y en avait pas d'autre. C'est ainsi que commence « l'histoire culturelle des Roumains ». En d'autres termes, l'histoire des « moyens de transplantation des valeurs politiques, littéraires et historiques trouvées ailleurs ». Mais l'assimilation a nécessité un discernement dans le choix de ce qui nous aurait convenu, de ce qui pouvait être adapté à l'esprit local. Un esprit critique nécessaire. Jusqu'à Maiorescu, nous avions une critique culturelle parce que « la critique culturelle devait opposer quelque chose à la culture européenne qui se déversait sans mesure dans les Principautés : elle opposait à l'imitation littéraire sans limites un fonds propre : la poésie populaire ; à l'exagération et à l'hystérie, l'école critique opposait le bon sens... » A partir de 1880, cependant, son action cesse. « La critique culturelle, poursuit Fundoianu dans sa présentation de l'œuvre d'Ibrăileanu, constatant que la seule chose que nous faisions était l'importation culturelle, l'a encadrée ; mais à partir de 1880, que faisions-nous ? L'importation culturelle.../.../ Alors qu'avant 1880 nous étions conscients de ce phénomène et le surveillions, aujourd'hui notre vanité ne nous permet plus de le faire, nous apportons la culture sans contrôle, et c'est tout ». La déviation de la critique culturelle vers la critique littéraire a été l'un des plus grands dommages causés à la culture roumaine ». Bien qu'il semble que des progrès aient été accomplis depuis 1848, nous sommes en réalité restés au même niveau. On se souvient de la maturation des capacités d'expression, de la langue. « Depuis lors, le facteur culturel le plus important qui soit s'est constitué : la langue. C'est donc dans la langue que nous avons une petite tradition, c'est dans la langue que nous trouverons les limites des emprunts à l'Europe, c'est dans la langue que nous trouverons des modèles ». Mais ce n'est que dans la langue que nous trouverons des modèles - chez Odobescu, Eminescu, Arghezi, Galaction - poursuit l'auteur. Mais ils ne peuvent pas être présentés comme des modèles littéraires, car les pays étrangers peuvent fournir « un archétype » pour chacun d'entre eux. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'écrivains originaux, propres à la culture roumaine - leur modèle artistique peut être identifié ailleurs. Une conclusion soulignée dans l'esprit de la préface d'Images et livres de France : « La littérature roumaine n'a eu pour l'instant que la valeur d'un modèle linguistique - tout comme la critique roumaine (culturelle et littéraire) n'a eu d'autre valeur que celle de l'action, une valeur nationale, pragmatique - jamais esthétique, et donc jamais européenne ». En résumé, la manifestation de la critique culturelle avait été bénéfique en ce qu'elle permettait de prendre conscience de ce qui était pris ailleurs ; après le renoncement à ce type de critique et la diffusion exclusive de la critique « esthétique », la seule chose qui a progressé a été le raffinement de l'expression, de la langue littéraire, le reste se faisant sous l'égide de l'imitation. N'oublions pas l'exubérance des « esthètes » qui méprisaient la critique culturelle... Pendant longtemps, ce type de critique, post-majoritaire, a méprisé ce qu'avait fait Maiorescu. Il avait eu la mauvaise habitude de comparer les repères culturels européens avec les productions locales. Cette méthode a été abandonnée lorsque tout a été limité aux productions nationales. Dans les nouvelles circonstances, d'innombrables « grandes valeurs », « grands talents », « œuvres exceptionnelles », etc. émergent. La valeur est... amplifiée si le cercle des personnes pour lesquelles elle a un pouvoir de circulation est limité. Bien sûr, dans un village (nous avons longtemps été un pays éminemment agraire), il y a des gens à la tête de la communauté qui apparaissent différemment si on les place au niveau d'une ville (d'où le dicton roumain : mieux vaut être à la tête du village qu'en bas de la ville...) ; sans parler du changement de perspective lorsqu'il s'agit de comparer avec la littérature européenne ou mondiale... Le jeu avec les « grandes valeurs » locales commence avec le moment capté par Fundoianu - et se poursuit aujourd'hui. La conclusion du jeune commentateur est catégorique : « nous ne pouvons pas plus avoir une critique esthétique aujourd'hui que nous ne pouvions avoir une critique esthétique en 1840 ». La critique culturelle n'est pas seulement la seule possible, elle est la seule nécessaire ». L'imitation, qu'on le veuille ou non, est devenue la condition de la littérature roumaine - une condition qui se manifeste encore aujourd'hui. Dans tous les domaines, y compris la critique et la théorie littéraires. Ce que Fundoianu a dit il y a un siècle est toujours valable. L'exercice de la critique roumaine a la valeur d'une action nationale et pragmatique - un élément nécessaire pour réguler le fonctionnement d'une activité littéraire nationale. Dans un contexte plus large, dépassant les frontières de la culture roumaine, il est rarement devenu significatif.  

Cette excursion dans l'histoire de la critique roumaine devient l'occasion de clarifier sa propre position dans le contexte de la critique roumaine. Fundoianu avoue qu'il appartient « à l'école critique moldave de Russo, Kogălniceanu et des “Junimei” ». Il avoue avoir eu un moment l'idée de faire de la critique littéraire - mais la tentation « était là dès le début », « vaincue par le besoin national /.../ de remplir avant tout notre rôle d'importateur de la culture européenne ». L'auteur justifie donc son attitude dans Images et livres de France par un acte de critique culturelle. « J'ai expliqué dans le livre qui a assumé cette activité (Images et livres de France) pourquoi un livre sur les écrivains français est un livre de critique roumain - je l'ai expliqué comme un impératif culturel et, en même temps, comme un travail de sélection, de limites. Le texte de M. Ibrăileanu nous aide à sortir du chaos ; nous revenons alors au point de départ de Maiorescu, à la critique culturelle, c'est-à-dire à la critique des possibilités de croissance, d'enrichissement et de désassimilation d'une culture ». L'examen des thèses dans L'esprit critique dans la culture roumaine est suivi par la question de la contribution roumaine à la culture universelle. (Non sans avoir reproché à E. Lovinescu, dans la revue duquel il a publié, de s'être limité à la littérature, celle-ci ne pouvant exister seule, mais devant être liée à l'ensemble de l'existence culturelle...) « La culture roumaine n'a-t-elle rien apporté de nouveau, rien de spécifique ? /.../ Aucune contribution, heureuse et nouvelle, n'a pu être produite depuis notre apparition dans l'histoire ? » La réponse n'est plus catégorique, comme dans le cas de la préface incriminée - bien qu'elle ait une certaine touche d'originalité. L'idée d'attribuer l'un des traits marquants de la vie historique des Roumains à... leur passion pour les livres est en effet inédite. (Il convient de souligner que cette remarque remonte à 1922, lorsque ce compte rendu du livre d'Ibrăileanu a été publié dans « Sburătorul literar » ; car s'il était question de l'amour des livres chez nos compatriotes aujourd'hui...) L'auteur poursuit en disant que les Roumains croient au monde des livres, aux libraires - transformés ainsi par Fundoianu en un peuple de livres... Nous avons apporté quelque chose de nouveau - d'une valeur culturelle inimaginable - et si nous devons toutes nos infirmités à cette nouveauté, nous lui devons, en retour, le fait d'avoir une existence nationale, une physionomie. Mais cet apport n'est pas le fait de la génération de 48, il remonte aux sources les plus anciennes de l'histoire roumaine : les chroniqueurs en ont été les véritables créateurs. La Roumanie d'aujourd'hui, d'origine obscure, traco-roumaine-slavo-barbare, doit son existence et son appartenance européenne actuelle à une erreur féconde qui est devenue, au service de l'instinct de conservation, une idée fixe : l'idée de nos origines latines. Sans cette illusion, nous serions peut-être restés une tribu incohérente et balkanique. L'histoire politique et culturelle des Roumains n'est rien d'autre que l'histoire et l'aventure de cette idée fixe et féconde. /L'illusion d'Israël, par exemple, d'être le peuple élu, l'a poussé vers son aventure, unique dans l'histoire. Notre illusion, transformée en vérité, d'être latins, a créé un pays et nous a donné des besoins européens, dont le premier est de faire partie de l'Europe. Nous sommes latins depuis aussi longtemps que nous pensons l'être, c'est-à-dire depuis environ 300 ans. Notre culture a alors apporté sa seule et plus grande note spécifique ; l'idée de notre latinité est un produit exclusivement culturel, mais avec des fruits culturels et politiques. . Si elle nous a poussés vers la France, et si notre rôle de colonie de la France était inévitable, c'est une conséquence de la prémisse que nous sommes latins - voici le revers de la médaille. » Fundoianu en tire les conclusions qui s'imposent : « Si l'idée que nous sommes latins nous a été d'une utilité inimaginable, cette idée nous empêche aujourd'hui d'élaborer l'autre note spécifique sans laquelle nous ne pouvons pas exister. » Si nous restons de simples « consommateurs de la culture européenne », nous ne pourrons pas créer une identité européenne distincte - une idée que l'on retrouve chez de nombreux analystes du phénomène roumain dans la première partie du XXe siècle - en commençant par Iorga et en finissant par Cioran. L'article, publié la même année que Images et livres de France, se termine par un espoir. « Espérons que le temps viendra où nous pourrons apporter notre contribution personnelle à l'Europe. Il y a un siècle, Bielinski et Tchaadaef pensaient tous deux que la Russie n'apportait rien de nouveau à l'Europe, si ce n'est le samovar. La Russie est née après cette ironie, qui était à l'époque une vérité, une vérité douloureuse. La Roumanie se trouve dans la même situation que la Russie vue à travers les lunettes de Bielinsky. Attendons. D'ici là, observons l'assimilation continue de la culture étrangère (qu'elle se fasse plus lentement, mieux et plus personnellement que le code civil de 1865) ; revenons donc à la critique culturelle ». Sa critique visait, comme on peut le voir, un effet constructif. D'une manière spécifique.



32) Le jeune Fundoianu (III) - (Fev 25)




B Fundoianu ne figure pas parmi les noms d'écrivains cités partout, lors de réunions officielles ou d'occasions moins officielles... Cette discrétion est quelque peu compréhensible - bien que regrettable - compte tenu de son type d'écrivain, que l'on peut considérer, sans exagération, comme unique - du moins dans l'espace culturel roumain.

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Fundoianu est sans aucun doute un personnage non conventionnel. Mais non conventionnel dans un sens particulier - nous pourrions l'appeler un... authentique non conventionnel. Un homme au destin tout à fait singulier - dans la culture et dans la vie. Pourquoi une telle précision ? Parce que même les non-conventionnels ont tendance à agir en troupeau. Ainsi, les innovateurs, les démolisseurs de statues, à leur tour, tombent rapidement dans la routine... Les groupements, les alliances, etc. annulent l'arrogance de la singularisation. Ce n'est pas le cas de Fundoianu. Les personnes vraiment indépendantes sont seules, elles n'appartiennent pas à des groupements, des mouvements littéraires, artistiques, etc. J'utilise ici le terme conventionnel dans le sens de lieux communs, acceptés, répétés, mis en discussion par instinct. Dans la culture, le conventionnel est un danger. La création culturelle est le résultat de l'action des individus - même si les « gloires » du domaine sont favorisées par... les réseaux de propagation des actes culturels. L'histoire de la culture est tracée par des explosions individuelles se produisant dans le cours égalisateur du continuum... des actes culturels communs... La communication gère la perception des valeurs authentiques, elles n'appartiennent qu'aux individus. Fundoianu est sans aucun doute un écrivain moderne - sans être affilié à aucun groupe. 

B Fundoianu (le futur Benjamin Fondane) publie dans des revues roumaines depuis son adolescence. Au moment de sa migration définitive en France (à l'âge de 29 ans), il a écrit un nombre impressionnant d'articles et d'essais dans la presse de l'époque, ainsi que des poèmes. Le volume Imagini și cărți din Franța (Images et livres de France), qui rassemble une partie de son travail médiatique en langue roumaine sur les écrivains français, paraît en 1922 - lorsque la décision de passer à la scène culturelle française est prise. (Il convient de noter que sa vaste activité journalistique en roumain est largement anthologisée dans l'important recueil Imagini și cărți, publié par la maison d'édition Minerva, 1980, avec une étude introductive de l'un des meilleurs connaisseurs de l'œuvre de l'auteur - le critique Mir- cea Martin.) Sa personnalité culturelle commence à se révéler dès les premières manifestations médiatiques. Dès le début, son écriture se caractérise par un trait qui le distingue. B Fundoianu ne se subordonne pas aux sujets qu'il traite - et ce, non seulement dans l'expression tranchante de jugements personnels, rarement ... conventionnels, mais aussi dans ses incursions dans de nombreux domaines, de la poésie à la philosophie, en passant par l'histoire, la sociologie... Dans ses contributions de vulgarisateur, il élargit toujours l'horizon du commentaire et place la littérature, les arts et les idées en relation avec les développements sociaux et historiques, aspirant dans la plupart des cas à imposer des méditations intégratives. La critique, selon lui, doit nécessairement aboutir à... l'esthétique. « On pourrait dire de la critique : intelligence créatrice. Et l'intelligence créatrice comprendra la sensibilité créatrice. Le critique, dans ce cas, aura une somme de vertus qu'on appelle l'esthétique ». L'opération imposée au critique devrait être de différencier les individus créatifs authentiques - et il y a « autant d'esthétiques que d'individus ». 

Le désir de Fundoianu d'imposer un certain mode de commentaire - dans lequel la liberté de pensée prédomine - est perceptible dès les premières années de sa présence dans les pages des publications. En cela, il se distingue radicalement du critique typique - qui est, par définition, un glossateur. Le jeune intellectuel n'est jamais - même plus tard, lorsqu'il tombe sous le charme de Shestov - soumis au livre, au phénomène, etc. qu'il commente ; au contraire, on le voit faire un effort, et le rendre visible, pour adapter sa liberté aux contours de ce qui est commenté. La règle des glossateurs - ne jamais dépasser les contours du modèle commenté, lui obéir - n'est pas acceptée. Une telle attitude n'est pas présente dans la structure génétique de l'auteur. La capacité à développer le commentaire va au-delà du modèle. Fundoianu a dès le départ une vocation spéculative, il tend vers des constructions théoriques ambitieuses - ainsi seront ses livres publiés plus tard en France. Il a une vision intégrative - c'est pourquoi il est plus proche de la critique d'Ibrăileanu, par exemple. Comme nous l'avons montré, la critique, dans son rôle de critique culturelle, lui semble être la seule critique appropriée à la condition de la littérature roumaine. 

C'est dès ses premiers articles que nous apprenons l'existence d'options littéraires dans l'espace littéraire roumain. Pour Fundoianu, l'écrivain roumain le plus important après Eminescu est Arghezi. C'est un choix naturel, étant donné les critères sur lesquels se fondent ses dissociations de valeurs : l'expression, la langue dans laquelle l'oeuvre est réalisée et le style. « Un écrivain n'est pas jugé sur ce qu'il a réalisé en termes d'idées, mais sur ce qu'il a réalisé en termes de langage. Par ce qu'il a réalisé dans la langue. Eminescu a créé la langue roumaine. Arghezi a cassé le moule et l'a créée à nouveau ». Arghezi est, nous dit-on, le seul écrivain roumain à avoir créé « un style qui lui est propre ». Et bien qu'écrites il y a un siècle, ses analyses sont toujours justes et valables aujourd'hui. 

Dans l'un de ses premiers articles de périodique, anthologisé dans ce recueil, il commente un livre aujourd'hui oublié, le futur écrivain de langue française méditant sur le destin de la littérature. Le style du commentateur est encore hésitant, tenté par... des images plastiques du... règne végétal. mais la « scène » est globale, sans généralisation. « L'homme ne veut pas être ignorant. Il y a de la médiocrité, pour qu'il y ait de la médiocrité, et sa pensée jette des mots, comme on jette du millet pour des canaris. Dans le monde littéraire, personne n'est tenu pour responsable. Nous écrirons donc sur la littérature de demain. » Bien sûr, un sujet trop vague le circonscrit à des observations générales. Nous ne connaissons pas le présent même si nous parlons de ce qui se passe dans le monde. « Mais la connaissance n'est pas nécessairement une condition de l'écriture. L'individu inculte réduit l'univers à l'intuition. » Le cheminement de la pensée est encore hésitant, mais l'auteur est clair sur ses repères. Le présent est mal connu, mais il s'agit de l'avenir de la littérature... La réalité est représentée par la domination... du sens commun. Dominé - hier, dominé aujourd'hui... - par la médiocrité. « Nous aimons la médiocrité et l'art national, parfois le talent. 

La guerre venait de se terminer, et les gens de l'époque étaient « dans un âge de népotisme » ; la guerre allait donner naissance à une nouvelle mentalité ; mais les grands événements sociaux, observe-t-il, ne troublent pas beaucoup les grands écrivains : les grands écrivains du passé ne trahissent pas leur contemporanéité avec les événements sociaux troublés... Et le jeune auteur (l'article est publié en 1919, alors que l'auteur a à peine 20 ans) se lance déjà dans un projet : « Nous nous donnons pour tâche de prouver un jour que c'est faux et que les mouvements littéraires ont moins de rapport avec les mouvements sociaux qu'on ne le croit généralement.  » Et de conclure, sceptique et catégorique : « La littérature de demain ? Mais l'espèce humaine, pourrie et bâtarde, sera-t-elle capable de produire une littérature de demain ? » L'article n'est pas bien articulé, ni stylistiquement précis, mais il montre d'emblée la tendance de l'auteur à passer de faits peu significatifs à des images globales. Et tant qu'à faire, notons aussi une définition personnelle de l'histoire littéraire (tirée d'un autre article) : « L'histoire littéraire /.../ n'est pas seulement une sélection : c'est un cimetière. C'est l'histoire des épidémies littéraires ». Après les... épidémies littéraires... par lesquelles nous sommes toujours passés, y compris au cours des dernières décennies, nous pouvons constater qu'il est difficile de prouver une telle affirmation. Chaque épidémie avec ses morts - les gloires d'un moment, honorées dans l'histoire des épidémies littéraires.... dont les historiens de la littérature ne parlent plus guère...


En restant dans le domaine des premières clarifications de Fundoianu sur la création littéraire, il convient de noter ses réflexions sur le langage littéraire - qui coïncident avec les réflexions sur le langage littéraire de certains théoriciens de l'école du formalisme. Bien entendu, il ne fait allégeance à aucune école littéraire. Mais il affirme avec force que la langue littéraire est la langue écrite - qui est très différente de la langue parlée. Connaître le roumain à l'écrit est très différent de connaître le roumain à l'oral. Je dirais que leur sens est aux antipodes. Dans la phrase parlée, l'homme est un reproducteur. Sa langue est un pastiche, plutôt une copie de la langue qu'il a apprise enfant, bien mémorisée, les mots ne se détachant pas des objets qu'ils représentent. L'artiste, dans le langage, est un créateur. /Jusqu'à ce qu'il puisse voir son originalité dans autre chose, l'écrivain est obligé de la montrer dans la langue. // Son devoir est de donner naissance à de nouveaux mots ou de tuer les anciens. Laver les mots de la rouille ou changer leur sens. Les mettre dans un ordre différent, afin que du nouveau rapport jaillisse avec véhémence non pas la clarté des mots, mais la clarté de l'image évoquée à partir des mots comme un décalque ». La langue devient un matériau que l'écrivain doit modeler, comme le plasticien le matériau avec lequel il travaille. L'artiste utilise le langage de manière très différente de ceux qui écrivent des messages pratiques. La conclusion ? « ...il y a un génie de la langue /.../ , un génie qui permet la liberté, dans les limites d'une ethnie stable. » Il en déduit que la liberté est limitée par le sens commun propre à la langue roumaine. Spécificité qui, bien sûr, peut varier dans le temps, qui évolue. D'ailleurs, les noms cités par l'auteur (Dosoftei, Miron Costin, Creangă, Arghezi) à des époques si différentes confirment une évolution évidente.


Pas une seule fois au cours de ses observations, les remarques ne s'étendent à des jugements généraux sur la dynamique des espaces culturels. Une discussion sur le symbolisme roumain l'amène à constater qu'à l'époque le symbolisme en France avait quelque 70 ans, alors que dans notre pays il n'était présent que depuis 20 ans... Il fixe, sans l'avoir suivi, le décalage de plusieurs décennies qui apparaît toujours dans notre pays entre les applications locales et les modèles artistiques copiés dans les centres où ils se développent. Ce décalage est encore présent aujourd'hui - je l'ai signalé dans mon essai Postmodernisme postfestum.


Comme je l'ai mentionné, les commentaires dépassent le domaine strictement littéraire. C'est souvent le cas lorsqu'il s'agit d'auteurs paradigmatiques - Creangă, par exemple, considéré comme « le pur écrivain roumain ». « Creangă reflète /.../ avec une clarté effrayante, les vertus, ainsi que les défauts de l'âme roumaine, il désigne sa capacité, clarifie ses possibilités et indique ses limites. » Voyons comment Fundoianu voit le monde roumain tel qu'il apparaît dans les écrits de l'auteur de Humulești (d'autres l'ont également fait, considérant Creangă tout aussi représentatif dans ce sens) : » Voilà, une sensibilité stagnante et superficielle, comme un étang ; une absence de fantaisie ; une volonté qui se dessèche vite et pas de pensée du tout ; les mots sont plastiques avec excès ; jamais musicaux, ils vivent de leur beauté, seule ; l'humour, autant qu'il y en a dans les proverbes, dans les ronflements, dans les cimetières ; la narration pour la narration (comme aux séances de spiritisme), sans qu'il soit nécessaire de donner à l'anecdote une cible ou une coquille de symbole.  » Au cours de l'analyse des écrits de Creangă, Fundoianu arrive à une conclusion qu'il soupçonne lui-même d'être choquante - mais qui n'en est pas moins valable. « Creangă est un artiste - et un artiste des mots - dans le même sens que l'art de Mallarmé peut avoir un sens. » Le rapprochement devient possible en direction de la magie des mots, qu'il découvre dans les deux cas - les mots eux-mêmes, avec leur matérialité, avec leur... existence indépendante. Car ce n'est qu'une telle position à l'égard des mots qui rend possible une lecture correcte de Creangă. Mallarme est un artiste ... qui aimait les mots comme des idoles », Creangă est “un artiste qui rencontre joyeusement les mots pour la première fois”. Une telle lecture exige une maturité artistique. Fundoianu affirme également que l'écriture de Creangă n'est en aucun cas destinée aux enfants - contredisant ainsi un cliché pédagogique persistant.




Le jeune Fondoianu (IV) - (mars 25)


Dès son plus jeune âge, Fundoianu annonce la perspective dans laquelle il percevra les phénomènes culturels. Il se contente rarement de simples critiques (dans les magazines culturels) ou de comptes rendus de livres (dans les publications scientifiques) - le plus souvent, ou de simples résumés des œuvres présentées. Dans des commentaires sur différents auteurs ou dans des réponses directes à des points de vue contraires, Fundoianu s'attaque à des questions fondamentales. Certains auront sans doute vu dans cette tendance une qualité, d'autres un défaut. Il est beaucoup plus confortable de lire une critique dans laquelle on vous raconte une histoire que d'être soudainement jeté au milieu d'une controverse d'idées - comme cela se produit, une fois n'est pas coutume, dans les écrits du jeune gazetier/essayiste. Fundoianu traite d'un large éventail de sujets, mais la littérature prédomine, et parmi les écrivains, il est surtout attiré par les auteurs français, anciens et nouveaux. Remy de Gourmont est un auteur qui plaît particulièrement au jeune Fundoianu. Cette attirance n'est pas inhabituelle, elle est caractéristique de son futur parcours intellectuel. Remy de Gourmont (1858-1915) a vécu à une époque d'effervescence intellectuelle, avec des contemporains favorables à l'originalité - mais même à cette époque, il s'est distingué par sa trajectoire particulière, par la culture d'idées non conformes à l'esprit du temps, par ses dissociations originales - bref, il a été un auteur singulier, en cela il s'est distingué de beaucoup de ses contemporains. Chez Remy de Gourmont aussi, on trouve ce qui fixera plus tard le profil de l'auteur roumain : dépasser les « limites » des sujets commentés, englober les phénomènes dans des cercles concentriques de méditation qui s'éloignent progressivement du centre, du point de départ... La même soif de questions, dissipée dans des genres variés (romans, commentaires critiques, littérature d'idées), tout comme Fundoianu s'illustrera dans des genres multiples... Son commentateur le suit même dans l'exploration des problèmes grammaticaux. Identité même dans... les détails. Remy de Gourmont avait dit que « ...un écrivain, qu'il soit poète, philosophe ou romancier, doit être aussi grammairien ». J'ai déjà mentionné la préoccupation de Fundoianu pour la syntaxe. L'un des problèmes culturels qui préoccupait le jeune intellectuel était le rapport entre la modernité et la tradition. Et il trouve une illustration de ce rapport chez Remy de Gourmont. De manière apparemment paradoxale, Fundoianu estime que « la tradition ne se respecte pas en imitant, mais en innovant ». Parce qu'imiter signifie user et vulgariser, l'auteur commenté a fui la tradition, la trouvant ainsi « au bout du chemin, née de l'effort ». « Il a trouvé la tradition comme on trouve, quand on fuit la photographie et la description, la nature ». À travers l'image, Fundoianu affirme que Gourmont trouve ainsi les vraies racines, la tradition authentique, inattaquable dans les reproductions conventionnelles. Il convient ici de noter comment Fundoianu en vient à pratiquer le commentaire critique. Ses textes abondent en images de ce type, ce qui a été « critiqué » par les commentateurs du volume Images et livres, qui comprend également ses commentaires sur Remy de Gourmont. L'auteur y répondra dans le cycle d'articles Critique - vieux problèmes dans « La Rampe ». La réponse, qui concerne un conflit vraiment ancien, entre la critique scientifique et la critique dite d'impression, mérite sans doute un commentaire à part. Pour l'instant, notons qu'aux objections de Felix Aderca, le critique de son livre, qui pensait que dans la critique il fallait maintenir le niveau d'un discours rationnel sans métaphores, l'auteur répond que la critique ne peut pas être séparée de l'art - de sorte que l'utilisation d'images est tout à fait justifiée. Le plaidoyer de la série d'articles susmentionnée est toujours d'actualité - aujourd'hui encore, la querelle de la critique scientifique contre la critique d'impression est parfois déclenchée... Mais revenons au commentaire sur les écrits de Rémy de Gormont. J'ai mentionné la variété des genres dans lesquels Gormont s'exprime. Fundoianu estime que dans cette variété, la critique littéraire occupe néanmoins la place dominante. Et le critère esthétique a toujours été présent dans l'exercice de ses multiples capacités critiques. Le résultat des incursions de l'auteur français dans divers domaines peut donc être réduit à la critique littéraire. Car, conclut Fundoianu, « ...ayant bien établi que, faux dans la connaissance, le monde comme représentation reste un postulat de la critique littéraire. Et Remy de Gourmont pensait que cela suffisait ». Dans son deuxième essai consacré à Remy de Gourmont (L'idéalisme de Remy de Gourmont), il approfondit la question de savoir si la critique doit se situer du côté de la science ou du côté de... la sensibilité. L'art est la création du monde selon sa propre sensibilité. « Avec la naissance de la représentation, le pouvoir de l'art est né ». Ces représentations ne sont pas identiques pour tous les individus (si elles étaient identiques, l'art n'existerait pas). La critique a cherché à expliquer l'essence de l'art, mais en utilisant des méthodes « biologiques, économiques ou mécaniques ». Mais « avant d'avoir une méthode pour connaître les choses, il fallait savoir de quoi se compose la connaissance. Nous devions savoir /.../ de quelle manière notre perception force la réalité à changer ». C'est un principe qui a transformé les sciences exactes - depuis que l'on a compris que l'observateur influence l'observation. Ces précisions sur la subjectivité de la perception permettent à Fundoianu de conclure que le critique est « un fabricant de représentations personnelles comme l'artiste ». Mais ses représentations sont différentes. « Dans la critique dogmatique, le critique impose sa représentation, comme la première loi de l'esthétique. Sa représentation s'appellera : tradition, bon sens, et, au nom de ces deux idoles, tous les autres qui auront osé se révolter seront pendus. » Si nous transposons l'observation de Fundoianu à la réalité du commentaire littéraire d'aujourd'hui, nous reconnaîtrons non seulement la lutte récente entre... la vieille... critique (celle qui mettait au premier plan la capacité de recevoir l'œuvre et de systématiser les impressions comme support de l'action critique) et la critique scientifique (qui, du structuralisme aux idées de Franco Moretti - inspirées de celles d'Immanuel Wallerstein sur le système mondial - sont, en dernier ressort, la transposition des méthodes des sciences sociales, économiques, etc. au phénomène culturel). Il ne s'agit plus, comme dans la critique dogmatique envisagée par Fundoianu, d'imposer à l'art les représentations d'un critique particulier, qui transforme ses perceptions en un dogme généralement valable - mais, dans le cas de... la critique scientifique moderne, d'appliquer aux analyses littéraires des méthodes formulées dans d'autres types de recherche. Bien entendu, les deux hypostases critiques ont des limites évidentes, qui dépendent de plusieurs facteurs, dont la spécificité culturelle de l'environnement dans lequel elles sont pratiquées. Si nous nous référons à des cas concrets, prenons la réalité critique roumaine, avec ses hypostases caractéristiques. En ce qui concerne la critique impressionniste, dans laquelle les particularités de l'« appareil réceptif » du critique sont au premier plan et sont d'une importance égale aux moyens d'expression qui parviennent à imposer l'auteur, les personnalités convaincantes de Lovinescu et de Călinescu se distinguent. Gherea et Ibrăileanu ont été des critiques notables qui ont vu le phénomène littéraire encadré par des déterminations dépassant les limites strictement esthétiques, pour se référer aux classiques du genre. Cependant, en général, si nous nous situons au niveau de la vie littéraire actuelle, conformément à la spécificité culturelle locale, que trouvons-nous ? D'une part, une critique feuilletonesque, dite d'impression, censée fixer une lecture personnelle, subjective - mais qui (à l'exception des personnalités, qui se comptent sur les doigts d'une main, le cas échéant) a le comportement général de clans, de ghettos, de bandes, si l'on veut, dont les intérêts... dirigent... en fait... des impressions personnelles... ..... Ce genre de critique, avec les exceptions qui apparaissent toutes les quelques décennies, voire plus rarement, sont, sous la façade de... la critique impressionniste, la voix des groupes d'intérêt (c'est une question d'impression, mais l'impression du groupe envers les alliés, les ennemis, les non-alignés, etc.) D'autre part, la critique dite scientifique a connu des épisodes clairement délimités par la vogue des orientations critiques venant de l'extérieur. C'est ainsi que nous avons eu une ère de critique stylistique, une ère structuraliste, post-structuraliste, sémiotique, postmoderniste, et aujourd'hui une ère... d'extraction... morettienne, pourrait-on dire (la théorie des centres d'influence et des zones périphériques de Franco Moretti s'applique parfaitement ici... Il y a des zones qui, comme on le voit, restent définitivement périphériques...) Il s'agit d'applications - toujours et seulement d'applications - de méthodes empruntées à l'un ou à l'autre camp. (la France il y a quelques décennies, les USA aujourd'hui, on verra demain). Bien sûr, on ne peut pas être mainstream si l'on n'est pas en phase avec les autres ; les habitudes culturelles sont devenues universelles : tout le monde porte des jeans bleus et des t-shirts, manie les smartphones et s'inscrit sur les réseaux sociaux. La personnalité est reléguée à l'arrière-plan. Dans une critique comme dans l'autre, le trait dominant est spécifiquement local, conforme à la structure culturelle : le groupe, la société de type médiéval... La pratique de groupe les unit, elle est caractéristique, en fait, des deux camps, en tant que trait spécifique...


Nous avons insisté sur une caractéristique locale pour souligner la sigularité de la personnalité de Fundoianu. De l'œuvre de Gourmont, notre analyste dégage les opérations proprement subjectives : « Devant les choses, dit Gourmont, les hommes font des associations et des dissociations d'idées. Certains associent des relations : mots, images ou sentiments. D'autres dissocient. L'artiste opère sur les sentiments. Le critique, sur les idées. Le critique est un créateur, comme l'écrivain ». Le critique cherchera l'originalité dans ses œuvres (il fallait bien en arriver à cette banalité...). Mais là encore, nous tombons dans le bourbier des incertitudes qui ne peuvent être résolues que par le caractère, l'indépendance, le non-alignement - car rien n'est plus facile à proclamer ou à nier que... l'originalité. A condition de ne pas confondre l'originalité avec le goût délibéré du choc - qui a été atteint par les avant-gardes artistiques - qui est autre chose ; et le choc délibéré, programmatique, sans autre ambition, est l'élément le plus éphémère de l'art.


Selon Fundoianu, la méthode de Gourmont consiste en deux opérations. L'une de différenciation, l'autre de mise en situation. La première justifierait l'histoire littéraire - la seconde, la mise en situation (par le style) serait la critique proprement dite. Mais la méthode seule ne suffirait pas. On ne devient pas critique en s'appropriant une méthode. Pour être critique, « il faut du talent, de l'intuition, du goût ». « La critique ne fait plus partie de la physique ou de la géométrie. Elle fait partie de l'art, aussi légitime que l'œuvre, aussi belle et aussi égale ». Après un détour instructif par l'œuvre de Gourmont, Fundoianu en arrive à des vérités connues depuis toujours. L'œuvre critique n'est que le résultat du talent, de l'intuition, de la personnalité, de la capacité d'expression... Des choses connues. Mais la fascination des essais de Fundoianu publiés en roumain réside aussi dans le parcours nécessaire pour y parvenir.