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8) De la fin... - 9) Collectivités imaginées - 10) Éléments de sociologie -
8) De la fin... (août 22)
Lorsque l'on fait une observation sur une société, l'observation est jugée, plus ou moins, par sa qualité. Lorsque l'observation porte sur sa propre collectivité, le processus est tout autre. La précision, la pénétration, l'impartialité n'ont plus d'importance. Elle s'inscrit dans un mécanisme complexe, dominé non par l'équité et le réalisme, mais par des passions qui n'ont rien à voir. La cohérence, la finesse, le jugement sont hors jeu. De même que chacun se construit une image de lui-même et réagit à la critique lorsque cette image est attaquée, de même les nations se déploient sur tel ou tel récit et rapportent les propos les concernant à cette image.
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L'approche des questions relatives à la nation, au nationalisme, aux caractéristiques nationales, etc. a fondamentalement changé à la suite des recherches menées au cours du dernier demi-siècle. Il existe une littérature extrêmement riche, comprenant invariablement Anthony Smith, Ernest Gellner, Eric Hobsbawm, Benedict Anderson, Miroslav Hroch, Omut Ozkirimli, John Alexander Armstrong, John Breuilly, etc. Les concepts intensément propagés par les mouvements politiques, les débats idéologiques, etc., et qui débordent aujourd'hui sur le populisme quasi victorieux, ont subi des mutations radicales dans le monde universitaire - ce qui était (et parfois, du moins dans notre pays, est encore) la base théorique des propagandistes nationalistes est contredit par les points de vue des théoriciens (qui ne sont évidemment pas lus par les propagandistes qui incitent les masses à l'action).
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La propagande nationaliste ne peut plus invoquer les principaux arguments qui constituaient autrefois le répertoire des croyances nationalistes. Les concepts qui étaient autrefois intensément diffusés ne peuvent plus être justifiés... La race en tant que source fiable et unique de la nation est depuis longtemps compromise. Il y a très peu de populations en Europe qui n'ont pas connu de métissage. Elles étaient connues de l'histoire générale. Mais les nouvelles recherches en génétique démontrent scientifiquement un fort brassage des ethnies qui a conduit au fil des âges à une certaine note européenne commune... Les nations d'Europe, autrefois engagées dans des guerres dévastatrices au nom... de... la défense de la pureté du sang ancestral, ont, s'avère-t-il aujourd'hui, plus de parenté que de différences radicales... Une autre « particularité » du discours nationaliste est aujourd'hui annulée. Les propagandistes de cette idéologie présentaient la nation comme ayant pris naissance quelque part, très loin, dans la nuit des temps. L'image romanesque du passé d'où l'on tire des nations pures et entières est également compromise. La nation au sens actuel du terme apparaît tardivement dans l'histoire. Au sens moderne, ce n'est qu'après le XVIIIe siècle que l'on peut parler de nation. L'imagination des romantiques a doté l'idée de nation d'une riche gamme de récits qui la justifient, lui donnent une origine et une cohérence sui generis. Certains de ces récits s'appuient sur des données historiques, mais ils sont transformés en récits commodes - ou, une fois n'est pas coutume, ils relèvent tout simplement de la pure fiction.
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L'idée de nations traversant des âges intacts est une autre invention qui a été démantelée. La cohésion nationale n'était même pas possible lorsqu'il n'existait pas de moyens de communication accessibles à un grand nombre de personnes. La nation (et le nationalisme) sont des créations de l'ère moderne, elles ne deviennent possibles qu'avec l'avènement de moyens de communication accessibles à un grand nombre de destinataires. L'imposition de l'imprimerie en premier lieu, puis tout ce qui s'en est suivi. Une nation suppose un grand ou très grand nombre d'individus, et ceux-ci doivent partager un certain nombre de réalités communes. L'unité linguistique est d'abord nécessaire, mais elle émerge et s'impose aussi après que la circulation des textes écrits est devenue possible. L'imposition d'une langue nationale est un premier pas, suivi par l'acceptation de principes, d'idées et de valeurs communs - un dénominateur commun qui peut être réalisé lorsqu'une communication efficace peut être établie. Sinon, il est difficile de supposer, même s'il existe un outil linguistique commun (comme dans le cas exceptionnel des Roumains), que des groupes de personnes isolées par des distances qu'elles n'ont parfois jamais parcourues de toute leur vie auront les mêmes expériences, partageront les mêmes croyances, les mêmes principes, etc.
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Une résolution théorique significative est l'imposition de l'idée de « collectifs imaginés », comme les appelle Benedict Anderson. Des références à cette réalité apparaissent dans des études antérieures, mais cette formule présente la réalité telle qu'elle est, sans ambiguïté. Dans les discours propagandistes, la nation est présentée comme un tout, une grande famille unie, etc. Mais un membre d'une nation, aussi peu nombreux soient-il, ne connaîtra jamais tous les membres de sa nation. Il imagine la communauté, la solidarité, l'unité des intérêts et des aspirations... Il faut que les membres de la communauté imaginent leur communauté - ils ne peuvent pas la connaître directement ! Cette perspective nous rapproche de la réalité sociale créée par les constructions. Les gens croient, se répètent, prennent les choses telles qu'ils les imaginent et réalisent ainsi la réalité sociale - qui n'a pas d'équivalent matériel - c'est une réalité de croyances, de convictions, etc !
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Le rôle premier de l'imaginaire dans la réalisation de ces croyances collectives a toujours fonctionné : les hommes ont toujours existé en communautés, en sociétés qui se sont constituées selon les mécanismes imaginaires évoqués. Il suffit d'invoquer un personnage historique dont les mérites sont uniques, qui a bénéficié de qualités exceptionnelles, pour que ses mérites soient repris par la foule dans un certain environnement social... Le mécanisme est simple et nous le voyons fonctionner sous nos yeux. L'émergence d'une équipe gagnante, d'un champion, etc., qui n'est finalement que le résultat des efforts et des capacités d'un tout petit groupe dans la société, entraîne une identification spontanée de la société dont elle est issue, convaincue que c'est ainsi, à travers ces représentants, qu'elle a obtenu de grands résultats - alors que la réalité individuelle de chaque membre de la société n'a rien à voir avec ces résultats... Un modèle de lucidité serait bien sûr sa propre évaluation - mais la psychologie sociale a ses propres règles...
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Au vu de tout cela, on comprend mieux pourquoi les analyses minutieuses, responsables, documentées, etc. qui vont à l'encontre de ces croyances collectives .... "collectives" est accueillie avec une extrême méfiance, beaucoup y voyant tout simplement une attaque contre la société concernée...
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Ceux qui manipulent les foules, ceux qui cherchent à les subordonner, utilisent pleinement ces particularités de la psyché collective. Ils misent sur ce qui peut dynamiser, ils placent les lieux communs nécessaires en quantité suffisante pour qu'ils puissent animer, attirer et diriger. Les plus habiles d'entre eux sont bien conscients du caractère fictif de la réalité, qui relève exclusivement de la psychologie collective - qui peut donc être modifiée, modelée, manipulée, précisément parce qu'elle n'a pas de réalité physique derrière elle... C'est pourtant le moyen qu'ils utilisent le plus fréquemment dans les sociétés modernes où il ne peut plus être question de soumission par la violence, de domination par la répression, etc. Les candidats aux postes de direction connaissent l'essence du pouvoir d'influencer la psyché collective et de l'utiliser - pour dynamiser vers le positif (les personnes bien intentionnées) ou pour freiner et orienter dans la direction souhaitée (ceux qui poursuivent leurs intérêts personnels et les intérêts de leur groupe).
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Au-delà de tout cela, l'examen critique des constructions, des réalités « imaginées », en un mot des réalités sociales, représente un acte de dénonciation des illusions, de démontage des vérités apparentes - une activité qui sera toujours considérée avec « l'hostilité qui s'impose » à l'égard de ceux qui entravent... le fonctionnement normal de la société... Les conforts acceptés sont démolis - et les personnages qui procèdent à de tels éclaircissements ne peuvent être perçus que dans la position de ceux qui interdisent les illusions. Mais c'est la seule action qui défie l'inertie et force la lucidité - réorientant périodiquement les développements sur une voie proche de la normalité.
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Il est clair que les personnages qui vont dans le sens du goût commun, qui anesthésient les angoisses et les obsessions collectives, sont beaucoup plus populaires. Il y a tant de moments de crise qui passent inaperçus précisément parce que... des « bien-pensants collectifs », des louangeurs de qualités imaginaires, de victoires historiques qui n'ont d'autre effet sur le présent que d'anesthésier des actions qui pourraient avoir un effet récupérateur. La somnolence est toujours préférable au réveil brutal de la vérité, et plus la société bascule dans l'autosatisfaction alors qu'elle devrait prendre conscience de sa décadence, plus il lui est difficile de se redresser. Cela peut tarder jusqu'à devenir impossible. Certaines civilisations ont disparu de cette manière. Sans parler des cultures qui se maintiennent uniquement grâce à des stimuli extérieurs…
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La critique - juste et compétente - est la seule qui puisse réellement prendre la température des corps sociaux. Une telle action n'a évidemment rien à voir avec les jurons, les querelles de personnes, les petits ragots si souvent confondus avec... la critique... Mais ceux qui refusent tout geste troublant l'apathie profitable aux parasites de l'évolution sociale voudraient que leur tranquillité funèbre ne soit pas troublée. Ils s'empresseront donc de condamner tout signal d'alarme, tout avertissement sur le niveau intolérable de la décadence. Ceux qui attirent l'attention seront qualifiés d'ennemis, chassés, etc. Malheureusement, ceux qui ne font qu'activer les constructions qui leur ont été inculquées sont prêts à leur donner raison... C'est plus confortable, .... en silence ; et peut-être... qu'ils... lâcheront quelque chose...
9) Collectivités imaginées (sept 22)
Les raisons de la réticence, de la suspicion, voire de la violence avec lesquelles sont accueillies les remarques critiques sur la société à laquelle on appartient sont multiples et se manifestent à différents niveaux. Le plus populaire, le plus bruyant et le plus rudimentaire est la manière dont les soi-disant nationalistes... soi-disant nationalistes... soi-disant parce qu'il ne s'agit pas d'une pensée unifiée, d'une cohérence manifeste, mais d'un ensemble de réactions provenant de sources hétérogènes, trahissant des niveaux de réflexion incongrus. En outre, comme l'ont montré nombre de ceux qui l'ont étudié au cours des dernières décennies, le nationalisme est aussi facile à comprendre qu'il est difficile à définir. Ce n'est pas une doctrine qui exprime clairement un certain nombre d'idées. D'après ce que j'ai pu observer, le nationalisme se combine aujourd'hui au point de s'identifier au populisme (une question qui mérite d'être discutée séparément), produisant en fin de compte, par tout ce qu'il englobe, une combinaison néfaste. L'observation de Benedict Anderson selon laquelle, contrairement à la plupart des autres ismes, le nationalisme n'a jamais produit ses propres grands penseurs : ni Hobbes, ni Tocqueville, ni Marx, ni Weber, n'est pas sans importance (« Unlike most other isms, nationalism has never produced its own grand thinkers : no Hobbeses, Tocquevilles, Marxes or Webers »)
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Benedict Anderson, l'un des principaux philosophes aujourd'hui concernés par le problème du nationalisme, développe une argumentation spécifique aux approches de l'idéologie nationaliste au cours des dernières décennies. Certaines de ses conclusions reprennent les arguments de théoriciens bien connus. Comme Ernest Gellner, par exemple, il conclut que le nationalisme est une invention tardive dans l'histoire de l'humanité, possible seulement lorsque les outils nécessaires à la propagation de masse des idées nationalistes apparaissent - une langue « nationale », commune à ceux qui partageront les mêmes idées, les moyens techniques par lesquels une idéologie de masse peut être propagée, donc l'avènement de l'imprimerie, la large diffusion de textes imprimés, un développement économique capable de coaguler une activité communautaire, etc.
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L'insatisfaction provoquée par la tentative d'analyse des affirmations qui régissent une collectivité nationale provient de l'obligation de remettre en cause un certain nombre de lieux communs devenus des vérités inébranlables. D'abord, il y a un fond culturel. Inculqué depuis des générations. Après l'imposition d'une éducation unitaire et « nationale », l'idée de nation a été alimentée par des mythes spécifiques. Mythes... mythes fondateurs, comme on les appelle, c'est-à-dire essentiellement le coagulum idéologique de représentations organisées, institutionnalisées. En fonction de leurs spécificités culturelles, les États-nations se rattachent à ces mythes. Le moment historique où ils apparaissent suit l'affirmation du romantisme allemand, qui cultive les allégories de la différence nationale, de l'identité indubitable et inaliénable, etc. Tout cela est mis en scène dans des œuvres de fiction et dans une littérature populaire spécifique, qui, par le biais de l'institutionnalisation, s'est imposée aux générations successives, transformée en vérité culturelle ultime. Tous ces récits parlent des origines anciennes de la nation (bien qu'elles soient relativement récentes en termes historiques), d'époques idéales où la nation vivait une existence édénique ou, si elle était perturbée par d'autres, une existence de victoires implacables contre toutes les vicissitudes, etc. La seule cause de la fin des époques de naissance dans la félicité des nations est l'étranger - le corollaire de cette croyance étant la transformation de l'étranger en grand ennemi.
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La transformation de l'étranger en ennemi, donc - avec toutes les conséquences qui en découlent... De façon explicable, de telles croyances sapent les idées des Lumières de liberté, de justice, de cohérence rationnelle, etc. valables pour l'ensemble de l'humanité. Celles-ci s'étaient imposées avant 1789, quand on a commencé à parler de nation au sens où on l'entend aujourd'hui, les peuples en avaient besoin et, dans la clé nationaliste, ils devenaient à leur tour... nationaux... Votre liberté en tant que nation est la vraie liberté, la liberté des autres n'a pas d'importance, votre justice.... nationale est la seule justice à accepter, vos croyances sont les seules à pouvoir être prises en compte - et tout ce qui se rapporte à ces vérités nationales, par-dessus tout, doit être imposé aux autres, doit être arraché aux autres - par n'importe quel moyen. Les crimes au nom de la nation ne sont plus des crimes, ce sont des actes... patriotiques, même si les intérêts nationaux nuisibles sont les seuls à poursuivre, etc.
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Tout cela conduit à une dystonie de l'organisme social qu'il est difficile d'atténuer. Les guerres qui ont ravagé l'Europe et se sont transformées en carnage mondial en sont le meilleur exemple. Elles ont été provoquées par le nationalisme. Ce qui se passe en ce moment même non loin de nous illustre les réalités historiques par des réalités palpables. * Pendant longtemps, il y a eu une séparation catégorique entre l'Est et l'Ouest du continent - y compris dans l'idéologie nationaliste. L'impulsion initiale est venue de l'Ouest (« le berceau... de la civilisation ») ; le modèle de la nation a commencé à jouer un rôle destructeur avec l'émergence de l'idéologie des nations supérieures... et des autres nations... Les « nations supérieures » européennes se sont senties, à un moment historique, investies d'une mission de christianisation, de civilisation du reste du monde - entrant ainsi dans les siècles sombres du colonialisme. La civilisation est apparue sur les mêmes méridiens, dans les cours des puissants monarques. Norbert Elias retrace le processus d'émergence, de diffusion et d'imposition de la civilisation. L'Europe occidentale était (et a été) à l'avant-garde du monde civilisé pendant très longtemps. Même si les racines de la culture européenne se trouvent à l'est du continent (civilisation grecque, christianisme, Byzance, etc.). Le nationalisme naît en Occident et s'exporte dans le monde entier, où il prendra des formes plus ou moins proches du modèle européen. Mais dans les mêmes cadres, le nationalisme est dépassé et rejeté. La société, surtout dans sa partie sensible aux attraits du populisme, conserve encore une forme d'esprit redevable au nationalisme. Mais leur pourcentage ne cesse de diminuer, de sorte que la forme de nationalisme qui a conduit à des affrontements militaires destructeurs et à des guerres dégradantes entre les peuples est passée de mode depuis des décennies. On peut dire que le monde civilisé a laissé derrière lui l'ère du nationalisme.
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Que se passe-t-il dans notre partie de l'Europe ? Il y aurait beaucoup à dire, mais pour donner une idée de la situation réelle, imaginons ce qu'il en était avant la mutation du processus de communication déclenchée par l'avènement de l'imprimerie. D'une part, la vie en petites communautés, dispersées sur de vastes territoires, avec des gens occupés à se nourrir et à payer leur dû... Les villes étaient peu nombreuses et petites - et même dans le cas des grands centres urbains, aussi nombreux soient-ils avant la diffusion des moyens de communication modernes, elles étaient petites, sans même un journal, ce qui signifiait un contact avec une personne que l'on ne voyait pas, dont on n'avait aucune représentation concrète, et elles avaient une vie sociale semblable à celle des villages. Même si, dans certains cas, il existait des communications pour un public plus large dans les grandes villes sous forme d'affiches semblables à des gazettes murales, cela était loin de remplacer les moyens modernes de communication, qui supposent un changement de mentalité, un élargissement de l'horizon, un déplacement de l'accent de la présence réelle de l'interlocuteur vers le message.
Avant l'avènement de l'imprimerie, l'horizon social des individus se limitait à leurs connaissances les plus proches, à la famille, au groupe, au quartier qui les définissait. Les formes de cohésion sociale se limitaient aux alliances et aux adversités. Les membres de votre famille, de votre groupe forment le noyau de la vie collective. Ceux de ton groupe te défendent, tu leur dois ton existence. Famille, groupe, alliances... Les individus sont jugés avant tout sur leur degré de solidarité avec vous. C'est là l'essentiel. Non pas sur les qualités de l'individu, mais sur son utilité. Les « vôtres » et les autres. Forme rudimentaire de socialisation - défendre les membres de son groupe, les alliés, les sympathisants... Les autres, les étrangers, suscitent la méfiance, sont des ennemis potentiels. C'est la mentalité qui a prévalu jusqu'à une date tardive dans le monde des petites communautés. Le monde villageois de la première moitié du siècle dernier en est un exemple. Il n'y a pas de conscience d'une solidarité générale, abstraite. Une solidarité avec des gens que l'on ne connaît pas, en dehors du groupe que l'on connaît personnellement. Les hiérarchies y apparaissent aussi, le plus puissant, celui qui a le plus de bétail, celui qui a le plus de serviteurs, etc. Mais il s'agit toujours de personnes, de x ou y, pas d'une abstraction. Une représentation générale et abstraite n'était pas accessible.
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Selon Norbert Elias, la civilisation apparaît dans la vie de cour. Mais si l'on observe la vie à la cour, on se rend compte que les distinctions, les rangs de noblesse, les réalités abstraites - le rang est d'abord important en lui-même, en tant qu'abstraction, et ce n'est qu'ensuite que le besoin de personnification se fait sentir, que la personne qui le porte doit être présentée.
Dans Imagined Communities, Benedict Anderson considère le nationalisme comme une construction sociale, une réalité des croyances d'une collectivité qui se considère unie par un certain nombre de traits communs. Une telle existence devient possible lorsque les personnages sont convaincus de la réalité de la communauté imaginée - car jamais les membres d'une nation ne pourront se connaître personnellement, jamais ils ne pourront contacter d'autres membres de la nation pour vérifier la cohérence de la cohésion. Le constat est réel et implique l'émergence d'une conscience d'appartenance à une communauté imaginée. L'objection que je ferais est qu'une communauté imaginée peut aussi être une communauté d'un autre type - par exemple une communauté démocratique, multiethnique, porteuse de valeurs universelles - pas nécessairement nationaliste, rejetant l'« autre », incapable de voir la réalité à cause des œillères qu'il porte... Et dans ce cas, c'est une construction, la croyance d'appartenir à une communauté que l'individu ne peut pas vraiment connaître..., qui devient une construction sociale... Ce qui définit le nationalisme, à mon avis, c'est la construction sociale fixée dans les limites de l'existence exclusive au sein de la famille/clan/tribu - dont j'ai parlé plus haut, un mode d'existence qui exclut d'autres types de société... Je reviendrai sur ce point.
10) Éléments de sociologie - oct. 22
Les études sur l'organisation sociale concernent la structure des collectifs, les groupes qui s'y forment, les éléments de cohésion, la condition de l'individu dans le contexte du groupe, l'acceptation de la présence individuelle dans le groupe, le rejet du groupe, l'établissement de hiérarchies dans ce cadre, les adversités entre groupes... Les groupes sont définis avec précision, leurs identités sociales spécifiques sont établies, ce qui détermine des modèles d'existence, d'identification, des relations caractéristiques... Pour les membres de ces organisations sociales, il existe également des déterminations dans la perception des valeurs. La dynamique au sein des collectivités a conduit à l'émergence d'études sur la théorie de l'identité sociale. La théorie de l'identité sociale, présentée à l'origine par Tajfel, H. et Turner, J. C., est aujourd'hui un domaine d'étude important pour le monde dans lequel nous vivons.
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Les humains se définissent socialement, comme beaucoup d'autres espèces qui vivent en groupes, en... troupeaux. Les lois de ces organisations en disent long sur les rapports entre l'individu et la société - réalités observables dans toutes les formes de solidarité ou d'hostilité, des « gins » professionnels à l'organisation artistique de l'espace (y compris donc celles définies par des professions strictement individuelles). Les observations sur la constitution et le fonctionnement des groupes sociaux ont sans doute existé bien avant les études sociologiques proprement dites - dans les écrits historiques, dans la littérature - le roman étant le précurseur, dans pas mal de domaines, des études d'anthropologie, de philosophie, de sociologie. Le mouvement des foules, leur dynamisation, leur direction, et peut-être surtout leurs réactions face à l'individu, apparaissent dans des écrits littéraires mémorables. Mais lorsqu'ils sont observés de manière cohérente, examinés scientifiquement dans le cadre de la discipline de la vie des foules, ils mettent en lumière des aspects précisément définis de l'organisation humaine et clarifient de nombreux aspects consécutifs de la vie des collectifs. L'établissement et la gestion des valeurs esthétiques, par exemple, intéressent au plus haut point le monde des arts. Outre les valeurs universelles, celles qui sont valables pour l'ensemble de l'humanité (plus précisément : qui devraient être valables pour l'ensemble de l'humanité - mais qui ne le sont pas, comme le montre l'attaque russe en Ukraine), les autres valeurs sont déterminées par chaque groupe individuellement - et le meilleur exemple, d'une certaine manière, est exactement ce qui se passe aujourd'hui en Roumanie. Les derniers événements au Moyen-Orient où... des hommes politiques importants (et le fait qu'ils soient devenus... importants en dit long) ont nommé leurs proches, généralement des spécialistes de l'agriculture qui n'aiment plus leur métier et deviennent des spécialistes de... l'aviation ou de la finance internationale sans aucune compétence, ont suscité des réactions dans la presse qui a encore une opinion... Mais le phénomène est général et est en train de nécroser complètement le tissu social. Il s'est introduit jusque dans les domaines les plus sensibles, là où l'identité de groupe des spécialistes était censée l'arrêter. En médecine. Ou dans les universités. Etc. Là où un tel parasite parvient à pénétrer, il trouve rapidement, par des moyens spécifiques, une position décisionnelle qui lui permet d'introduire tout aussi rapidement des parasites équivalents dans le groupe en question. La multiplication est exponentielle et en peu de temps il n'y a plus rien à faire. Le processus est également favorisé par la lâcheté proverbiale de ceux dont on attendrait des exemples de fermeté morale. Le soi-disant intellectuel roumain quitte son ami et s'allie à la canaille pour quelques lei supplémentaires sur son salaire, pour un titre décoratif, pour un bureau plus agréable... Un... universitaire de ce type qui atteint une position de premier plan influence les concours, organise des promotions et ainsi de suite, de sorte qu'en peu de temps, le lieu où devrait régner la loi de la compétence, de l'émulation professionnelle, etc. devient une fourmilière d'ineptes profiteurs de l'argent de l'État, sous l'étiquette de l'enseignement supérieur. Et personne ne peut rien y faire. Seuls les classements internationaux des universités montrent clairement comment les institutions roumaines tombent entre les mains d'escrocs titulaires de doctorats... (Sinon, au niveau... national, tout va toujours bien...) Nous avons l'exemple d'un groupe, d'une identité spécifique, de « valeurs » défendues à l'intérieur de ce groupe. Les groupes, les critères des groupes, les anomalies dans le fonctionnement des valeurs à l'intérieur de ces groupes sont extrêmement instructifs pour qui veut étudier la dynamique sociale. Les réactions des autres groupes de l'environnement social, leur passivité paralysante face aux dérives des gouvernants, ne sont pas moins instructives dans l'exemple présenté.
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Ces caractéristiques « locales » se retrouvent dans tous les domaines de la vie collective. J'ai vu récemment des hommes politiques se réjouir du fait qu'une loi a été votée au Parlement qui dit que « les criminels ne pourront plus figurer sur les bulletins de vote ». Est-ce que quelqu'un se rend compte où nous en sommes si quelque chose qui aurait dû être évident, au-delà de toute discussion - que les criminels ne devraient pas mener, ne devraient pas ... donner ... des conseils aux autres - a besoin d'une loi, et que cette loi ne peut être ... obtenue qu'après plus de trois décennies, votée avec beaucoup d'efforts, proclamée comme une grande victoire ? Nous parlons d'une loi qui interdirait aux voleurs, aux escrocs, aux violeurs et aux autres personnes du même acabit de se présenter et d'exercer des fonctions dans l'État roumain... Et pour cela, il fallait une loi... Qui, comme d'habitude, sera enfreinte... Les valeurs nationales ne se renient pas.
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Les études sur l'organisation sociale couvrent des réalités telles que celles énumérées ci-dessus. Tous les aspects de la vie sociale sont passés au crible ; il existe de brillantes études sur les aspects mentionnés. Mais il y a aussi des aspects qui méritent plus d'attention. Par exemple, les attitudes et les réactions des groupes aux remarques critiques sur leur propre collectivité sont peu étudiées. Je crois que ces réactions révèlent des vérités importantes sur la société. Elles illustrent évidemment le niveau de réflexion, d'éducation, de compréhension, etc. des interlocuteurs. Elles correspondent toutes à leur motivation, elles donnent toutes des indications significatives : quelles sont les sources de ces réactions, quelle est leur motivation réelle, etc. Lorsqu'une explication complexe ne peut être proposée, il faut chercher d'autres raisons. Le phénomène relève de la psychologie sociale. Les manifestations des groupes sont, là encore, diversifiées, selon le niveau d'éducation, d'expérience, de compétence des individus. Il y a des attitudes déterminées par la composition générale du groupe - comme lorsqu'il s'agit de réalités nationales. L'appréciation des qualités, des mérites, etc. de sa propre nation est âprement revendiquée et proscrite en l'absence d'une culture de l'esprit critique. L'éducation, la tradition soutenue par l'éducation, les constructions figées dans la conscience... sont les éléments qui s'opposent à la manifestation de l'esprit critique. Et comme la tradition nationale, l'éducation nationale a permis et entretenu des constructions sociales précisément orientées, l'esprit national se manifeste dans toutes les opinions.
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Je n'entrerai pas dans les détails, mais le refus des évaluations critiques concernant son propre groupe social est présent dans tous les collectifs coagulés de manière cohérente. Le narcissisme de groupe - hubris, arrogance, auto-évaluation sans arguments, solidarité injustifiée en toutes circonstances, « couverture » des irrégularités des membres du groupe, etc. ont été observés et étudiés - est une réalité souvent méconnue, mais dont l'importance ne peut être ignorée. Sur le narcissisme de groupe, on trouve des références à partir de Freud, Erich Fromm, Isaiah Berlin, Pierre Bourdieu (sur les collectivités des gens de l'art) et bien d'autres. Comme on peut le constater, il s'agit de chercheurs de première importance. L'un des cas les plus flagrants, particulièrement étudié par tous ceux qui se sont penchés sur la question, est celui de la nation. C'est le plus évident, mais ce n'est pas le seul.
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Il existe une interdépendance décisive entre l'auto-évaluation - appelons-la auto-évaluation nationale - et l'auto-évaluation dans les groupes sociaux qui composent la nation. Plus l'ego national est gonflé, irrationnel, déraisonné, plus les jugements dans les domaines adjacents seront gonflés. Les jugements généraux élevés se répercuteront sur des aspects particuliers - parfois non seulement en raison d'une erreur de jugement, mais aussi parce qu'ils sont étayés par des intérêts beaucoup moins... glorieux. Si vous apprenez à apprécier votre nation à sa juste valeur, vous verrez nécessairement ses aspects concrets de manière positive. Il existe ici aussi des « stratégies » spécifiques. S'il y a des domaines dans lesquels les comparaisons seraient manifestement défavorables (industrie, armée, revenu par habitant, etc.), il y a lieu d'en tenir compte. Oui, nous avons une industrie sous-développée, nous vivons dans la pauvreté, selon les comparaisons de salaires, le système médical est inférieur à celui d'autres pays, l'éducation est dans le marasme, selon les classements mondiaux des universités... Oui, mais nous sommes... les plus intelligents (les études sur l'analphabétisme et l'analphabétisme fonctionnel prouvent à quel point nous le sommes). Oui, mais nous sommes les orthodoxes les plus fidèles... Oui, mais nous avons la littérature la plus…
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L'auto-évaluation indifférenciée découle de l'utilisation d'unités de mesure différentes. Il pourrait y avoir une « grille » d'évaluation universelle qui suivrait les développements à l'échelle mondiale, dans le monde entier. Mais après l'imposition de critères nationaux, l'image globale est ignorée au profit de jugements à l'intérieur de son propre périmètre. Il ne fait aucun doute que lorsque l'on se limite à une petite zone, les détails prennent beaucoup plus d'importance que lorsque l'on voit l'ensemble. L'observation d'une réalité à petite échelle présente également un avantage : on n'est plus obligé de connaître l'ensemble, de s'atteler à une étude complexe et élaborée.