Le dépôt
DIRECTION CRITIQUE (XXXI)
Direction critique (XXXI)
Selon une formule sans équivoque, le patriotisme, c'est faire, dans la communauté dont on fait partie, à la place qui est la sienne, honnêtement, consciencieusement, habilement, avec toute la compétence pour laquelle on s'est formé. Cela semble trop simple, cela semble même simpliste, et certains diraient même mesquin, comparé à toutes sortes de grandes déclarations, de formulations grandioses, de poings frappés dans la poitrine et autres définitions solennelles du patriotisme. Tant d'intellectuels nationalistes, de bonne foi ou sympathiques (des natures poétiques, sans doute, vivant dans un sentimentalisme romantique permanent), ou simplement camarades (d'ailleurs ou simplement camarades) à l'époque du communisme, ont proclamé de façon plus spectaculaire leur foi en la patrie. Que voulez-vous dire, seulement cela ? Mais où sont les paroles édifiantes, les sacrifices, les héros, la nation, les ancêtres, le passé glorieux et tout le reste Certes, tout cela paraît simplifié, appauvri, sans la dimension exaltante des discours patriotiques. Et pourtant... Et pourtant, si l'on y réfléchit bien, la réalisation des simples exigences mentionnées ci-dessus conduirait à une autre image de notre patrie que celle que nous vivons aujourd'hui. Un monde plus accueillant, plus généreux, d'où ne partiraient plus les jeunes méritants et ceux qui la considèrent comme un lieu sans perspectives, un monde où l'amour de la patrie prendrait des dimensions réelles et des raisons inébranlables. Un monde normal. Et alors la patrie serait vraiment servie. Les choses semblent en effet extrêmement simples. Nous ne devrions vivre que dans un pays où l'homme politique serait un individu capable, accompli dans son domaine professionnel, qui entrerait en politique non pas parce qu'il est incapable de faire autre chose, non pas parce qu'il cherche un moyen de promotion à la mesure de ses aptitudes subversives, mais parce qu'il a une vocation pour la politique et qu'il peut faire quelque chose pour la communauté dans laquelle il vit ; un individu qui aurait un niveau intellectuel suffisamment élevé pour prendre en charge de manière responsable le destin d'une nation, qui chercherait des solutions aux situations du moment, ouvrirait des perspectives et dynamiserait les foules. Malheureusement, le modèle communiste, selon lequel n'importe qui, avec n'importe quel QI, avec n'importe quelle preuve d'ignorance pathétique, peut occuper les plus hautes fonctions de l'État, se perpétue - et la majorité des électeurs, formés à la même époque, dans le même esprit, acceptent sans broncher des analphabètes à la tête du pays, qui ne s'intéressent qu'à leur propre profit et à celui de leur clique. Mais l'atmosphère devenue insupportable pour beaucoup n'est pas seulement due au niveau lamentable de la classe politique. Cette classe politique représente en définitive la société qu'elle dirige, sa culture, ses valeurs fondamentales... La précarité est présente dans tous les domaines de la vie sociale... En y regardant de plus près, on s'aperçoit qu'il n'est pas si facile d'être un bon patriote selon les simples critères énoncés ci-dessus. Bien d'autres conditions devraient être remplies pour parvenir à une société normale. Le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire ne doivent pas manipuler les lois de manière à ce que les grands délinquants restent en liberté. Les enseignants (car le niveau atteint par l'éducation roumaine est l'une des causes de la dérision dans laquelle nous sommes tombés aujourd'hui) devraient remplir leur mission d'enseignement sans prétention, mais avec vocation, en élevant le niveau des écoles roumaines. Les enseignants finissent par se cacher dans une nouvelle langue de bois, invoquant toutes sortes de "programmes-cadres" qui ne disent rien, ne résolvent rien - au lieu d'aider simplement ceux qui leur sont confiés à comprendre correctement le monde, au lieu d'éveiller l'intérêt et la curiosité des jeunes à découvrir ce qui est important et, surtout, au lieu de faire penser les citoyens en devenir par eux-mêmes. L'enseignement supérieur devrait également promouvoir réellement des valeurs (et ce dans tous les domaines !) et non des familles ou des clans qui en viennent à dominer les départements, les facultés ou même les universités. Les étudiants devraient également être sélectionnés uniquement sur la base de leurs qualités et de leur travail et non sur la base de la "chaîne des faiblesses" qui fonctionne encore aujourd'hui comme à l'époque de Caragiale (je ne parle même pas du commerce des diplômes, des titres, des notes, de l'assiduité aux cours, etc. qui concerne directement les enquêtes criminelles). De même, les diplômes de doctorat ne devraient plus contenir de simples paraphrases d'idées tirées de diverses sources faisant autorité (et à cet égard, je ne parle même pas du plagiat, qui est apparemment devenu monnaie courante, notamment chez de nombreuses personnes occupant des postes élevés). Il faudrait aussi que l'argent public ne soit plus dilapidé (quand il n'est pas carrément volé !) par des dirigeants incapables, propulsés par des partis fonctionnant, sans la moindre morale, selon des principes mafieux. Il faudrait aussi que les hôpitaux et les soins de santé en général soient au niveau de notre siècle... Il faudrait que les tentatives de spoliation à tout va, devenues monnaie courante, disparaissent... Il faudrait aussi que l'impolitesse, le manque de civilisation dans tous les domaines, etc. ne soient plus regardés avec indulgence par une grande masse de gens. Il faudrait que les villes ne soient plus polluées au point d'être insupportables, que les forêts ne soient plus abattues et vendues au profit d'escrocs... C'est à faire et à refaire. La liste semble infinie. Au-delà des lacunes sans fin, il y a un problème de culture, de hiérarchie des valeurs, de fonctionnement des "élites" - qui, depuis longtemps, ne sont plus des élites qu'entre guillemets... Les symptômes indiquent une généralisation du mal. Des conditions aussi simples pour devenir de vrais patriotes sont pour beaucoup impossibles à remplir. Le problème se pose partout - et précisément lorsque les grands mots sur le patriotisme sont prononcés avec le plus de véhémence ! Même là où il faut prendre le "pouls" du moment historique. Même dans l'art, dans la littérature. L'écrivain exerce un "métier" difficile qui comporte de nombreux risques. Mais son existence, bien qu'elle soit dans une très large mesure indépendante de ce qui se passe autour de lui (les auteurs d'aujourd'hui spéculent sur quelque chose, "découvrent" des solutions prétendument modernes (en fait des imitations) - ou... postmodernes (également... des imitations) - abandonnées depuis longtemps ailleurs... finissent par répéter les mêmes symptômes. Je ne demanderai pas aux écrivains de devenir des censeurs de la réalité - mais l'indifférence quasi générale face à la dégradation de la culture dans laquelle ils vivent en dit long. Qui d'autre, depuis Caragiale, a fondé son travail sur le constat d'anomalies devenues quotidiennes ? Il n'est pas nécessaire de s'en tenir aux écrits. Il est symptomatique de retrouver les mêmes défauts au niveau collectif. Il y a trop d'auteurs qui, au lieu de faire leur travail, qu'ils mènent jusqu'au bout avec honnêteté, avec vocation (le cas échéant, bien sûr !), sont devenus les maîtres de tout autre chose (je ne dirai pas quoi - cela va de soi et je l'ai fait assez souvent dans ces pages)... Sans se soucier du fait que même par leurs actions, finalement sans enjeu, ils contribuent une fois de plus à la dégradation des systèmes de valeurs, à l'impiété de l'appréciation honnête de la réalité.
C'est ainsi que des choses simples, dans l'esprit de chacun, qui ne demandent pas de sacrifices exaltants, sont extrêmement difficiles à réaliser dans les sociétés malades... Et lorsque l'anormalité sera remplacée par la normalité (si un tel miracle se produit un jour), les egos nationaux deviendront tout autre chose. On pourra alors parler d'autres exigences. Elles aussi sont indispensables et sont l'autre face de la même médaille. Mais avant d'atteindre ces objectifs, nous devons d'abord surmonter les obstacles insurmontables de la vie quotidienne.
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Nicolae Steinhardt a déclaré dans The Danger of Confession que sans noblesse d'âme, sans gentillesse et sans compréhension, tous les attributs de la haute culture deviennent inutiles. C'était la méchanceté de ceux qui étaient haut placés, très instruits, avec de vrais diplômes, etc. Parler aujourd'hui d'exigences aussi naturelles ne paraît-il pas ridicule ? Aujourd'hui où l'incompétence est devenue la norme ? Quand les doctorats sont régulièrement plagiés ? Peut-on exiger la noblesse d'âme de ceux qui accèdent au pouvoir par des manœuvres immondes ? Peut-on encore demander de la bienveillance et de la compréhension à ceux qui bâtissent leur carrière sur autre chose que l'étude, le travail et la compétence ? Le manque de moralité dans tous les domaines pourrait sembler être un héritage de l'ère communiste. La réalité est plus triste. Lorsqu'il est devenu possible de changer ce qui est tordu dans le corps social, il n'y a pas eu d'élan majeur pour supprimer les anomalies...
Ce sont là quelques-unes des principales raisons pour lesquelles de nombreux Roumains quittent leur pays. En particulier les jeunes qui ont l'habitude de vivre dans d'autres conditions, avec lesquelles ils se sont familiarisés pendant leurs études. Tout le monde ne quitte pas la Roumanie pour gagner plus d'argent. Pourquoi ne font-ils pas les changements qui semblent si simples, que d'autres font si naturellement et qui nous montreraient que nous sommes de vrais patriotes ? Pourquoi n'y a-t-il pas une majorité pour constituer la masse critique nécessaire pour imposer la normalité ? (Une normalité européenne, telle qu'elle est imposée par l'Europe civilisée - car dans les parties malheureuses du continent, "normalité" peut signifier n'importe quoi...). Elle est sans doute enracinée dans une certaine culture, une certaine éducation - ou plutôt la précarité de l'éducation. Il y a des traits de caractère que les gens ne cultivent pas, qu'ils ne manifestent pas s'ils ne font pas partie d'une certaine tradition acceptée. D'où vient cette tradition condamnable ? Quelles sont ses origines ? Il est plus facile de dire qu'il y a eu et qu'il y a des anomalies qui ont été acceptées au fil du temps par une grande partie de la population. Ce sont des choses anormales qui n'ont pas été contrôlées, condamnées et qui sont donc entrées dans les mœurs. À Paris, vers 1900, il était interdit de cracher dans la rue. Aujourd'hui, ces interdictions n'ont plus lieu d'être. Ici, personne n'en a jamais parlé. A l'école, à l'âge où cela peut avoir un effet, il n'y a pas d'exemples de comportements sociaux, de gestes répréhensibles, de ceux qui devraient faire honte. Et c'est ainsi, pour rester dans le même exemple, que toutes sortes de garçons éduqués... méchants... sont convaincus qu'en éjectant énergiquement leur flegme sur le trottoir, ils font un acte de grande virilité, qu'ils se placent ainsi dans les rangs du bon monde. La normalité s'apprend, s'éduque. Grâce aux efforts d'une partie importante de la société. Mais les résultats n'apparaissent pas du jour au lendemain, il faut du temps, peut-être des générations, pour l'établir. La rapidité n'est que la déchéance, que l'apparence de l'absence, aussi le résultat... de l'éducation...
Constantin Pricop