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AUTEUR-E-S - Index I

2 - Constantin Pricop

Note sur la critique

Note sur la critique

(Constantin Pricop)



Je vais essayer de répondre à une question qu'on a déjà débattue, si je me souviens bien, plusieurs fois avant. 

D'abord tu dis que c'est mon métier. Je dirai plutôt que j'ai pratiqué régulièrement, depuis bien des années, la critique littéraire dans des revues littéraires… Parce que la critique littéraire, comme toute sorte de critique d'ailleurs, n'est pas un… métier. Ça peut être une vocation. Ou la prétention d'une vocation. Truffaut a eu raison et ca c'est valable pour tout activite de création… En critique tout un chacun est… spécialiste… Si j'ai dit que c'est une vocation ça veut dire qu'on a besoin d'une qualité innée - comme l'oreille musicale pour la musique. Mais cette donnée, qui est indispensable, n'est pas du tout suffisante. Avoir de l'oreille musicale ca ne veut pas dire qu'on devient automatiquement musicien… Il faut encore être spécialisé dans le domaine, avoir d'immenses lectures, connaître presque tout (tout est impossible…) dans le domaine. Pour la littérature il faut bien connaître la voie de la littérature mondiale… Son passé et son présent… Mais pas seulement l'érudition ne donne une vraie critique. On peut être un très bon prof de littérature et un critique lamentable… Avoir le manque d'oreille musicale… Une autre chose qui compte est le tempérament. On a des lecteurs fugaces, qui développent une passion ou même une grande passion pour une lecture qui leur a plu… Ils deviennent véhéments dans leur… jugement occasionnel, ils le soutiennent avec grand bruit et rejettent tout ce que n'est pas leur choix… C'est la caractéristique des jeunes et très jeunes. Ils sont fanatiques d'un chanteur ou d'un groupe de musique et… leur fanatisme se dissout avec l'âge… (De même dans la littérature.) Mais pas seulement les jeunes. On a quelquefois des adultes de la même farine. Le cas des adultes va plutôt vers les equipes de football. Cette fois le substitut est de la lutte… pas du goût.. La lutte par des… représentants… Mais quel que soit le phénomène, il se consomme dans un contexte, on a toujours d'autres concurrents, avec leurs qualités, avec leurs défauts… 

Bref… Tout le monde a l'impression (et le droit) d'avoir des opinions sur tout. Mais on a des pratiquants de la critique qui peuvent avoir une autorité sur les autres. Par leur goût, par leur connaissance très bonne du domaine, par leur courage de soutenir leurs opinions, par leur indépendance de jugement… Parce qu'on a aussi un phénomène qu'on peut dire sociologique… Plusieurs peuvent imposer leur opinion par l'intermédiaire des revues, des journaux, par la radio et la tv qui les servent pour ça. Même si leurs jugements sont faux. C'est une dictature des soi-disant spécialistes… Et ça devient du mainstream. Pour un certain temps, au moins. Quelquefois ils peuvent être de bonne volonté, mais il y a pas mal de situations où ils peuvent avoir des intérêts… D'autres intérêts que le jugement correct. C'est ce qu'on peut voir aujourd'hui en critique littéraire en Roumanie, par exemple… Des bandes de littérateurs, chacun avec leurs clients… Dans ce cas, si on est honnête, il faut être indépendant - avec le risque de ne pas participer à certains mouvements publics du jour… C'est-à-dire être entre deux trains qui vont en directions contraires sur des lignes parallèles… Alors, en deux mots: un critique est quelqu'un qui doit avoir une vocation, qui doit être un très bon connaisseur de la littérature mondiale, qui doit avoir des compétences aussi dans d'autres domaines des humanités (sociologie, anthropologie, linguistique etc.), qui doit avoir le courage d'être indépendant (c'est à dire contre tous, s'il en est besoin, avec les risques y compris), qui doit avoir la capacité d'exprimer de façon attractive ses jugements… Et encore d’autres choses… Je me précipite donc pour t'envoyer ces mots parce qu'autrement je trouverai encore des choses qu'il faut pour être un critique littéraire… Comme la capacité d'établir la valeur d'un texte (mais pour ça il faut une longue discussion, avoir une image assez précise du champ littéraire et des forces qui y travaillent, voir Bourdieu et les autres qui ont analysé la question, avoir des notions sur ce que concerne le moderne et l’ancien, distinguer la vraie invention et ce qui est obsolète en littérature, avoir une idée de ce qu'est l'autorité d'un critique et comment s'établit l'autorité en critique etc?, tant d'autres… Mais pour ça il fautdrait au moins un livre - pas quelques lignes… En courte conclusion: on critique d'après sa capacité de comprendre l'art littéraire, d'après sa compréhension de la poésie et tout ça en dépendance avec son niveau d'éducation dans le domaine… On dit que la poésie est quelque chose qui tient de l'inspiration… Comprendre la poésie est chose d'inspiration et quelque chose encore en plus…