La
page
blanche

Le dépôt

AUTEUR-E-S - Index I

29 - Susy Desrosiers

Poèmes

Adieu


l'écho de ton nom: ma gorge lacérée

bouche de cendre

l'autan en emporte tes silences

ton absence: des rivières sous mes yeux




Mémoire ancestrale


enracinée

dans mes profondeurs

je mords à mes origines

coulées de labeur

sillons de labours

terre ancestrale





À contre-jour


ta silhouette

découpée

en ombres de lumière

sur la pâleur

de l'obscurité


tu existes

de l'autre côté de toi

légère

fluide

sans frontières

loin des espaces denses

du poids de l'indicible


tes éthers

se métissent

à l'infini


temps éphémère

éternel le silence du tombeau





Fêlure


trop loin

trop creux dans ta tête

trop sombre

éclats d'obscurité

tu reviens

sur le pas de tes yeux

l'effroi

cloué aux paupières





Contrevérités


au repli du mensonge

des mots maquillés

trompe-l’œil

des mots masqués

demi-vérités

une seconde peau

lourde à porter




Nuit blanche


champ de mes insomnies

un horizon d'ombre

vaste

sans ailleurs

où je m'égare






Des années à te voir partir


tes yeux    des brumes éparses

ta gorge    des silences

ta mémoire    emmental

ton corps    muet


tu habites des ailleurs

des zones éphémères

la blancheur de ton existence






L’océan qui m’habite

 

 

Il y a souvent plus de choses naufragées au fond d’une âme

qu’au fond de la mer. -Victor Hugo

 

 

I

 

pour la première fois

je vois la mer

j’ai douze ans

je sens ma cage thoracique

trop petite

pour l’immensité qui me heurte

 

des nuées

des effluves de corail

le ciel

la mer

mariage d’un bleu azur

sous un voile blanc

 

derrière mes paupières

s’entassent

les horizons

 

embruns

sur la grève de mes yeux

II

 

debout

sur la côte millénaire

qui monte la garde

 

je salue aujourd’hui

les terres de galets

le limon

les sables rouges

 

les beautés littorales

les cairns

les terrasses marines

 

j’ai les racines

du lichen

une chair d’exil

 

un pied nomade

l’autre marin


 

III

 

de grandes marées noires

gonflent

mes entrailles

inondent mon être

tout entier

 

amertume au goût de sel

abysses

ténèbres

épaves

de mes naufrages

 

à l’èbe

réminiscences

de mes vies à la traîne

de mes nuits agitées

 

l’estran de cendre


 

IV

 

mi-craie

mi-fusain

au bout de mes cils

une corniche

 

mes estafilades

emplies de varech


mes lèvres

un gouffre

ma gorge

un fjord

 

mon existence

m’échappe encore

flanc d’argile

échine de roc

érodés par les eaux

 

le ressac

m’emporte

vers le large


 

V

 

l’océan murmure

ses airs nostalgiques

la rumeur

que porte la brise

poésie

à mes oreilles

 

j’entends

les voix des marins

leur parlure des Îles

 

les échos

des cages de homards

des salebardes

qui émergent de l’eau

 


 

VI

 

les lames effritent

les falaises du paysage

à chaque déferlante

mes os se fracassent

 

ballotée

par la houle

au couchant

sous la nappe de feu

 

je me confonds

au roulement des vagues

telle une poupée désarticulée


 

VII

 

trop souvent

j’ai sombré

dans mes profondeurs

 

toujours

je suis remontée

à force de brasses

 

fatiguée

désormais

je me laisse couler

je bois la mer

 

je suis le flot

je suis le perdant

je suis vaste

de l’océan

qui m’habite





Interminable

 

une fenêtre, une ouverture

le vent, complainte

la noirceur

un matou, une chatte

des litanies

les chaleurs


un clair de lune

des murs, des ombres

des squelettes

des craquements, des pas

des silhouettes

des voix

des caverneuses, des éthériques

la frousse

mon imagination

mes soupirs


ma tête foraine

un manège

la roue, la grande

des tours

le premier, le deuxième

mes chimères, une montagne

obsessions

mes soupirs


des mots

des justes, des disloqués

des lettres détachées

des vers, des strophes

inspiration

des mantras

des prières

des heures, des blanches

insomnie

mes soupirs

 

deux heures, trois heures

quatre heures, l’aurore

accalmie

le réveille-matin




Fatal


Sur un fil d'Ariane

un petit ange.


Flux et reflux.

Marée noire de réminiscences

qui griffent tes paupières

et te hantent.


Sans cesse.


Une bise sur ta joue.

Sa main glissant de la tienne.

Sa petite voix

-je t'aime maman.


Sans cesse.


Un dessin inachevé

-licorne arc-en-ciel.

Une poupée dans son berceau.

Un livre de contes posé

sur une table

-la Belle au bois dormant

qui ne s'éveille.


Désormais

tes entrailles

ne sont que froidure.

Tu cherches son sourire

dans tes heures blanches.


Mais hélas…


Flux et reflux.

Marée noire.


Sans cesse.



Tragédie du 8 février 2023: un autobus fonce dans une garderie à Laval (Québec, Canada), deux enfants sont décédés.





Territoire occupé



terres brûlées

mer rouge


ronces dans la gorge

regard plombé d’effroi

barbelés

déchirure au ventre


il déifie la mort

fêlure dans la nuit

une courte existence

un coquelicot




Indicible



colombes et papillons

se sont envolés


paysages

plaines et rivières

que tu égares

au fond de ta poche


comme seuls bagages

tes origines

une peluche

des comptines d’enfant


derrière toi

ta mère

ton père

sang et cendres


te hantent

le cri des sirènes

les flammes

l’éphémère


tes petits pas

pèsent lourd

déjà trop de corbeaux

sur tes jeunes épaules


au bout de ton horizon

une terre   une langue

inconnues

tu te pers dans de nouveaux visages


des mains

se tendent vers toi

de nouvelles racines

poussent sous tes pieds




Polaire


neige perpétuelle,

horizon blanc sur blanc


Je marche sur le sol ancestral, les yeux battus, la froidure collée au visage. 

Mes pas à la cadence des chants de gorge, des échos de dialectes, 

de légendes disparues : des femmes, des hommes, tous égarés dans les hiers.

Leurs empreintes condamnées au silence.

Au fond du froid, j’avance vers l’ubac, transie par leur vécu tracé de sang.

Je crie avec les loups.




Exil


on laboure tes origines,

te déporte


Derrière le chaos, les cendres, tu as laissé ta blancheur, ton duvet.

Sur le quai, tu as abandonné une race sacrifiée, ton sang.


Au fond d’une cale ballotée par les vents du large, les airs marins,

tu tangues sur les eaux d’exil, vers des saisons inconnues.


Ton être est un désert assoiffé d’azur.

À grandes goulées, tu bois l’océan.


S’éparpillent les éclats de brumes :

une île aux horizons hachurés de promesses.




Réminiscences


I


n’as-tu pas oublié

nos jardins d’enfance

nos moustaches de lait

le sable dans nos yeux

la boue entre nos orteils

nos petites mains tachées de gouache

les contes de fées

nos joues rosies par les morsures de l’hiver

le ballon-chasseur

nos querelles d’enfants gâtés


ne te souviens-tu pas

des ruelles de notre enfance

notre première cigarette

nos états d’ivresse

nos rires jusqu’à tard la nuit

ta main dans la mienne

nos baisers clandestins

nos faux pas

notre fièvre de liberté

nos rébellions


nous étions immortels



II


désormais

épuisé d’existence

mon essence se disperse

je m'étiole


j'entends

son murmure

ses pas

son souffle court


elle s’approche


je sens

sa présence

sa froideur

son haleine


elle est là


n’entends-tu pas

les battements d’ailes de mes mots

vers l’autre rive


redonne-moi ta main

un baiser

la force

de supporter la fatalité

de transcender le voile



III


depuis

tu erres dans des ailleurs

le lit du vent

les soupirs de la mer

le ciel d’aurore

les frémissements de la terre


je te reconnais

dans les effluves des saisons

la beauté des fleurs

les couchers de soleil d'or et d'opulence

les diamants sur les flots

les cris d’orage

la méditation de la pierre

la blancheur de mes nuits

les pulsations du tombeau


tu es là

dans les méandres de ma mémoire

la langueur de mes pores

le ruissellement de mes larmes

les réminiscences de mon âme




Langueur

 

j’ai épuisé ma plume

jusqu’au bout de moi

jusqu’à plus rien


la gorge pleine de roches

ma voix s’étrangle

mes mains deviennent muettes

 

je m’égare dans mes silences

rumeurs qui m'étourdissent


prisonnière de mes soupirs

je m'enfonce dans la tourmente

je chute libre


  ***

 

j’erre dans des ailleurs

habite des espaces

qui ne m’appartiennent pas

 

j’incarne des chairs inconnues

respire une autre vie

me perds dans de nouveaux visages


je traîne sur les bermes

de la folie passagère

dans mes zones sinistrées


avec épouvante

j'abandonne ma tête brûlée

me fuis à perte de vue

je meurs une fois de plus