Le dépôt
Poèmes
Adieu
l'écho de ton nom: ma gorge lacérée
bouche de cendre
l'autan en emporte tes silences
ton absence: des rivières sous mes yeux
Mémoire ancestrale
enracinée
dans mes profondeurs
je mords à mes origines
coulées de labeur
sillons de labours
terre ancestrale
À contre-jour
ta silhouette
découpée
en ombres de lumière
sur la pâleur
de l'obscurité
tu existes
de l'autre côté de toi
légère
fluide
sans frontières
loin des espaces denses
du poids de l'indicible
tes éthers
se métissent
à l'infini
temps éphémère
éternel le silence du tombeau
Fêlure
trop loin
trop creux dans ta tête
trop sombre
éclats d'obscurité
tu reviens
sur le pas de tes yeux
l'effroi
cloué aux paupières
Contrevérités
au repli du mensonge
des mots maquillés
trompe-l’œil
des mots masqués
demi-vérités
une seconde peau
lourde à porter
Nuit blanche
champ de mes insomnies
un horizon d'ombre
vaste
sans ailleurs
où je m'égare
Des années à te voir partir
tes yeux des brumes éparses
ta gorge des silences
ta mémoire emmental
ton corps muet
tu habites des ailleurs
des zones éphémères
la blancheur de ton existence
L’océan qui m’habite
Il y a souvent plus de choses naufragées au fond d’une âme
qu’au fond de la mer. -Victor Hugo
I
pour la première fois
je vois la mer
j’ai douze ans
je sens ma cage thoracique
trop petite
pour l’immensité qui me heurte
des nuées
des effluves de corail
le ciel
la mer
mariage d’un bleu azur
sous un voile blanc
derrière mes paupières
s’entassent
les horizons
embruns
sur la grève de mes yeux
II
debout
sur la côte millénaire
qui monte la garde
je salue aujourd’hui
les terres de galets
le limon
les sables rouges
les beautés littorales
les cairns
les terrasses marines
j’ai les racines
du lichen
une chair d’exil
un pied nomade
l’autre marin
III
de grandes marées noires
gonflent
mes entrailles
inondent mon être
tout entier
amertume au goût de sel
abysses
ténèbres
épaves
de mes naufrages
à l’èbe
réminiscences
de mes vies à la traîne
de mes nuits agitées
l’estran de cendre
IV
mi-craie
mi-fusain
au bout de mes cils
une corniche
mes estafilades
emplies de varech
mes lèvres
un gouffre
ma gorge
un fjord
mon existence
m’échappe encore
flanc d’argile
échine de roc
érodés par les eaux
le ressac
m’emporte
vers le large
V
l’océan murmure
ses airs nostalgiques
la rumeur
que porte la brise
poésie
à mes oreilles
j’entends
les voix des marins
leur parlure des Îles
les échos
des cages de homards
des salebardes
qui émergent de l’eau
VI
les lames effritent
les falaises du paysage
à chaque déferlante
mes os se fracassent
ballotée
par la houle
au couchant
sous la nappe de feu
je me confonds
au roulement des vagues
telle une poupée désarticulée
VII
trop souvent
j’ai sombré
dans mes profondeurs
toujours
je suis remontée
à force de brasses
fatiguée
désormais
je me laisse couler
je bois la mer
je suis le flot
je suis le perdant
je suis vaste
de l’océan
qui m’habite
Interminable
une fenêtre, une ouverture
le vent, complainte
la noirceur
un matou, une chatte
des litanies
les chaleurs
un clair de lune
des murs, des ombres
des squelettes
des craquements, des pas
des silhouettes
des voix
des caverneuses, des éthériques
la frousse
mon imagination
mes soupirs
ma tête foraine
un manège
la roue, la grande
des tours
le premier, le deuxième
mes chimères, une montagne
obsessions
mes soupirs
des mots
des justes, des disloqués
des lettres détachées
des vers, des strophes
inspiration
des mantras
des prières
des heures, des blanches
insomnie
mes soupirs
deux heures, trois heures
quatre heures, l’aurore
accalmie
le réveille-matin
Fatal
Sur un fil d'Ariane
un petit ange.
Flux et reflux.
Marée noire de réminiscences
qui griffent tes paupières
et te hantent.
Sans cesse.
Une bise sur ta joue.
Sa main glissant de la tienne.
Sa petite voix
-je t'aime maman.
Sans cesse.
Un dessin inachevé
-licorne arc-en-ciel.
Une poupée dans son berceau.
Un livre de contes posé
sur une table
-la Belle au bois dormant
qui ne s'éveille.
Désormais
tes entrailles
ne sont que froidure.
Tu cherches son sourire
dans tes heures blanches.
Mais hélas…
Flux et reflux.
Marée noire.
Sans cesse.
Tragédie du 8 février 2023: un autobus fonce dans une garderie à Laval (Québec, Canada), deux enfants sont décédés.
Territoire occupé
terres brûlées
mer rouge
ronces dans la gorge
regard plombé d’effroi
barbelés
déchirure au ventre
il déifie la mort
fêlure dans la nuit
une courte existence
un coquelicot
Indicible
colombes et papillons
se sont envolés
paysages
plaines et rivières
que tu égares
au fond de ta poche
comme seuls bagages
tes origines
une peluche
des comptines d’enfant
derrière toi
ta mère
ton père
sang et cendres
te hantent
le cri des sirènes
les flammes
l’éphémère
tes petits pas
pèsent lourd
déjà trop de corbeaux
sur tes jeunes épaules
au bout de ton horizon
une terre une langue
inconnues
tu te pers dans de nouveaux visages
des mains
se tendent vers toi
de nouvelles racines
poussent sous tes pieds
Polaire
neige perpétuelle,
horizon blanc sur blanc
Je marche sur le sol ancestral, les yeux battus, la froidure collée au visage.
Mes pas à la cadence des chants de gorge, des échos de dialectes,
de légendes disparues : des femmes, des hommes, tous égarés dans les hiers.
Leurs empreintes condamnées au silence.
Au fond du froid, j’avance vers l’ubac, transie par leur vécu tracé de sang.
Je crie avec les loups.
Exil
on laboure tes origines,
te déporte
Derrière le chaos, les cendres, tu as laissé ta blancheur, ton duvet.
Sur le quai, tu as abandonné une race sacrifiée, ton sang.
Au fond d’une cale ballotée par les vents du large, les airs marins,
tu tangues sur les eaux d’exil, vers des saisons inconnues.
Ton être est un désert assoiffé d’azur.
À grandes goulées, tu bois l’océan.
S’éparpillent les éclats de brumes :
une île aux horizons hachurés de promesses.
Réminiscences
I
n’as-tu pas oublié
nos jardins d’enfance
nos moustaches de lait
le sable dans nos yeux
la boue entre nos orteils
nos petites mains tachées de gouache
les contes de fées
nos joues rosies par les morsures de l’hiver
le ballon-chasseur
nos querelles d’enfants gâtés
ne te souviens-tu pas
des ruelles de notre enfance
notre première cigarette
nos états d’ivresse
nos rires jusqu’à tard la nuit
ta main dans la mienne
nos baisers clandestins
nos faux pas
notre fièvre de liberté
nos rébellions
nous étions immortels
II
désormais
épuisé d’existence
mon essence se disperse
je m'étiole
j'entends
son murmure
ses pas
son souffle court
elle s’approche
je sens
sa présence
sa froideur
son haleine
elle est là
n’entends-tu pas
les battements d’ailes de mes mots
vers l’autre rive
redonne-moi ta main
un baiser
la force
de supporter la fatalité
de transcender le voile
III
depuis
tu erres dans des ailleurs
le lit du vent
les soupirs de la mer
le ciel d’aurore
les frémissements de la terre
je te reconnais
dans les effluves des saisons
la beauté des fleurs
les couchers de soleil d'or et d'opulence
les diamants sur les flots
les cris d’orage
la méditation de la pierre
la blancheur de mes nuits
les pulsations du tombeau
tu es là
dans les méandres de ma mémoire
la langueur de mes pores
le ruissellement de mes larmes
les réminiscences de mon âme
Langueur
j’ai épuisé ma plume
jusqu’au bout de moi
jusqu’à plus rien
la gorge pleine de roches
ma voix s’étrangle
mes mains deviennent muettes
je m’égare dans mes silences
rumeurs qui m'étourdissent
prisonnière de mes soupirs
je m'enfonce dans la tourmente
je chute libre
***
j’erre dans des ailleurs
habite des espaces
qui ne m’appartiennent pas
j’incarne des chairs inconnues
respire une autre vie
me perds dans de nouveaux visages
je traîne sur les bermes
de la folie passagère
dans mes zones sinistrées
avec épouvante
j'abandonne ma tête brûlée
me fuis à perte de vue
je meurs une fois de plus