Le dépôt
Poème de Brest
Dans le monde second où vivent toutes nos ombres,
celles-ci se rassemblent-elles dans un grand soir ?
toi,
tu as traversé les champs des fleurs jaunes des bougies
étoilées
(la grande mise du ciel toutes ces nuits)
visage de lune et noir smoking,
tu as traversé sans t'arrêter l'agitation des villes la nuit
ses milliers de verres d'alcool et le tintement des mots sur les lèvres
A la gare hier, comme ta vie est passée vite
(partir était ta façon de refermer le couvercle de la ville pour enfin trouver la chère quiétude)
Et par la lucarne du train
tu as agité un mouchoir d'adieu (un mouchoir en coton comme la fleur)
(apercevant rien qu'un instant le visage de Rimbaud sur le quai
(pensant rien qu'un instant au poème-minute que tu écrirais)
Puis, à la lucarne du train
tu as fermé les rideaux blancs et moelleux dans lesquels les rayons de la lune
se reposeraient de leur longue course
Tu avais ton billet pour un voyage – tout juste d'un demi-siècle
à venir, une vie pleine de poèmes pommes-poires
le serveur t'as apporté un thé noir, une tasse, un crayon noir, pour écrire tu gommais au lait tout simplement
tu observais avec intérêt la plage de fine poussière
posée sur les anciennes couchettes boisées du train
selon toi,
le Louvres était trop grand pour y bien vivre
tu préférais de loin la côte, un château de sable-fleur
Tu placerais deux lits dans ta chambre ainsi
tu te coucherais
à l’Ouest
et te lèverais
à l'Est
repas de lune demi-croquée
Ta maman t'avait dit où était l'alarme du train
il fallait tirer le fil, et le cauchemar devenait un rêve
et puis tout irait bien
le train traversait lentement une forêt qui en donnait sa parole
de sa voix d'oiseaux et de craquements de bois mort
*
Tu as mis tes sentiments en Bretagne
Alors le temps a passé (les matins de septembre, les abeilles de juillet, les grelots d'octobre, les brugnons d'août), fontaine de sable de l'année
le vent jamais n'inspire, il soupirait le sable de la côte mêlé de pollen,
sur la plage tu confondais les algues flottantes et les cheveux des sirènes
ongles les pieds dans le sable chaud et coquillages
Novembre fut différent, et notamment sa deuxième syllabe (du douze au quatorze novembre)
je crois qu'il était temps de s'en aller en ce mois de novembre
Pour t'en convaincre,
tu ramassais les derniers mots que la marée avait laissés sur la plage
et muni de la carte des champs de tulipes dans le monde, tu t'es mis en route
les fleurs levaient les yeux vers le ciel