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Librairie Lpb - Lettre C
CADE Guénane - Pas de côté - Les Éditions Sauvages- DH
Si la poésie est un pas de côté dans les grands chemins de la littérature et les autoroutes des best-sellers, Guénane en est une fidèle arpenteuse. Avec plus de soixante ouvrages publiés, pour une bonne part chez Rougerie, elle n'a toujours pas sa page wikipedia. Ou plus exactement, sa page a été supprimée faute de notoriété... Il en faut plus pour décourager une femme comme Guénane et voici donc, publié par Les Éditions Sauvages, son dernier recueil intitulé Pas de côté.
D'entrée Guénane nous indique qu'elle veut sortir du "sabir des menaces la langue de l'angoisse". Et "Pour mieux mordre dans les secrets / pour mieux s'ouvrir au monde / s'emparer des mots est un choix " que Guénane met en pratique depuis plus de cinquante ans.
Les vertus de la marche ne sont plus à démontrer avec un retour sur soi bénéfique au détour d'un vol d'abeille ou d'une pierre déplacée. "Mes pas suivent des pas les mots me traquent / m'essoufflent courent plus vite que moi / aller ou pas dans leur sens ?"
La marche propice aussi pour l'observation et la réflexion "L'océan plat prend des airs / d'espion suspect / A la longue j'ai appris à le lire / à décrypter ses râles / ses feintes ses lueurs ses rumeurs / l'océan plat rumine une formule / pour nous détartrer le regard"
Guénane nous rappelle que marcher nous permet d'explorer les multiples horizons qui s'offrent à celui ou celle qui prend le temps d'observer ses sensations. "Autant la pluie me plaque au sol / m'entraîne vers mes racines / autant l'océan m'élève le regard". "Madame l'aigrette garzette / si sûre du harpon de votre bec / n'avez-vous jamais eu dans un reflet / une timidité face à vous-même ?"
Marcher pour se rapprocher de soi-même, de l'essentiel avec toutes ces questions existentielles toujours irrésolues. "Pour l'océan SDF sans frontière / qu'est-ce que l'horizon ?" "C'est comment un sommeil d'oiseau ?" "Nos zones d'ombre sont-elles des zones libres ?"
En faisant ce pas de côté vers des chemins parallèles, Guénane nous invite à perdre le fil, à chambouler tout bon sens. "Pourquoi toujours avoir les pieds sur terre / marcher toujours avec son temps pourquoi ?"
Comme souvent dans ses ouvrages, dans ce pas de côté, Guénane sait se trouver au point de jonction exact entre les mondes animal, végétal et minéral, avec en plus, l'humilité et l'intelligence à la fois de "Passer sa vie à apprendre à vivre"
CALAFERTE Louis - Haïkaï du jardin - Ed. L’arpenteur - IH
Étique, tarte, étriqué, piteux...
Pourtant sans doute très bon poète, que je vais lire dans sa production romanesque : Septentrion, dont j'ai découvert l'existence grâce au livre de critique littéraire de Linda Lê Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau, excellent livre de critique littéraire - tout comme Messages, livre de critique littéraire de Ramon Fernandez - Cahiers Rouges Grasset, que je recommande.
Mais j’ai été déçu par ce livre Haïkaï du jardin
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.« Dans cette suite, volontairement, je n’ai pas eu recours à la forme traditionnelle des haÏkaï, n’en respectant que la substance - pour découvrir qu’elle est une authentique interprétation du monde et un particulier éveil du regard intérieur. ».......................................................................
Au fond, je crois, Calaferte, ce menteur, cette mauvaise langue, dont j'aime les entretiens avec Pierre Drachline*, écrit de (très) médiocres po sans le savoir, en s'imaginant avoir un particulier éveil du regard intérieur, en écrivant ses haïkaï dans son jardin, en se croyant loin des mondanités.
Exemples pris au hasard dans le livre:
Soûlerie des bourdons
Dans les perles bleues
De l’aconit
Tout autour
Mille appels d’oiseaux
Mon âme
se laisse engourdir
par ces langueurs d’été
Plumetis de soufre
Une mésange
Assis
à l’ombre de la maison
j'ai la sagesse
de l’homme immobile
Boule neigeuse
du petit prunier en fleurs
Danse du papillon blanc
au-dessus des touffes de feuillage grisonnant
Au loin
le chant menu d’un oiseau
Chaleur
Pluie d’arrosage sur les fleurs
Argenterie diamantée
Ce livre me semble factice et étriqué, presque aucun de ces textes minimalistes ne me plait, il faut se forcer pour essayer d'y trouver de la poésie… je ne le recommande pas. Les gens que la poésie du haïku inspirent sont nombreux sur les réseaux sociaux. J’imagine qu’ils font - par imitation, leurs premières armes en écriture poétique…
Le livre de Louis Calaferte me parait une tentative maladroite de faire de la poésie minimaliste à bon compte à partir du Haïku.
*https://www.youtube.com/watch?v=-w1LCC92JIM
CALAFERTE Louis - Septentrion - Ed Folio - PL
Lyrisme. Verve. Radieuse syntaxe, lexique nourri. L'auteur est un obsessionnel personnage. Indigestion du "je". Faiseur. Faiseur de phrases. On dirait que l'auteur prend la pause à chaque phrase. Néanmoins faiseur de génie.
"La seule musique que je puisse produire a le son des prières et des suppliques d'angoisse. Je ne me sers que du tocsin de mort, mon instrument préféré. Tout être qui m'approche repart en me laissant la meilleure moitié de lui-même. C'est une bien grande épreuve que de vouloir écrire, chère madame. Croyez-moi : ne vous en mêlez jamais, par pitié."
Louis Calaferte (Septentrion p 47.)
"On n'a jamais, je dis bien jamais, écrit quelque chose d'aussi fort, d'aussi cru, et violent, et ardent. Et drôle. Et horrible. Et peut-être prophétique(...) Ne pas avoir lu ou ne pas lire sur-le-champ Septentrion est foncièrement immoral. "
Philippe Sollers (Le Nouvel Observateur)
"Donnez-moi votre présence, chérie, et asseyons-nous au milieu des récoltes abondantes."
"Tournez-vous que je vous enfile, Nora."
"Que la communion soit de miettes d'argent entre les hommes. Que le péché soit de le maudire. Et que le riche soit intraitable, abject, odieux, et qu'il en reçoive récompense sur sa maison et sur les siens. Que le pauvre sache qu'il sera persécuté par son frère même, mis en tutelle jusqu'au jour de sa mort, non admis au festin ni à toucher seulement au reliefs du festin, qu'il devra se tenir dans l'humiliation, n'avoir point d'aversion pour ce qui lui sera ordonné de repoussant au nom de l'argent, comme marcher sur les siens, matraque au poing, quand la misère les soulève, et que sa vie est à toute heure suspendue à quelques deniers. Voici enfin qui est clair !"
Pas prophète, non. Psychologue et homme de lettres voyeur, drôle, brillant, prolifique. Je crée" (p 94). L'histoire d'un écrivain ha-bi-té. Oui mais... la littérature n'aurait-elle pas intérêt à se faire simple et légère ? N'empêche ! On s'y attache. On y reviendra.
CALAFERTE Louis - C’est la guerre - Ed Gallimard - PL
Un livre d’histoire. Un livre qui vous apprend des détails que vous ne saviez pas sur l’occupation allemande et la débacle pendant la guerre de 39-40. Un livre qui est un roman, qui est un poème, qui est un roman, qui est un poème. Qui est un documentaire. Simple et léger sur une époque sombre et pénible. Récit d'un jeune adolescent. Difficile de lâcher le livre au rythme haletant.
J'ai treize ans. Quatorze ans. Quinze ans.
J'apprends l'homme.
L'homme est une saloperie.
CALAFERTE Louis - La mécanique des femmes - Ed Folio - IH
En 1963, Louis Calaferte publie Septentrion. Aussitôt interdit, ce livre est réédité en 1984. Pour qui l'aborde, sa fulgurance est intacte. La mécanique des femmes reprend les obsessions de Septentrion.
- Tu sais qui je suis ?
Ironique.
- Une débauchée.
Son mouvement lascif.
- Débauchée, luxurieuse, corrompue, déréglée, voluptueuse, immorale, libertine, dissolue, sensuelle, polissonne, baiseuse, dépravée, impudique, vicieuse.
Me baisant la main avec une feinte dévotion.
- Et malgré tout ça, je veux qu’on m’aime.
(Oui, mais... ce livre manque d'amour.)
CALVINO Italo - Marcovaldo - Ed. Folio Gallimard - RB
Dans l'art de Calvino, et dans ce qui transparaît de l'homme en ce qu'il écrit, il y a – employons le mot ancien, c'est un mot du XVIIIe siècle – une sensibilité. On pourrait dire aussi une humanité, je dirais presque une bonté, si le mot n'était pas trop lourd à porter : c'est-à-dire qu'il y a, à tout instant, dans les notations, une ironie qui n'est jamais blessante, jamais agressive, une distance, un sourire, une sympathie.
CAMUS Albert - La chute - Ed Folio - PL
Regardez, la neige tombe ! Oh, il faut que je sorte ! Amsterdam endormi dans la nuit blanche, les canaux de Jade sombre sous les petits ponts neigeux, les rues désertes, mes pas étouffés, ce sera la pureté, fugitive, avant la boue de demain. Voyez les énormes flocons qui s'ébouriffent contre les vitres. Ce sont les colombes, sûrement. Elles se décident enfin à descendre, ses chéries, elles couvrent les eaux et les toits d'une épaisse couche de plumes, elles palpitent à toutes les fenêtres. Quelle invasion ! Espérons qu'elles apportent la bonne nouvelle. Tout le monde sera sauvé, hein, et pas seulement les élus, les richesses et les peines seront partagées et vous, par exemple, à partir d'aujourd'hui, vous coucherez toutes les nuits sur le sol pour moi. Toute la lyre, quoi ! Allons, avouez que vous resteriez pantois si un char descendait du ciel pour m'emporter, ou si la neige soudain prenait feu. Vous n'y croyez pas ? Moi non plus. Mais il faut tout de même que je sorte.
Albert Camus
CARLOS WILLIAMS William- Paterson - Trad. Yves di Manno - Ed. Corti - PL - ML
Franchement dépité, frustré par Paterson de W.C. Williams. Car décousu, car absurdité, car degré de plaisir voisin de zéro. Des perles, bien sûr, de la qualité parfois, rarement … (Aujourd'hui je sens que je peux lire n’importe quoi)
* Le temps! Comptez ! Divisez et marquez le temps !
* Illumine l’angle où tu te tiens
* une perle posée entre les océans à travers lesquels passe un fil
* des phrases, mais pas au sens grammatical : de vrais traquenards tendus à l’esprit
Je ne ferai sûrement pas de compte rendu de Paterson dans une note de lecture… à chacun de se faire une idée de ce livre dont l’astuce consiste à intercaler des chroniques de l’histoire de la ville de Paterson… Grâce à ce stratagème le lecteur ne se lasse pas totalement de cette poésie aimable et bizarre et sans profondeur, et vient à bout du livre ainsi rythmé… D’accord c’est bien disposé sur la page mais c’est tout. Ce n’est pas votre opinion ? Mais je suis comme je suis, je m’exprime en liberté.
* je vous rejoins sur certains points et comprends votre avis. Ce n'est néanmoins pas tout à fait le mien car il y a des passages que je trouve admirables, des bijoux qui montrent que Carlos Williams était un grand poète.
Mais le but de Carlos Williams était autre : il s'agissait pour lui d'ouvrir une nouvelle voie à la poésie plutôt que passer pour un grand poète, créer un mouvement plus que laisser une trace.
En cela il faut recontextualiser. Avant Carlos Williams, la poésie restait sur des thématiques très classiques, l'amour, la mort, la nuit... Certes, E. Pound, T.S Eliott et d'autres ont trouvé de la poésie dans des événements plus concrets mais c'est bien lui qui a poussé le curseur plus loin. A lancé un mouvement.
Ce mouvement mènera à la beat generation, avec le succès que l'on sait, et qui a mis au centre de ses textes les laissés pour compte, avec le succès que l'on sait.
Bref, il se peut que ce ne soit pas une œuvre pour vous, peut-être même est-ce un texte pour personne car il est défrichement plutôt que route goudronnée.
"Nulle défaite n’est seulement faite de défaite – puisque
le monde qu’elle révèle est un territoire
dont on n’avait jamais
soupçonné l’existence. Un monde
perdu,
un monde impensable
nous attire vers d’autres territoires
et nulle pureté (perdue) n’est plus pure que le
souvenir de la pureté ."
CARRÈRE Emmanuel - L'adversaire – Folio - M.L.
Style journalistique à la Truman Capote qui raconte l'histoire vraie de Jean-Claude Romand. Récit étonnant dans sa forme, glaçant dans le fond. Les remarques faites par Emmanuel Carrère, notamment à la fin du texte sur ces « visiteuses de prison » me semblent d’une grande pertinence.
"Qu'il ne joue pas la comédie pour les autres, j'en suis sûr mais est-ce que le menteur qui est en lui ne lui la joue pas ? Quand le Christ vient dans son cœur, quand la certitude d'être aimé malgré tout fait couler sur ses joues des larmes de joie, est-ce que ce n'est pas pas encore l'Adversaire qui le trompe ?"
CĀRTĀRESCU Mircea - Solénoïde - Ed. Points - P.L.
J’en suis à la page 702 du livre de Mircea Cāratārescu Solénoïde
et j’ai mis dix jours pour y arriver tellement ce livre est impressionnant. J’ai lu des romans qui m’ont particulièrement intéressé comme ceux de J. Conrad, celui de J.K. Toole, mais tant d’autres auteurs sont particulièrement intéressants au moins dans certains de leurs livres… C’est bien comme je m’en doutais une écriture de l’onirisme mais l’onirisme n’est qu’un aspect de l’inspiration de l’auteur qui atteint
un niveau de pensée et d’imagination que je n’avais jamais connu chez un écrivain jusqu’à maintenant .
Avec le livre de Cartarescu Solénoïde je suis aux anges… je suis comme un ivrogne qui débouche de temps en temps sa bouteille pour prendre sa gorgée au goulot…
Ce livre a tout simplement du génie et ce qui se passe c’est que son génie t’entraine par la main… donc un livre merveilleux à tous les étages de pages en pages et marches après marches…
J’approche de la fin du livre avec lenteur …
j'approche de la fin, je plonge dans le petit lait poétique, dans la poésie permanente de sa crème ...
je suis troublé par son imagination et surtout par son écriture…
Quant à la traduction du roman Solénoïde elle est écrite par une écrivaine aussi bonne écrivaine que l’auteur du livre, son français est beau...
CASSOU-NOGUÈS Pierre - Les démons de Gödel, logique et folie - Éditions Points - P.L.
Je lis un livre de Pierre Cassou Noguès , Les démons de Gödel - Logique et folie. Je crois que Jean-Michel Maubert m’a dit qu’il ferait une note de lecture, donc je n’en parlerai pas hihi, sauf pour dire que c’est un patient et constructif travail de recherche de l’auteur, dans une langue claire sur des textes édifiants de Kurt Gôdel, de mathématique - son théorème d’incomplétude a bouleversé les fondements des mathématiques, de logique, d’épistémologie et philosophie , qu’a laissés dans ses papier le logicien, dont l’imagination était hors normes ce qui pour certains est un signe de folie, sans doute, mais de folie positive, la folie telle qu’on l’entend est une maladie qui ronge le cerveau, tandis qu’il existe une autre folie qui est au contraire un gage de bonne santé mentale. Enfin il existe une folie sociale que tout le monde connait et partage plus ou moins. Celle-là insécurise et terrorise des sociétés. Voilà pourquoi l’histoire de Gödel que j’ai presque fini de lire m’a enthousiasmé. Au passage j’ai eu l’impression de me cultiver, de me renseigner sur les mathématiques, de comprendre que les mathématiques font partie des possibilité de langue, des possibilités de cerveau, qui permettent de comprendre le monde. Je me suis dit, en lisant ce livre, que les mathématiques et la poésie sont deux domaines intellectuels différents mais présentent des analogies. Les deux matières ont partie liée au langage, les mathématiques utilisent le langage des lettres combiné au langage des signes mathématiques, ou le langage purement des signes mathématiques … la poésie n’emploie pour son art que le langage des lettres. L’analogie se trouve dans le plaisir, la tension, que peut trouver un.e mathématicien.ne dans son écriture, du même ordre que celui d'un.e poète dans la sienne…
La logique comme une discipline, un usage à des fins scientifiques, c’est ce domaine de l’ignorance qu’explorait Gödel...
CÉLINE Louis-Ferdinand - Semmelweis - Ed. Gallimard - P.L.
Louis Ferdinand Celine a passé le fil des dix dernières années de sa vie en France à Meudon où il meurt à 65 ans en 1961 après son retour d’exil en Allemagne et au Danemark. IL a passé ses dix dernières années à soigner les pauvres comme médecin et à terminer son oeuvre littéraire - D’un château l’autre, Nord, Rigaudon.
Sa thèse de médecine publiée en livre de poche sous le titre Semmelweis porte sur l’hygiène dans les hôpitaux. L’auteur de la thèse entre en révolte contre le manque d’hygiène, responsable de fièvres puerpérales mortelles, il est sur le chemin de la lumière laissée par son prédécesseur le professeur Semmelweis. Rien désormais ne l’arrêtera plus. Il ne sait pas encore par quel côté il va entreprendre une oeuvre grandiose pour cette maudite médecine responsable de tant de décès, mais il est l’homme de la situation, l’homme de cette mission, il le sent. Cependant, bien vite, Louis Ferdinand Céline mettra toute son ardeur dans les lettres.
CELINE Louis Ferdinand - Guerre - ED. Gallimard - P.L.
« Tu ne seras jamais aussi atroce et déconneur que le monde entier »
« Graine de cul, compte tes sales tripes, eh sale con tu vas te prendre les pieds dans ta médaille »
« Je devais plus rien à l’humanité, du moins celle qu’on croit quand on a vingt ans avec des scrupules gros comme des cafards qui rôdent entre tous les esprits et les choses"
CIORAN Emil - Précis de décomposition - Ed. Gallimard
Du vague
On pourrait appréhender l'essence des peuples – plus encore que celle des individus – par leur façon de participer au vague. Les évidences où ils vivent, ne dévoilent que leur caractère transitoire, leur périphérie, leurs apparences.
Ce qu'un peuple peut exprimer n'a qu'une valeur historique : c'est sa réussite dans le devenir ; mais ce qu'il ne peut exprimer, son échec dans l’éternel, c'est la soif infructueuses de soi-même : son effort à s'épuiser dans l'expression étant frappé d'impuissance, il supplie par certains mots,– allusions à l’indicible…
Combien de fois, dans nos pérégrinations en dehors de l'intellect, n'avons-nous pas reposé nos troubles à l'ombre de ces Sehnsucht, yearning, saudade, de ces fruits sonores éclos pour des cœurs trop mûrs ! Soulevons, le voile de ces mots : cachent-ils un même contenu ? Est-il possible que la même signification vive et meure dans les ramifications verbales d'une souche d'indéfini ? Peut-on concevoir que des peuples si divers éprouvent la nostalgie de la même manière ? Celui qui s'évertuerait à trouver la formule du mal du lointain, deviendrait victime d'une architecture mal construite. Pour remonter à l'origine de ses expressions du vague, il faut pratiquer une régression affective vers leur essence, se noyer dans l'ineffable et en sortir avec les concepts en lambeaux. Une fois perdus l'assurance théorique et l'orgueil de l'intelligible, on peut essayer de tout comprendre, de tout comprendre pour soi-même. On arrive alors, à se réjouir dans l'inexprimable, à passer ses jours en marge du compréhensible et à se vautrer dans la banlieue du sublime. Pour échapper à la stérilité, il faut s'épanouir au seuil de la raison…
CIORAN Émil - Sur les cimes du désespoir - Folio Essai- (Et autres livres) - SC
Je suis dans une phase Cioran. Absolument passionnant. Lui aussi, c est un mystique incroyable. Grâce au cycle des émissions qui lui sont consacrées sur France Cult, et ce malgré les différents angles interprétatifs proposés, je me dis qu'il est un mystique dont le point de départ est l'investissement du non-être. Fils de prêtre orthodoxe au discours privé étonnamment libre, paraît-il, et d une mère qui a plaisanté un jour, disant qu'elle aurait mieux fait d'avorter que de garder son fils, Cioran semble pas mal se construire à partir de racines originales. Un vitalisme de forte-tête, en somme. Une proposition existentielle qui tient la crête.
Au lieu de faire sa thèse, il a fait rageusement du vélo, tout en construisant sa propre vision. C'est extraordinaire que ce boursier qui avait quitté sa Roumanie, ait pu, grâce aux fonds publics, construire son être tout en l'exprimant à la manière de ce que le système universitaire considère comme un "penseur privé". Il nous aurait manqué s'il n'avait pas pu se construire de cette manière peu courante. Il n'est certainement pas nihiliste. Au contraire. Je suis réconfortée par son approche. Il considère que le suicide est une porte de sortie qui, par là-même, rend la vie-vivable. Ça me plaît, cette impulsivité vitaliste. Ce tout pour le tout. C'est très proche d un romantisme non-pleurnichard, à la Werther. Sa proposition est celle de l'être qui veut mourir vivant. C'est un vitalisme mystique du non-être. Mais beaucoup moins rébarbatif qu'une approche mystique du genre apophatique, comme le sont les théologies négatives contemplatives par exemple (Maître Eckhart). Il n'est pas non plus déchiré entre apollinien et dionysiaque comme Nietzsche. Ce n'est pas ça du tout. Ce n'est pas non plus un sceptique radical ou un ataraxique hautain et finalement, simplement distant. Il me plaît. Il n'a pas peur de sauter, précisément, parce qu'il aime la vie. Ça me plaît cette puissance, cette force individuelle. Cet art de regarder le très noir de notre espèce, tout en ne craignant pas de sortir quand cela deviendra insupportable. Il est d'ailleurs mort dans son lit à 80 ans. Il n'a pas eu besoin d utiliser l'issue de liberté-secours.
Je suis contente :-) il m'a toujours intriguée et je ne le voyais pas avec autant de proximité ou de clarté. Je glisse bien volontiers ma main dans la poche de son manteau. Elle est tiède, vivante et audacieuse. Je suis certaine qu'il avait les mains brûlantes. (On est copains. On va jouer ? ):-) C est une très belle noirceur éclairée comme une toile de Soulages qui libère ses éclairs blancs quand on prend le temps de la contempler à sa juste présence mystique. C'est la même bêtise pour l'incompréhension d' Antigone. Elle choisit. Chez Anouilh, elle est condamnée au supplice de mort lente, emmurée. Mais, elle anticipe. Elle se pend avec sa ceinture. Ça me plaît, ces êtres qui se suicident, ne laissant pas au peloton la victoire... Et toc... :-) la noirceur de Cioran est jumelle de celle de Soulages. Elle est zébrée de lumière qui éclate en éclairs de signifiances. Le tourment de l'orage est pourvoyeur de vraie lumière. La naturelle. Cioran est un orage en marche. Il est beau. Il tonne. Il grogne. Il éclaire. J adore sa lampe. Elle projette ses aphorismes en mode coup de pied de l'âne. Il me semble que je comprends un peu mieux le mécanisme de ses fulgurances.
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À côté, le Diogène mythique est petit joueur... En plus il nous renvoie à notre incapacité d accueil et à la misère de nos attentes ...
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Il n' est pas janséniste pour trois sous :-) ça me plaît cette révolte contre le principe de destin, de fatalité. Je trouve ça merveilleux de bouder le tragique. Ce n est pas un penseur tragique. Ce n est pas commun de tenir la dragée haute au déterminisme. C est un vitaliste noir. Quelle dynamique... Quelle puissance...
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J'adore ! Zéro pardon à nos illusions.
Sandrine Cerruti
CORSO Gregory - Le joyeux anniversaire de la mort - Black Herald Press - P.L.
Du poète américain de la beat génération, Gregory Corso, peu connu et peu traduit en France, que Blandine Longre a traduit en français, que Ginsberg considérait comme le meilleur poète de sa génération…
Je conseille ce livre de poésie car vous y trouverez un poète dont l’expression est originale et excitante, avec un effort permanent sur les signifiants et la syntaxe… à se demander si Corso n’écrivait pas sous l’emprise de stupéfiants, c’est stupéfiant...
COULON Cécile - Les Ronces - Le Castor Astral Poche Poésie - P.L.
Confidences d’une jeune femme, l’histoire se déroule en petits chapitres, poèmes semblables et toujours renouvelés, aux belles images surprenantes, inspirantes. « J’ai toujours été marquée par la poésie narrative. Je me suis inspirée de cette poésie-là, notamment la poésie américaine. Pour moi, dans un poème, l’important, c’est qu’il y ait un début, un milieu et une chute. »
La disposition des textes sur la page gagnerait en lisibilité si ces textes étaient disposés selon le principe de la transprose, procédé qui remplace l’échelonnement vertical des vers sur la page par des espacements (ou pas, selon le texte) entre les vers de façon à rendre la lecture plus facile, plus… coulante.
CUMMINGS Edward Estlin - L'énorme chambrée - Trad. Jon Grossman - Christian Bourgeois éditeur - PL
C’est une des histoires qui m’a le plus marqué par son ton, sa modernité, à mon sens très bien traduite…
L’histoire se répète : Saint Simon, l’auteur mémorialiste français du 18 ème siècle, a déjà écrit des portraits et de courtes scènes qui se passent à la cour du roi Louis 14… sauf que dans ce roman l’histoire se passe dans un centre de rétention français pendant la guerre de 14-18 … s’il s’agit du même thème il ne s’agit pas du tout de la même humanité. Pour le style c’est pareil, deux styles complètement différents mais dans les deux cas une même lucidité éclaire ces portraits. Pour moi la même qualité littéraire dans deux mondes très différents à deux siècles de distance. Beaucoup plus de poésie chez Cummings que chez Saint-Simon et une histoire linéaire chez Cummings, mais dans les deux cas une étude psychologique d’un échantillon d’humanité. Le style de Cummings m’a semblé proche de celui de Céline.