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Le dépôt

INDEX DES AUTEUR-E-S

21 - Calique

Amer désir

L’amour s’était vêtu de noir, fardé d’un rire éreinté et brutal, il tenait à peine sur ses jambes. Et toi, toi, titubant, bercé de vents sombres, vide du vertige brûlant et froid, tu apostrophais la nuit de tes mots livides, te lamentant, sale sueur de tristesse, odeur entêtante de vieille racine, d’où vient que le jour brûle comme un miroir, et cette nuit,  blanche comme un cri. 

Était-il plus nu  plus ébloui dans tes mains avares quand tu le pris sur le pavé, ce caillou insolite, exilé d’un jardin perdu ?

Était-ce cette brève pâleur, cet aveugle reflet de lumière sur le caillou, ou sa finitude obstinée, son opacité, sa petitesse irrémédiables, ou de pouvoir sentir, contre toute attente, ce peu de poids mordre faiblement ta main froide...

Espérais-tu, à la faveur de la mort, entrer dans le mystère par une porte dérobée, ou voler son âme à la nuit, lui arracher ton impossible résurrection ?

Ou bien était-ce, sur ses lèvres, du sourire de la mort dont tu fus amoureux…  ou de la certitude d’un désastre inédit, du frisson de l’éphémère, de la promesse du danger, du vertige de ta chute – ta cape, tes oriflammes…

Espérais-tu donner vie à la mort, mort à la vie, quand tu le regardas tomber à tes pieds, le petit caillou des douleurs, et qu’il devint chapelet , égrené en autant de mondes renversés, autant de peines noires, compactes, psalmodiées dans l’ombre par de mauvaises bouches, objets d’un culte blasphématoire ?

Tu clamais l’avoir vu briller dans un jardin connu et visité de toi seul – l’amour dans la nuit comme une perle inégale – et voilà qu’avec l’amour ton cœur mort a roulé de tes doigts,  tout simplement, dans l’invisible jardin en flammes…


Alors, au ciel mort tu lances un caillou, à la nuit énorme tu couds l’âpre morsure, comme un baiser cruel au monde horrible et merveilleux : caillou enragé de ton impuissance, caillou de ton désir amer.