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INDEX DES AUTEUR-E-S

29 - Susy Desrosiers

Poèmes

Interminable

 

une fenêtre, une ouverture

le vent, complainte

la noirceur

un matou, une chatte

des litanies

les chaleurs


un clair de lune

des murs, des ombres

des squelettes

des craquements, des pas

des silhouettes

des voix

des caverneuses, des éthériques

la frousse

mon imagination

mes soupirs


ma tête foraine

un manège

la roue, la grande

des tours

le premier, le deuxième

mes chimères, une montagne

obsessions

mes soupirs


des mots

des justes, des disloqués

des lettres détachées

des vers, des strophes

inspiration

des mantras

des prières

des heures, des blanches

insomnie

mes soupirs

 

deux heures, trois heures

quatre heures, l’aurore

accalmie

le réveille-matin




Fatal


Sur un fil d'Ariane

un petit ange.


Flux et reflux.

Marée noire de réminiscences

qui griffent tes paupières

et te hantent.


Sans cesse.


Une bise sur ta joue.

Sa main glissant de la tienne.

Sa petite voix

-je t'aime maman.


Sans cesse.


Un dessin inachevé

-licorne arc-en-ciel.

Une poupée dans son berceau.

Un livre de contes posé

sur une table

-la Belle au bois dormant

qui ne s'éveille.


Désormais

tes entrailles

ne sont que froidure.

Tu cherches son sourire

dans tes heures blanches.


Mais hélas…


Flux et reflux.

Marée noire.


Sans cesse.



Tragédie du 8 février 2023: un autobus fonce dans une garderie à Laval (Québec, Canada), deux enfants sont décédés.





Territoire occupé



terres brûlées

mer rouge


ronces dans la gorge

regard plombé d’effroi

barbelés

déchirure au ventre


il déifie la mort

fêlure dans la nuit

une courte existence

un coquelicot




Indicible



colombes et papillons

se sont envolés


paysages

plaines et rivières

que tu égares

au fond de ta poche


comme seuls bagages

tes origines

une peluche

des comptines d’enfant


derrière toi

ta mère

ton père

sang et cendres


te hantent

le cri des sirènes

les flammes

l’éphémère


tes petits pas

pèsent lourd

déjà trop de corbeaux

sur tes jeunes épaules


au bout de ton horizon

une terre   une langue

inconnues

tu te pers dans de nouveaux visages


des mains

se tendent vers toi

de nouvelles racines

poussent sous tes pieds




Polaire


neige perpétuelle,

horizon blanc sur blanc


Je marche sur le sol ancestral, les yeux battus, la froidure collée au visage. 

Mes pas à la cadence des chants de gorge, des échos de dialectes, 

de légendes disparues : des femmes, des hommes, tous égarés dans les hiers.

Leurs empreintes condamnées au silence.

Au fond du froid, j’avance vers l’ubac, transie par leur vécu tracé de sang.

Je crie avec les loups.




Exil


on laboure tes origines,

te déporte


Derrière le chaos, les cendres, tu as laissé ta blancheur, ton duvet.

Sur le quai, tu as abandonné une race sacrifiée, ton sang.


Au fond d’une cale ballotée par les vents du large, les airs marins,

tu tangues sur les eaux d’exil, vers des saisons inconnues.


Ton être est un désert assoiffé d’azur.

À grandes goulées, tu bois l’océan.


S’éparpillent les éclats de brumes :

une île aux horizons hachurés de promesses.




Réminiscences


I


n’as-tu pas oublié

nos jardins d’enfance

nos moustaches de lait

le sable dans nos yeux

la boue entre nos orteils

nos petites mains tachées de gouache

les contes de fées

nos joues rosies par les morsures de l’hiver

le ballon-chasseur

nos querelles d’enfants gâtés


ne te souviens-tu pas

des ruelles de notre enfance

notre première cigarette

nos états d’ivresse

nos rires jusqu’à tard la nuit

ta main dans la mienne

nos baisers clandestins

nos faux pas

notre fièvre de liberté

nos rébellions


nous étions immortels



II


désormais

épuisé d’existence

mon essence se disperse

je m'étiole


j'entends

son murmure

ses pas

son souffle court


elle s’approche


je sens

sa présence

sa froideur

son haleine


elle est là


n’entends-tu pas

les battements d’ailes de mes mots

vers l’autre rive


redonne-moi ta main

un baiser

la force

de supporter la fatalité

de transcender le voile



III


j’erre dans des ailleurs

le lit du vent

les soupirs de la mer

le ciel d’aurore

les frémissements de la terre


ne me reconnais-tu pas

dans les effluves des saisons

la beauté des fleurs

les couchers de soleil d'or et d'opulence

les diamants sur les flots

les cris d’orage

la méditation de la pierre

la blancheur de tes nuits

les pulsations du tombeau


je suis là

dans les méandres de ta mémoire

la langueur de tes pores

le ruissellement de tes larmes

les réminiscences de ton âme




Langueur

 

j’ai épuisé ma plume

jusqu’au bout de moi

jusqu’à plus rien


la gorge pleine de roches

ma voix s’étrangle

mes mains deviennent muettes

 

je m’égare dans mes silences

rumeurs qui m'étourdissent


prisonnière de mes soupirs

je m'enfonce dans la tourmente

je chute libre


  ***

 

j’erre dans des ailleurs

habite des espaces

qui ne m’appartiennent pas

 

j’incarne des chairs inconnues

respire une autre vie

me perds dans de nouveaux visages


je traîne sur les bermes

de la folie passagère

dans mes zones sinistrées


avec épouvante

j'abandonne ma tête brûlée

me fuis à perte de vue

je meurs une fois de plus