Le dépôt
Ce corps qu'on dépeuple
Premiers poèmes d'un recueil qui en contient 50. Textes protégés et enregistrés sous forme d'empreinte numérique à la SGDL.
1-
Découper la forêt, lui donner un arrière-goût de ferraille. Pieds boueux & nausée au-delà des flaques.
Scier, puis disparaître par l’encoche.
Tu es celui qui arrache, la bête traquée qui se souvient du crépuscule ou des saillies à la lueur de bières éventées.
Ton bras ratisse les déceptions. Moi, au pied de l’arbre mort, à la recherche du souffle. La morve & la suée, nouveau fracas en germe.
(du bûcheron et du jogger)
2-
Elle est la terminaison d’une vérité fendue, un bloc de métal traversant les nœuds & et les âges.
Un manche qui crevasse.
Ses coups bouleversent les équilibres tandis que la lame se nourrit de croyances ou de contes creusés dans du mauvais bois.
Fracas et feuilles au sol, le ciel tombe sous les coups. Le repos au bout, tête-bêche sur la souche…
Et tes mains, cette extrémité égarée qui demande des frontières & des cordées à mesurer.
(de la cognée)
3-
Tutoriel
La réussite de votre projet dépend avant tout de sa préparation. Aussi, ne négligez ni le passé, ni vos rancunes.
Egrenez chaque souvenir au papier abrasif de façon à en détacher les aspérités. Vous obtiendrez alors une surface lisse et remise à nue.
Recouvrez-la de vos émeutes, en passes croisées & laissez sécher à température ambiante,
le temps d’une vie.
4-
L’oreille n’est qu’un incendie, l’invendu de derrière le comptoir. Dans le creux du marteau se tient ta folie : l’os joue à faire la fête.
J’ai laissé ton appel dans mes fissures. Ici, tout n’est que panneau photovoltaïque, assurance ou compteur intelligent.
Et moi, une anfractuosité contre ta paroi.
(du démarcheur par téléphone)
5-
Madame, monsieur
Me voilà à gratter les gestes perdus, les sourires maternels et les verres de lait que l’on réchauffait. Mes rires sarclaient fort autrefois, dans les salles de repos & au fond de la mémoire. Ils avaient la force du chien débarrassé de son harnais.
Voilà pourquoi je souhaite intégrer votre entreprise, dans l’espoir de faire de ma réussite professionnelle une façon de repeupler ce corps.
Dans l’attente de votre réponse, je vous transmets mes salutations les plus respectueuses.
6-
Tu sais les dérives de la jeunesse, la dent de lait exhibée avant la chute des trophées…
Puis les racines qui tombent dans la rivière, désaxées. Ta tête l’est aussi lorsque tu observes la forêt de mes mâchoires, à la recherche de grottes noircies : les aphtes sont mes fresques & mes mensonges des torches.
Tout au fond, la molaire brisée comme une vitre ou une amitié.
(du dentiste et de mes craintes)
7-
Tout s’allonge : l’amour propre, les corps, les billets. Raideur de l’agonie & souvenir de l’animal à la peau de cuir.
Elle est la bouffée d’angoisse, le cosinus négatif, le socle. Quelques lettres de moins auraient suffi pour arracher terres et racines.
(de la chaise du dentiste)
8-
Tu démontes l’horizon, le mets en poche. Il y a déjà au fond forêts et souvenirs tranchants comme des silex.
Je sais désormais que mon avenir sera fait
de tours, de boue et de dents contre. Mes rides glisseront sous de nouvelles fenêtres. Soleil & insectes cimentés.
La colère finira bien par se coucher en chien de fusil, dis-tu…
(du promoteur immobilier et du riverain)
9-
Cambouis & frottements, la roue dans le vide tourne comme la chance, un ralenti ou une sauce.
La ferraille creuse le corps. Mes viscères aussi peuvent être démontés, jusqu’à l’essence. Retirez les os tant qu’on y est pour que la peau retombe dessus comme un drap,
ou une inquiétude verticale.
(du mécanicien et du client)
10-
Tutoriel
Excisez une part de votre ego sur une longueur de dix centimètres ; n'allez pas au-delà, vous risqueriez de le gâter.
Mélangez-le au regard que vous portait votre mère lorsque vous étiez tout pour elle.
Détachez maintenant votre peau en suivant les pointillés : vous découvrirez des nerfs à vif qu’il vous faudra étendre sur la corde, préalablement fixée en plein vent.
Remontez maintenant le tout en suivant les étapes 1 à 4 dans le sens inverse : le monde extérieur prendra l'allure d’un incendie circonscrit.