Le dépôt
poèmes
À CONTRE-JOUR
C’est un coin innocent dans des terres oubliées
Il y a cette légère pente
sur laquelle glissent
les tombes
Un léger voile de brume se fond
dans la nuit qui se perd
on n’entend que les chiens
avalés par la terre
la vie s’écoule à contre-jour
emportée par l’hiver
emportée par le froid qui me serre
Les morts se mélangent aux vivants
rien ne tremble ils se ressemblent
SUR LE FAUTEUIL DU SALON
Dehors
la pluie bat de l’aile
elle crache ses derniers mots
Sur le fauteuil du salon
un air léger
aucune fatigue à l’aimer
ses yeux forment un bouquet
baigné de terre humide
Il l’enveloppe du regard
comme on lange un enfant
tend sa main de coton
pour apaiser son front
son ventre à la dérive
Un peu de lumière dépasse
le soleil revient
dans la partie
LE REBORD DES CHOSES
Il lui reste encore
ses beaux yeux
pour sourire
Elle range sa vie
dans de grandes soupières
avec ses souvenirs de rien
et quelques baisers volés
les jours de brise légère
Elle aime le rebord des choses
la mousse qui s’attarde
sur le coin de ses lèvres
la lente vague de sommeil
qui s’épuise au matin
Elle oublie parfois l’horloge
le temps qui glisse sur sa peau
avec de grands arrondis
pour apaiser ses rêves
et le bruit du vent au dedans
Elle a mis le bonheur
entre ses dents
pour ne pas le lâcher
comme une proie vivante
qui s’éclot au soleil
Et elle y tient
LES MOTS DITS
Bien sûr que les mots ne sont rien face au trou béant. Rien face à la douleur, à l’angoisse, à la vie qui s’efface. Les mots ne sont rien s’ils ne restent que des mots. Que des mots échoués. Des mots ratatinés. Des flaques d’eau sombres sur le front. Juste des mots.
Que valent-ils les mots s’ils ne sont pas partagés ?
D’abord avec soi. Écouter ce qui effleure en soi. Savoir qu’on est en vie. Même si le bruit. Même si la douleur. Même si on n’en n’a plus envie.
Puis avec les autres. Ce qu’on ose. Ce bout de soi qu’on offre à nu. Pour que les proches s’approchent. Pour que les presque soi se reconnaissent dans les traces que l’on laisse.
Quelle est la force de ces mots-là ?
Pour celui qui les partage. Que peut-il en attendre de ces mots en offrande ? Peut-il guérir de ses maux avec ses mots ? Au-delà des jeux de mots, des illusions, est-ce que ça aide à vivre de jouer avec les mots ? De s’en faire des colliers ? D’écrire de la poésie ? De dire plus que ça ne dit ?
Eh bien, j’aimerais croire que oui. Car on sent mieux le vent quand on écrit. Le souffle qui transporte. Et nous fait avancer. Pas à pas. Mot à mot.
Et ces âmes que l’on touche avec nos mots. Nos mots qui deviennent aussi les leurs. Et nous allègent un peu. J’aimerais croire aussi à ça. À la force de ces mots-là.