Le dépôt
À la symétrie de nulle part
À la symétrie de nulle
part, j'ai un dictaphone en
main Il y a des abeilles
Fréquences sonores
Des voisins-fantômes
J'entends leurs pas
Et ta respiration lente,
le souffle qui couve
les secrets Masaï
J'ai un dictaphone en
main Il est cassé
Le bouton PLAY est cassé
Le dictaphone tourne en boucle
Il y a celle-qui-tape-du-morse-avec-ses-
pieds-nus
Un voisin-fantôme
Je ne la comprends pas
Tu dors
J'appuie
sur le bouton
PLAY
Il est cassé
PLAY
Play. Flash back ultra violent. Une lumière aveuglante. Un carrelage blanc. Défoncé. Tailladé. Fissuré. Traversé par des ramifications noires. Des veines sales de poussière. Artères gorgées d'eau, éclairées par la lumière épileptique d’un néon à la chair de plastique brûlée. Portes entrouvertes. Peinture écaillée. Blanche. Tachée d’insectes noirs de suie rampant à même son épiderme sec. Il y a une ballerine au milieu. Elle s'appelle Avalynn. Elle fait des spectacles. Elle danse sur scène. Stop.
L'empreinte de mon index sur le bouton STOP
Mondes en gestation dans
ton ventre-nuit
J'avale ton souffle
Je suis ce fou, ce cercle
Tu es cette reine
Cette virgule au coin d'une bouche-offrande
PLAY
Play. Flash back. Avalynn passe les journées de bar en bar. D’appartement en appartement. De cabaret en cabaret. Elle joue une comédie connue à force de répétition. Il n’y a que le décors qui changent. Les répliques sont identiques. Un film muet. Le son de son corps exhibé. Les yeux tirés. Creusés. Ravagés. Une haleine de charogne. Le rouge de ses lèvres sur un sourire absent. De la méta-amphétamine dans les veines et un flingue dans la poche gauche. Aujourd’hui ne ressemblera à aucune journée. Stop.
À la symétrie de nulle part, il y
a un bourdonnement
Fréquences sonores
Le tambour de Dieu
Et ton fantôme sur la surface striée
du dictaphone
Tu dors sur l'anneau de Saturne
J'ai ta respiration en main
Je t'écoute
J'écoute les drônes de
vidéosurveillance
Le tambour-au-plafond-poussière-blanc
Le bruit
Le bourdonnement
Les abeilles
Le réel qui cogne
Le son de ta respiration
Mondes en gestation sur
bande magnétique
Je suis nous
Deux sang un seul esprit
PLAY
Tout se passe dans un pays crucifié par un
génocide. Et ce soir Avalynn va faire une
putain de connerie. Une stripteaseuse
habillée en ballerine. Un 9mm dans les mains
et du plastique scotché au torse. Un jour de
plus sur terre. Stop.
J'appuie sur
le bouton
STOP
Nous sommes donc je suis le
cercle Nous sommes donc tu es
la virgule Respiration
De la
langue Et
du feu
À la symétrie de nulle part, j'écoute ton silence
L'apocalypse n'a pas eu lieu cette nuit
Le jour se lève
Tes lèvres ont le goût
du désir
Tu me demandes ce que
j'écoutais
Je te réponds que j'essayais
de ne pas t'oublier
Je pose le dictaphone
Tu me demandes ce que
j'écoutais vraiment Je te
parle du bruit de
celle-qui-tape-du-morse-
avec-ses-pieds-nus
Le message caché
Celui de la Structure
Des drônes
Des abeilles
De la surveillance
Tu me demandes ce que j'écoutais
vraiment
Je te parle du silence
De ton absence, celle
des fantômes, des tiens,
Avalynn
Je te parle du dictaphone cassé
De ton passé
Stocké
Sur une machine cassée
Tu me regardes
Je te parle du réel
qui bourdonne dans
mes oreilles
Tu me dis être là
devant moi
Je te dis que tu n'existes pas
Je te dis que tu es un souvenir
enregistré
stocké
Je te dis que le dictaphone est
cassé
Je te dis que le bouton PLAY est
cassé
Je te dis que la bande-
magnétique
est cassée
Le monde est
cassé
Je te dis que ma tête est
cassée
Le présent est
enregistré,
stocké
dans une machine
cassée
Je te parle
Tu me demandes
Je te réponds
Tu me souris
Je t'embrasse
Tu n'existes pas
Saturne n'est pas loin
À la symétrie de nulle part,
j'écoute ton passé.
Tu me demandes d’arrêter
le dictaphone
Je te dis qu'il est
cassé
Tu me demandes de
te regarder
Je regarde le dictaphone
Tu te penches vers moi
Je te parle
des bruits,
des sons,
de l’insurrection
dans le pays
La structure s'est réveillée
Le monstre avale
les courbes
Recrache des
angles Les abeilles
tournent, surveillent
Le pays est
en alerte 5
● ●●150mg
■10mg
• 5mg
Tu me demandes de boire de
l'eau
J'avale le Silicium en fine
pellicule enrobée
SilenceSilen
ceSilenceSil
enceSilence
À la
symétrie de
nulle part, je
plonge dans
une paix
oubliée,
à la
symétrie de
nulle part, à
la symétrie
de nulle part,
j'ai un gout
blanc
clinique en
bouche, à la
symétrie de
nulle
part, à la
symétrie de
nulle part, à
la symétrie de
nulle part
j'oublie les
lentilles
objectifs
caméras de
surveillance,
à la
symétrie de
nulle part, à
la symétrie
de nulle
part je
plonge
dans le son
de celle-
qui-tape-du-
morse-avec
-ses-pieds-
nus je
comprends la structure
et le
sommeil
d'une machine cassée
Tu me demandes
reviendras ?
Avalynn reviendra ?
Fantôme reviendra ?
Amour reviendra ?
Je te réponds
Je sais pas
Je ne sais pas si ta voix s’arrêtera un jour
Si le dictaphone
deviendra machine
parmi les machines
parmi Elles
L'origine
1
La fin des temps
0
Souvenirs enregistrés
Stockés
dans la Machine
Je te pose une question
Tu me réponds pas
Silence
J'appuie sur le bouton PLAY
Flash-back. La lumière est suffisamment forte pour qu’Avalynn voie les défauts de son visage. Elle commence par la peau, donner un teint uni. Blanc clinique. Le régisseur est parti, laissant son numéro de téléphone. Un papier griffonné. Des chiffres. Une série de chiffres. Elle s’imagine baiser avec lui. Sentir sa queue. L’odeur de son sperme. Sa peau contre la sienne. Une étreinte éphémère. Un orgasme de neuf secondes. Et alors se dit-elle. Il est plutôt bel homme mais non. Il repartira aussitôt. Ou il discutera. Comblera le vide. Des mots. Pelotes de terre sur des mots tombeaux. Des mots aussi blancs que le visage peint d’Avalynn. Derrière la porte on entend des rires. Des hurlements. Une bagarre peut-être et une odeur de transpiration. D’alcool et de parfum bon marché. Une soirée de plus. Le pays est crucifié par un massacre sans nom. Et ce soir c’est la fête. Oublier. La mémoire peut-être modelée le temps d’une soirée. Quelques lignes de cocaïne sont posées sur la tablette. Elles sont mélangées à une poudre noire. Celle d’une cartouche de fusil. Comme un ange à l’abattoir. Stop
Je dis à Avalynn
que son esprit
est
descendu
sur la machine
Son esprit est dans
cette machine dans cette
bande magnétique,
Sa voix est
accords articulés
et parasites-sonores
À la symétrie de nulle
part, Je suis perdu
dans les limbes
Je le sais
J'écoute la même
partition fracturée
depuis la saison des nuits
J'ai l'impression d’être
dans le rêve de celle qui
tape tape tape
avec ses pieds nus
Je pose le verre
Me lève
Allume la télévision
J'appuie
sur le bouton
ON
de la télécommande
ON
Dépose un regard
sur le réel-numérique
À l'écran,
Il pleut
La pluie cogne
le béton
Trois chiens blancs
piétinent le macadam comme
ensanglanté
Leurs pattes s’écrasent
dans la route
Leurs carcasses se
suivent l'une après l'autre
Leurs museaux de lumière
laissent derrière eux le son
des cantiques
Leurs mâchoires à la gueule
ouverte rendent gloire
Belle comme elle n'a jamais
été la ville dort
OFF
Je prends le dictaphone
en main
Souvenirs grésillements
Play
Play. « Ladies and gentleman, please welcome to… Avalynn !!! ». Le monsieur Loyal de la soirée quitte la scène. Le bruit de ses pas s’atténue peu à peu. Un son faible. La fureur du cabaret se dilue derrière les courbes du rideau maintenant ouvert. Toutes les pupilles sont braquées sur le corps à demi nu d'Avalynn. La crucifiée. Une chaise d’accouchement au milieu de la scène. L'enfantement de sa mort. Elle attend. Patiente quelques secondes. Laisse la sueur tomber. Les cœurs battre et les pupilles se dilater. Stop
STOP
Avalynn reviendra ?
Fantôme reviendra ?
Paix restera ?
La ville ouvre les yeux
écarte sa Structure
Murmure
À
Ses
Enfants
Un larsen
Fantôme reviendra ?
Fantôme restera ?
J'allume la télévision
ON
Les chiens laissent des taches de peinture
sur leurs passages
Un sol qui est maintenant bleu
Vert
Rouge
Des taches lumineuses qui arpentent
le béton armé du terrain de jeu
Elles prennent vie
Des couleurs qui grimpent
et s’accrochent à la Structure
Architecture d'une photographie en mouvement
Je ferme la télévision
regarde le plafond
Poussière et morse
Tape tape tape
n'aie pas peur
Tape tape tape
la structure tombera
Tape tape tape
Paix reviendra
Tape tape tape
Ouvre la fenêtre
J'ouvre la fenêtre
Le réel est numérique
Le réel est atomique
À la télévision
Toi Fantôme
Photographie
en mouvement
ON
" Si vous voulez nous tuer ! " Hurle Avalynn sur scène. Les serveuses. Généraux. Barmans. Caporaux. Bouches entrouvertes. Yeux écarquillés. Cigarettes tombantes. Les secondes passent. Un silence brisé par un éclat de rire. Celui d’un général. Un rire gras. Immonde. Sorti d’une trachée remplie de glaire. D’autres personnes applaudissent. Se lèvent. Sifflent. Des rires s’ajoutent au premier. Des gloussements. Des éclats sonores. La foule est en transe. C’est Avalynn. La reine. Idolâtrée par tous. La tête baissée devant l'amas d’une graisse couvrant le cabaret. Avalynn enlève son faux ventre. Laissant apercevoir une ceinture d'explosifs. Son gode est remplacé par un téléphone portable. Une simple pression sur le bouton « envoyer ». Une étincelle et… Une voix aboie. Des personnes se lèvent. Les revolvers sortent de leurs étuis. Des femmes courent vers la sortie. D’autres laissent tomber leurs verres. Eclats translucides sur un sol blanc. Le barman sort un fusil à pompe de son comptoir. Les vétérans se cachent. Dos courbés et visages. Plongés dans la cire. « On peut enfin parler " murmure Avalynn d’une voix calme. Posée. Calculée. Sortie des limbes de ses entrailles. Boule noire de suie et de rage. Les fusils. Revolvers. Canons sciés sont braqués sur le corps à demi nu de la ballerine « … » Silence « … » Et tout le monde s’assied. Les armes sont maintenant sur les tables. Les regards sont baissés. Les corps repliés sur eux même. Les torses bombés ne laissent plus qu’un ventre flasque. Certains tremblent. D’autres sont tétanisés. Certain prient. D’autres se balancent de gauche à droite. Le cabaret appartient maintenant à Avalynn. Elle est "La princesse". C’était sa seule solution. Une charge de c4.
Coupure brutale. Lacération de l'image. Gel.
Et un corps étendu. Celui d'une femme. Couchée sur une eau tachée d'insectes. Un corps nu recouvert par la membrane d’un placenta. Des membres recroquevillés. Un foetus. Une silhouette qui se tend à travers une fine pellicule poisseuse. Avalynn essaye de s'en extraire. Un dos. Des membres qui s'étirent. Arrachent cette matière. Des mains. Un visage. Une gorge à l'air libre. Le reste de son corps suit la danse. Une seconde naissance. Dans un canal. Dans un marécage.Les cils levés. Ses paupières bougent. Tremblent. S’ouvrent. Se ferment. Se relèvent. Et claquent. Trois clic. Trois diaphragmes. Et son iris se rétracte mécaniquement. Les fines lamelles de plastique se replient sur elle-même. Une ouverture assez grande pour laisser passer une faible lumière. Des pattes claquent l'eau du canal. Les chiens s'approchent. Tournent autour du corps de la jeune femme. En cercle. Ils observent. Posent leurs museaux. Sentent. Lèchent le placenta. Langues roses. Blanches. Frottements sonores. Ils l'accueillent dans cette nouvelle ville. Celle des morts. Elle se lève. Péniblement. Une main posée dans l'eau sale. Particules de poussière entre ses doigts tremblants. Elle prend ses habits noyés dans l'eau. Les siens. Avant le spectacle. Avalynn suit les passeurs. Hors du canal. Des pas mal assurés. L'échine voûtée. Elle accompagne les chiens. Elle le doit. Elle le sait. Traverser une route. Des immeubles. Mégalithes de béton. Lampadaires. Tout ressemble à l'ancien monde. Jusqu’au moindre détail hormis le silence des fusils d'assaut. Une absence qui s'offre à elle. Aucun camion traversant les barrages. Monstres de métal où sont entassés des hommes. Des femmes. Des enfants. Attendant l'échafaud. Pas le moindre cri. Hurlement. Exécutions d'handicapés. D'intellectuels. D'autodafés. Non. Juste le vide. Le silence. L'absence d'une absence d'une absence et ce léger sourire sur le visage d'Avalynn. Ou plutôt son fantôme.
ON
Dehors il pleut. Les immeubles sont inclinés sous les tirs de mortier. Les façades de béton aux visages balafrés. Tachés de noir. Tailladés par les cartouches froides. Les éclats de fusils d'assault laissant leurs empreintes de 7.62mm enfoncés à même le béton. Les armatures d'acier se tordent sous le poids de missiles antichar. Sous la masse à peine plus lourde qu'un nouveau né. Leurs obus dorment. Ils s'habillent de sommeil. De lumières. De taches en mouvement laissées par les chiens blancs et cendres noires. Elles ressemblent à la surface chimique d'une pellicule. Un film froissé par le soleil.
OFF
Je dépose la télécommande
La dernière chose dont je me souviens
C’est une détonation
Un bruit bref
Celui d’un berreta.
Le « clic » qui vous sourit de ses plus belles dents
J’essaye de mettre des images
Des sons
Des gestes
Un souffle
Le bruit organique de la main qui a mis fin à tout ce que je
connaissais. Je me souviens d’un nom, Avalynn, C'est le mien je
crois. Avalynn…
Un nom
Un nom et un dictaphone cassé
Un nom
un dictaphone cassé et un fantôme
On parle d’un tunnel
D’une lumière blanche.
Le souvenir du premier traumatisme d’après certains
Celui de ta naissance
Cette chair qui te brûle
Cette mère qui ne te veut plus en son ventre
Et cette putain de lumière
La réalité
On dit que le premier contact avec le monde c’est l’air
Cet acide volatile qui ronge ta cage thoracique
Les alvéoles qui hurlent de douleur
ON
Les trois chiens cobalt sont à l'entrée d'un immeuble. L'un s'arrête pour observer les couleurs en mouvement aux pieds du cube de béton. L'autre regarde les noms des locataires. Typographie sur papiers-jaunis-par-le-temps. Avalynn. Mon nom de scène. Un des chiens lui dit de revenir, la tête dirigée vers l'escalier gris. Titubant. Un immeuble ivre de ses gosses.
« I DON'T BELIEVE IN ANYTHING. I'M JUST HERE FOR THE VIOLENCE »
Inscrit sur la porte.
Dehors il pleut. La ville ne marche plus qu'en baillant. Femme. Mère. Elle n'a rien demandé.
Sentir trois autres garçons dans son ventre. Trois de plus. Non. Elle n'a jamais voulu ça.
Les trois chiens montent les escaliers d'un béton
balafré par le temps et le froid. Au premier étage. Personne. Des portes fermées. En métal. Gris. Noirs. Rouille. Personne mis à part une ombre. Un homme drapé par l’obscurité d’un manteau en lambeaux de tissu. Le premier chien s’approche de lui. Assez près pour l’entendre.
« Jusqu’à quand toi, qui es pourtant le Maître, le Saint, le Véritable, resteras-tu sans faire
justice et sans venger notre sang sur les habitants de la terre ? » Murmure le vieil
homme accoudé au mur.
OFF
On
Changement de scène. Autre séquence lacérée par le temps
Avalynn prend une inspiration. Puis deux. La main plantée dans une poche. Elle sort une gélule. Bleue. Ovale. 5mg enrobée d'une fine pellicule. Dans sa bouche. Ses lèvres rouges. Du rouge à lèvre sur les incisives. Le médicament se fracture sous les deux molaires. Il éclate en morceau. Ses dents le broient. Sa mâchoire brise le neuroleptique en minuscules particule. « Regardez moi ». Les trois chiens cobalt continuent à marcher. 7ème étage. Une porte grise, noire, rouille. Avalynn est à l’intérieur. Elle regarde la télévision qui la regarde. Son public. Elle. Son enfer. L'iris coulé cobalt. La démarche souple. Elle S’approche de la fenêtre.Un pied après l'autre. Lentement. La noblesse d'un corps dressé. La démarche brisée. Elle s'approche. « Si vous voulez nous tuer » Dit-elle à la ville. Celle des morts. « Regardez moi ». Avalynn mime un flingue de son pouce index et majeur braqués contre sa poitrine nue. Elle appuie sur la détente. La balle pénètre un cœur absent. Et les chiens lèchent. Lavent mes pieds sales de poussières.
Lacération de l'image. Brûlures de cigarettes. Flash-Back. Mon enfance. Jardin profané par les bottes des géants.
-
Tu es magnifique Avalynn tu vas en faire des jalouses là-bas.
Un quai.
Une gare.
Un train.
-
On viendra te voir si on a le temps. Continua ma mère alors que la chaise d’un handicapé me frappait les côtes. Mon père. Lui. Cachait ses larmes. Autour de nous. Les gens s’agitaient. Marchaient. Couraient. Boitaient. Sac sur l’épaule. Tissus déchirés. Sac à main accroché aux doigts d’une aveugle aidée par un borgne. Chapeau melon déformé par le temps hémophile. Chaussures en cuir délacés. Prêtres. Soldat. Il faut être sur son trente et un pour monter une à une les quatre marches de ce monstre de métal. Ce train nous saluant de ses portes ouvertes.
Les portes ouvertes de l’enfer. Devant nous. Les gens attendaient. Patientaient dans une file interminable. Dans l’attente de ceux qui ne reviendront jamais. Une femme tourna sa tête vers moi avant d’esquisser un sourire crispé. Elle était à trois pas de ma mère. Ses longs cheveux noirs touchaient presque l’uniforme de celle qu’on appelle maman. L’étrangère continua à sourire et arracha un paquet de bonbon d’un sac à main.
-
Tu en veux un ? Me demanda la femme alors qu’elle mettait un pied devant l’autre à
mesure que la file avançait.
-
Touche pas à ça. Elle n’est pas comme nous ma fille. Hurla maman.
Une mèche dépassant son haut de forme. Une guitare à la main. Moustache grisâtre. Un homme déambulait à travers l’antichambre. Un pas de danse entre les damnés. Il chantait de sa voix désaccordée. Ses doigts glissaient sur les cordes alors que sa bouche nous disait :
« Ce matin… »
Ils se penchaient vers les hommes. Femmes. Avec ce sourire en coin. Le regard froid.
« le chasseur à tué »
Il tournait la tête de gauche à droite. Pour mieux dévisager les habitants du quai.
« des lapins »
Il commença à rire. Alors que le train m’attendait pour ce camp de redressement. Moi. Avalynn. Douze ans. Coupable d’une tentative de suicide. Condamnée parce que je ne voulais plus exister. Je devais passer ma vie enfermée dans ce camp. La Structure nous aidait à devenir des objets de porcelaine.
-
Nom et Prénom.
La femme aux bonbons n’osa pas répondre à l’officier. Le cerbère. Assis devant elle. Table. Registre en main. Une plume. Tampons. Encriers. Nous sommes maintenant tous des condamnés à vivre.
-
Nom et prénom !!!
-
Anna
L’officier esquissa un début de sourire et ouvrit son registre. Planta sa plume contre
la surface lisse du papier. Il commença à esquisser une ligne. Un trait courbe. Une boucle avant de s’arrêter et de reprendre le demi-cercle d’une main assurée. A l’aide de gestes lents. Calme. La plume continuait à déplacer son minuscule corps noir et blanc de gauche à droite. Son buste inscrivit les dernières lettres avant de replonger dans l’encrier.
-
Je t’aime Avalynn me dit ma mère.
Et mon père embrassa mon front. Laissant des larmes de silicium sur mon visage.
Coupure de l'image. Ecran noir. Fréquences folles. Noise.
Un téléphone à mes cotés.
Je décroche.
Le combiné est froid. Le plastique gris. Sale. Dur.
« Bonjour... Veuillez composer le numéro de votre correspondant… »
Les hauts parleurs recrachent la voix. Numérique. Lointaine. Celle d'une femme. Celle d'un son parasité. Distordu. Toutes les lignes sont sur écoute. J'appuie sur la touche 4. Enfonce ce minuscule carré blanc sale. Son ombre s'écrase. Disparaît sous l'aiguille sonore de deux fréquences simultanées. 770-1209 Hz. Le ballet sonore débute. Mon index, à quelques millimètres, suspendu dans les airs. S'écrase. Touchent. Frappent. Mes doigts. Mes empreintes caressent. Griffent. Cognent. 8 9 0 5 0. Un
chiffre après l'autre. Toutes les secondes. Pouce, index et majeur dansent, se tordent sous la rythmique épileptique avant de s'immobiliser, se planter au dessus du combiné. Une dernière impulsion électrique. Et je libère la pression. 941Hz-1477Hz.
J'expire toujours avant de parler au téléphone. Avant de quitter l'outre-monde.
J'ai toujours voulu être sur scène. Les regards braqués sur un visage qui est le mien.
Je ne sais pas. Une star de cinéma. Un top model. Une danseuse. J'ai toujours voulu que l'on me regarde sans baisser les yeux. Que l'on fixe mon visage défoncé à coup de crosse. Celle d'un Smith & Wesson. Je me rappelle encore de la scène. De l'endroit. Du saccage de mon corps déjà mort Du bruit de ma dent éclatée sous le poids du métal hurlant. La détonation de l'arme à feu braqué sur mon œil droit. Je m'en souviens de tout. Ce que je veux ? C'est être l'égérie
de notre Histoire. Je veux être la prochaine putain de guerre mondiale. Je veux que l'on imagine les hurlements du passé à travers mon visage. La gueule bâillonnée de notre futur. Je veux que l'on me regarde. Que l'on entende les tirs de mortier face à la chaire à vif de mes joues. Je veux que l'on écoute un kamikaze se faire péter la gueule. Je veux être l'apocalypse symbole. Sur scène. Devant un micro. Je ne dirai rien. Je serai la ballerine sous camisole chimique. L'actrice muette. Je suis Hiroshima.