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INDEX DES AUTEUR-E-S

93 - Amanda Spierings

Poèmes

Marée basse


 Il attend qu'elle ne soit plus lasse. Il l'enlace. Sais-tu que l'herbe est givrée aux champs ce matin? Il met ses mains sur ses seins.


Il hume ses cheveux jusqu'à la racine. Sous le cuir, les pensées serpentent au ralenti, ratiocinent. Une main est remontée sur le front comme pour contenir la chienlit du mouron.


 En vain. Ils savent tous deux qu'elle n'est qu'inertie ce matin. Elle a l'odeur de la mélancolie. Pétrichor sans terre. Pétrichor sans pluie.


Il voudrait la secouer. La brusquer. La réveiller. La ravisher. Mais elle ne dort pas. Elle n'est pas tout à fait là. le spleen a fait d'elle une fragile statue de sel.


 Il lèche le sel de son oreille, mordille le lobe de son sommeil. Il cherche à ranimer sa peau à défaut de son cerveau. Le corps parfois se rappelle... Il lui roule une pelle.


 Elle ne le repousse même pas. Sais-tu que j'ai envie de toi ? Elle tend ses lèvres. Il l'observe. Il voit qu'il n'a pas su éveiller ses sens. Elle est toute entière dans son absence.


 Il la repousse sans la toucher. Il ne sait si elle est soulagée. Elle a la beauté d'un requiem. Sais-tu que je t'aime ? Il ne peut pas l'aider. Il peut juste rester.


 Il l'enlace de mille précautions. Elle se love dans ses bras sans émotion.  Ses yeux béants sont secs, sans feu intrinsèque.


 « Je sais que ce serait pire sans toi. » Son ton est monotone et las. « Je sais qu'un jour, le givre cédera. »


 A nouveau, il l'embrasse. Ensemble, ils attendent que ça passe.





La baigneuse vue


 La clairvoyance de la rivière quand elle se glisse dans son courant

Ses mains comme des paupières sur ses seins

Les langues ourlées d'écume qui échouent contre ses cuisses

La transparence de l’eau qui dévoile la mosaïque des galets

Le foyer de son ventre qui polarise toute la fraîcheur des flots

Son cou porté par l'onde qui cherche à noyer l’horizon

Les truites irisées qui se faufilent entre les ombres des nuages charriés par le ciel

Sa chevelure flottant à la surface comme des cils sur une joue inondée

Ses yeux ouverts que l'eau se refuse à troubler entièrement

L’écho de la lumière qui vient se ficher dans sa rétine

Le goût de larmes du torrent cristallin qui cligne sans cesse

cligne sans cesse

cligne sans cesse


Plus tard

Les gouttes sur sa peau comme des centaines de cornées éphémères

Le grondement aveugle continûment redéployé du torrent engourdi

Elle clôt ses yeux de ses mains encore maculées d'eau

Perd de vue la pupille du ciel

La buée de son regard s'évapore

Elle s'assoupit


 Seins grands ouverts





( )


  Creuse du dos, à même le ciel,                            

Le lit d’un arc-en-ciel                     

Qui ferme la parenthèse)                                                     


L’air a fraîchi et t’apaise       

Tu observes ta respiration    

Il est temps de changer de question)

 

Dors un peu, tant qu’il fait froid

Tant que tu ne te souviens pas    

Qu’il n’est pas de juste synthèse)      


Ferme les yeux, prends tes aises           

Décroche les bémols et les dièses                     

Et croque la parenthèse)