Le dépôt
E- Poésie 3 - L. Marsal - L. Marsal - L. Marsal _
Luc Marsal
CONSTAT À L’AMIABLE
Je frôle la correctionnelle, la danse de rappel. J’ai l’âge de m’envoyer en l’air. De me faire la fête. De me tenir tête.
Aujourd’hui, je mène une vie de brouette. Avec une roue devant. Moi qui n’ai jamais porté d’enfant. Sec comme un poulet. Vide comme une bassine.
Avec mes yeux brouillés. Mes doigts rouillés. J’écris des mots d’argent. Des mots que j’attrape à la volée, face au vent. Je les empile jour après jour. Comme des carnets d’amour.
Le soir je dors au fond du jardin. J’enchaîne les rêves. J’imagine demain. Ma vie d’après comme un avant. Je me rappelle l’épaisseur des gens. Le frottement des visages. L’odeur de leur regard. Les retrouvailles.
Et le matin tout me revient. Chaque jour un peu moins.
Tout ça est déjà loin.
Luc Marsal
UNE VIE
J’allais le voir chaque semaine dans ce qui lui restait de vie. Lui apporter ce qui lui restait d’envie. Cinq ou six livres qui lui feraient la semaine. Et quelques photos de ses petits-enfants. Ses soleils.
Il avait fait placer son bureau face à la fenêtre dans ma chambre d’enfant qui était devenu la sienne.
Son lit, qui avait été le lit conjugal, se rabattait dans une armoire qui lui permettait de circuler librement dans la pièce. Jusqu’à ce qu’il abandonne, n’ayant plus la force d’actionner le système. Le laissant à jamais ouvert. Comme un livre ouvert. Le livre d’une vie.
Luc Marsal
UN GOÛT DE CENDRES
La ville transpire des âmes bleues
Je pars un instant
et je reviens vers moi
Mon ombre couchée sur le flanc
a comme un goût de cendres
Je me sens aussi fragile qu’une fleur coupée
dans un vase d’opaline
Le blanc des murs
me rassure un peu
La mémoire traîne – avec élégance
mes doigts glissent sur les coutures
Je flingue le temps avant
qu’il ne me flingue
Ma vie comme une flaque
ce qui me ronge – et tue
Je sais que je vais mourir demain
ou peut-être aujourd’hui
et ça ne me sert à rien
Luc Marsal