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NOTES CRITIQUES

Critiques

Librairie Lpb - Lettre B

BENJAMIN Walter - L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique - Petite Bobliothèque Payot - PL


Il n'y a pas de jugement moral ou esthétique dans L'Oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, seulement le constat des différents états historiques du statut de l’oeuvre d’art.


BERNHARD Thomas - L'origine - La cave - Le souffle - Le froid - Un enfant - Ed. Biblos Gallimard - PL


En ce moment je savoure la lecture de La cave, le deuxième roman autobiographique de Thomas Bernhard d’une série de 5 réunis en un seul volume par Gallimard : L’origine, La cave, Le souffle, Le froid, Un enfant. 

Il faut lire dans l’ordre ces romans qui racontent la jeunesse de l’auteur. Je n’avais jamais lu une autobiographie avec un rendu aussi saisissant littérairement parlant, avec autant d’intensité de verbe et d'émotion …


J’avais déjà repéré cet auteur dans "Le neveu de Wittgenstein"  qui l'a fait connaître, et là je découvre un véritable chef d’oeuvre…je suis touché par le style de l’auteur qui rend si bien la vérité de la réalité de qui il est ( un adolescent obsédé par le suicide, "au sommet du désepoir et du dégoût"), où il est (à Salzburg - "une ville à la stupidité d'une taille effrayante", pendant et après la deuxième guerre mondiale), d'où il vient (d'une famille de neuf personnes vivant dans trois pièces), où il va (parfois par grands bonds en avant), et le rend attachant… Ce sont de bons moments de lecture… il faut des livres comme celui-ci, ou comme Moby Dick de Herman Melville , ou celui-là de Joseph Conrad...ou celui-là de… pour comprendre à quel point la lecture contribue à la santé ... Il m'est impossible d'énumérer toutes les qualités jouissives et émotionnelles du récit de la jeunesse de Thomas Bernhard.



BOUCHARD Jean-Claude - Balad - Editions Lpb - à paraitre - PL - TF


Courte note pour le lecteur ignorant


Né le 25 août 1953. Neuf mois jour pour jour après le mariage de ses parents. 


Regardait les nuages quand il était môme. Battu par son père, il dessinait sur les murs avec des bouts de laine qui s'accrochaient au crépi du petit pavillon de banlieue. Il ne le savait pas, mais il était dyslexique, et se retrouva placé en apprentissage SNCF pour être mécanicien (CAP), il passe sa vie professionnelle comme cheminot. 


Grâce aux collages de Prévert, il se met au collage influencé par la bande dessinée des années 70 et les mouvements Underground. Il ramassait les magazines qui traînaient dans les trains et les découpait. Premiers tableaux plutôt hyperréalistes. Il peint comme des photos. Peinture réaliste et collages. Rencontre Olivier Andres, étudiant au Beaux-Arts et Art-Déco qui le détourne de ses premières manières. Fait des diapositives, photographies, boîtes lumineuses, redécouvre le dessin vers les 40 ans. Peinture à l'acrylique, abstraction-figuration. Se met à l'ordinateur pour préparer ses peintures. 


" Je suis toujours dans le collage avec l’ordinateur.

.Pour revenir à la poésie, depuis l'âge de 20 ans, j’écris.

Tout cela peut être comparé à des procédures photographiques, avec des mots, avec des images, avec des dessins, toute ma vie de marcheur. J'ai essayé de retenir ce que je voyais."


(Entretien avec Jean-Claude Bouchard, notes de Pierre Lamarque)



Soit je balance tout par la fenêtre, soit je raconte une histoire

par Tristan Felix


  Attention, mesdames et messieurs, enfants aussi, mais un peu vieux, affranchis, quoi, approchez, approchez, n'ayez trouille que je ne vous embrouille le cervelas de dires maudits, niet popov, il messied de souiller la blanche page de freluquets postillons savants, fichtre nenni. Refourguez la captatio benevolentiaeen fin de parcours pour rester vierges ou coincez-la derrière l'esgourde façon gitane. L’intercesseur sait aussi se taire mais faut qu’il la ramène…

BALAD, « De la petite prosodie en marchant », là, ça la ramène pas, mais ça entend chanter, façon street movie, et pis décapité du "e" et dans le désordre, ça coupe comme une lame, une blad. C'est que Jean-Claude Bouchard, jcb pour l’intime, est un blad runner, un coureur de lame, un bad boy de la haute, à œil de mouche dont chaque facette te troue de surprise à toute vision qu'elle décoche ou capte. J’y vais en vrac, hein, comme c’est écrit, mais en moins mieux. Recueil foutraque, à langue pendante, qui fourche en allégresse et nostalgie, par glissements paronymiques, carambolages phonétiques, nous entre par effraction, dans l’inconnu, pour voler des trésors de reviens-y, d’enfance à la charcute, dans l’ombre terreuse et pénétrante du paternel, l’ombre douteuse comme une tache des complices de dégueu. Un imbroglio de survie, chte jure, une errance cathartique dans le dédale mental des angles morts ou vifs, qui te balance son averse de visions comme autant de photogrammes dans l’âme où que les fautes se tatouent. C’est de la psyxélisation autrement rebelle que l’abrutissement par rafales de pixels injonctifs sur les écrans des villes. Balad, à rebours du blabla.

Dans ce kaléidoscope au pas de course, l’image te balafre, cliché en alerte, excité. Notes, fragments, détails essentiels, aphorismes, blagues que ça rigole pas forcément « Menu, angine de poitrine, langue de bois sauce piquante », relents de chansons de Piaf, Ferré, Gainsbourg, à prendre ou à laisser. Tout prendre tant qu’à faire, avec les dessins d’immeubles en équilibre sur leurs traits de crayon, d’avenues, de ruelles, de fontaines, de christ, de station-service, d’«orgia » de mecs, de figurines naïves, de vignettes d’art brut comme autant de fenêtres sur le vide, dans un urbain sidéré. Au fond de tout ça, ya le Bois où s’aventure notre « funambule haute tension ». On pense au film de Claus Drexel, Au cœur du bois, féérie des amours marginales. Le Bois, perspective feuillue du trou noir qui absorbe tous les fantasmes, toutes les colères, tous les désirs. Tous les pots cassés. Un sens à tout ça ? Il circule, intermittent, se renverse, par éclats incisifs qui désaxent. Il te fabrique un désordre anarchiste, où que tu sais plus à qui ton corps appartient, dedans ? dehors ? Affleurent d’angoissantes douceurs dans des jeux à se faire la peur de sa vie, de sa mort. Dans la section Les Beaumonts, on te met au jus de l’enfance, avec visite guidée de la banlieue tout compris, et la nostalgie pudique de comme elle était qu’elle n’est plus mais quand même ya des restes, c’est le plus raide. Entre deux épanchements secoués, « Descendre à l’arrêt cardiaque », avec une gerbe de graffitis sur la page des murs, en écriture farouche, brute pour péter l’essentiel. Une langue rappeuse, qui s’abîme en allégresse à coups de courts-circuits, que t’as du mal à respirer. « À l’oxygène peuplé d’étranges oiseaux ». Ptet même que tu vas te demander ce que c’est que la littérature et la poésie. Comment ça te décoince le pavé.

Au sortir du recueil, c’est sûr, « Vous avez des questions sur le visage ».  


Tristan Felix, 26 janvier 2024, Saint-Denis



BOUDOU Dominique - Mes pas sont mes vers - Éd. Tarmac - PL




Hier j’ai fait la connaissance de Dominique Boudou de Bordeaux dont je viens de lire ce matin un livre de poésie qui a la particularité d’être bilingue, espagnole en langue d’emprunt, française en langue maternelle…l'auteur revendique une poésie pauvre puisqu’il écrit d’abord en espagnol , langue découverte à l'adolescence, puis se traduit lui-même à sa façon en français. Mais en vérité sa poésie est riche. Riche et fragile . Minimale comme j’aime, logis de simplicité. L’histoire d’un homme qui construit - elle est solide et légère, vous pouvez la secouer, une sculpture précieuse comme certaines du poète Ungaretti ou du sculpteur Giacometti faite de vers écrits, sculptés pas à pas. J’ai composé un seul texte, à partir de quatre poèmes d’amour du recueil de Dominique intitulé ‘Mes pas sont mes vers’ . J’ai assemblé les quatre courts poèmes qui sont sans titre, ajusté si besoin les ponctuations, et voici ce que ça donne…


En faisant cela je prends conscience que j’ai couru le risque d’une défiguration en cassant les vers de quatre poèmes qui ponctuent le livre… mais aussi j’ai cousu ensemble quatre échanges d’amour et j’ai fait de cet ensemble une prose à partager...


Voici le texte que j’intitule ‘Mon aimée’ si Dominique veut bien, ou tout autre titre de son choix, ou pas de titre … (j’ai fait aussi la connaissance de l’Aimée) ...



….


Mon aimée



Quand je serai mort, j'écrirai un poème d'amour sous la lumière des étoiles chaussées de vent un poème plein de sourires. Mais mon aimée aura perdu ses dents. Quand je serai mort, j'écrirai un poème d'amour sous le ciel et la lune, vêtue d'or noir, un poème plein d'espérance, mais mon aimée aura perdu son sexe, quand je serai mort, j'écrirai un poème d'amour sous la lampe de la terre couverte d'oiseaux, un poème plein de désir mais mon aimée aura perdu l'esprit. Quand je serai mort, j'écrirai un poème d'amour sous le ciel du lit avec ses corps tordus, un poème plein d'envie, mais mon aimée aura perdu son odeur.


...



(À mon avis ce texte mérite d’être placé dans la rubrique 'Simple poème' qui ouvre depuis 2000 chaque numéro de la revue La Page Blanche… un jour un livre venu de loin naitra petit à petit, pas à pas, Matthieu Lorin et l’ensemble des auteurs invités au dépôt composeront ce livre à partir d’un choix de Simples Poèmes de la revue Lpb , un livre des Editions Lpb intitulé ’Sardane des simples poèmes’ ! )




BRAUTIGAN Richard - Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus -Le Castor Astral - M.L.


Poèmes écrits à 21 ans et donnés à Edna Webster comme "sécurité sociale". Superbes poèmes que la critique a souvent rapprochés dans le style à ceux de Williams Carlos William ou à ceux de Ginsberg.

Voici le début de son recueil :

"je m'appelle Richard Brautigan. J'ai 21 ans.

Je suis un poète inconnu. Ça ne veut pas dire que je n'ai pas d'amis. Ça veut dire que mes amis savent que je suis un poète parce que je leur ai dit."


Tout est résumé ici : la tendresse et l'ironie de Richard Brautigan. Un des plus grands poètes de la fin du XXeme siècle.


BRAUTIGAN Richard - La vengeance de la pelouse, Christian Bourgeois - M.L.

Qui n'a jamais lu Brautigan devrait se pencher sur cet auteur, sur ce livre ou un autre. Ne pas s'arrêter au titre car les titres de Brautigan sont souvent farfelus (La pêche à la truite en amérique, sucre de pastèque, willard et ses trophées de bowling...). Ne pas s'arrêter au titre mais comprendre également que le titre fait déjà partie de l'art de Brautigan : une fausse nonchalance, une poésie qui ne s'assume pas toujours, une simplicité apparente, un esprit un peu "foutraque".La vengeance de la pelouse est une succession de très courts textes en prose, au genre indéfinissable. C'est dans ce type de texte que je trouve qu'il est le meilleur. Je pense que ce sont des textes à mettre entre les mains de ceux qui veulent écrire de la poésie.