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NOTES CRITIQUES

Critiques

Librairie Lpb - Lettre R


RADIGUET Raymond - Le diable au corps - Les Cahiers Rouges, Grasset - M.L.

Histoire d’un ado qui s'éprend d'une jeune femme dont le mari est parti au front. Roman publié en 1923 et qui fit scandale car, à une période où on louait les soldats et les gueules cassées, Radiguet commence son roman en disant que la guerre fut pour lui comme des vacances merveilleuses. « J'étais ivre de passion. Marthe était à moi ; ce n'est pas moi qui l'avais dit, c'était elle. Je pouvais toucher sa figure, embrasser ses yeux, ses bras, l'habiller, l'abîmer, à ma guise. Dans mon délire, je la mordais aux endroits où sa peau était nue, pour que sa mère la soupçonnât d'avoir un amant. J'aurais voulu pouvoir y marquer mes initiales. Ma sauvagerie d'enfant retrouvait le vieux sens des tatouages. »


RIMBAUD Arthur - Poésies - Ed. Poésie Gallimard - P.L.





RIGUET Martine - Youtube en poète _ Dans Po&sie 2022/1-2 (N° 179-180), pages 227 à 237


Marine Riguet est née en 1990. Elle est actuellement maîtresse de conférences à l’université de Reims. Depuis plusieurs années, elle se consacre aux formes poétiques numériques, sonores et audiovisuelles. Ses vidéo-poèmes et ses performances poétiques sont publiées sur sa chaîne YouTube, ainsi que dans des revues en ligne (Cahier Les Découvreurs, Hors-Sol, Les Cosaques des Frontières, Nouveaux Documents). Son texte On dirait une forêt est paru en 2022 aux éditions MaelstrÖm. Elle a également écrit une pièce de théâtre (Talk to me, 2012), des courts-métrages (Noces, 2017 ; Paris ordinaire, 2020), des textes sonores (La Souterraine, 2018 ; Le Désert du vide, 2020) et réalisé des clips musicaux.

La poésie vidéo m’est venue avec l’envie de tracer l’expérience d’un mouvement. C’est une poésie d’arpentage. Comme, avec son pas, on éprouve le monde, on trace des lignes. Une poésie de traverse : du corps mouvant, traversant et traversé par ce qui l’entoure, du geste qui touche et laisse son empreinte, de la lumière qui fait fugacement paraître.

Elle fait avec le numérique, parce qu’elle est relation vive au monde. Elle inclut la technique dans son rôle de médiation, c’est-à-dire dans une acception qui considère la technique comme « anthropologiquement constituante », telle qu’ont pu la penser ces dernières décennies des philosophes comme Bernard Stiegler ou Augustin Berque. Elle prend acte d’une modification de nos gestes les plus élémentaires, qui façonnent par le biais des outils numériques notre manière d’exister, de nous tenir à la lisière de nous-mêmes, de prendre part à la formation de notre environnement le plus immédiat…


https://www.cairn.info/revue-poesie-2022-1-page-227.htm



RIVIÈRE Alain - Avant le grand voyage - Editions Lpb ( à paraître) - PL



J’ai personnellement beaucoup apprécié - être apprécié c’est être aimé - quand petit à petit j’ai découvert ce feu d’artifice poétique. Je serai heureux de pouvoir suivre et lire l’auteur dans le temps...


Et soudain le personnage prisonnier d’une idée claire précise la situation dans laquelle il se trouve :


" il réveille, il lave, il habille, il promène, il déshabille, il couche une femme pendant des années, n'est-ce pas, dit-il à un ami, le rêve de tout homme "


"des bribes de poèmes lui reviennent en mémoire comme des poignards dans le ciel, il répète sur son lit toute une nuit, surgi de la croupe et du bon"



Nous voila possédé : "l'après-midi il va s'asseoir dans le parc parfois près de tentes de sans-abris, il les écoute parler, faire la vaisselle, étendre le linge, il ne demande rien d’autre."

Envoûté. "Il tape du poing sur la table quand il écrit."


"le matin il est souvent surpris d'être encore en vie, il n'a donc pas terminé, sourit- il, il doit encore, comme tous ceux qui respirent, poursuive l’étude"


"et que faire pour les rassurer".




RIVIÈRE KÉRAVAL Arnaud - Les paysages ambulants - Les éditions Ballade à la lune - PL


Il faut considérer l'antagonisme qui sépare critique et artiste, poète et poéticien. Poéticien... ce néologisme a été créé pour rendre conscient de la différence entre celui qui fait et celui qui explique ce qui est fait.


La poésie d’Arnaud Rivière Kéraval m’a plu - que j’ai découverte dans son étendue en lisant son premier recueil ‘Les paysages ambulants’… il y a là quelque chose que je ne saurais bien expliquer… si je devais essayer de définir cette poésie je reprendrais une formule extraite d’un de ses poèmes : la poésie d’Arnaud Rivière Kéraval c'est « la foudre que l’aventure de la vie prétend résoudre ». Je suis marqué par l’usage des mots et des vers, par l’obstination de la volonté de dire. Au fond des vers il y a quelque chose de l’hallucination verbale. C’est un ensemble réussi. Je reste sur une impression de poésie après la lecture. L’origine et le devenir de cette poésie : « La foudre que l’aventure de la vie prétend résoudre » .


ROBBE-GRILLET Alain - La jalousie - Les Éditions de Minuit - PL


Ce qu'il y a de nouveau dans ce roman : une impression de jusqu’au-boutisme…(et pas de jusqu’au-bouddhisme, dommage), impression d’exercice de style aussi… je suis un peu écrasé par cette abondance d’artifice...j’en suis à la moitié du livre, p 100. Y aura-t-il un mot de la fin (la faim ?)… en particulier sur la jalousie… ou pas…(pour le moment rien, à part les jalousie des volets) ...absence physique du mari-narrateur, dont on devine la présence par l’assiette et le siège (et la plume), toujours là dans cette histoire au ralenti … je pense que je resterai ambivalent, mitigé jusqu’au bout de ce livre et que j’en lirai un autre à cause d’un état de perplexité déclenché, provoqué, voulu par ce livre… Un livre bien écrit mais un récit tellement obsessionnel qu'il touche à la manipulation comme la névrose touche à la perversion.


ROSSET Clément - Le réel, traité de l'idiotie - Les éditions de Minuit - P.L.


En mars de cette année là, il y eut une soirée étrangement mémorable. J'étais assoiffé et me trouvais à proximité d'un petit bistrot. L'intérieur du bistrot me paraissait tiède et tranquille. Tout à coup j'eus le sentiment d'être une personne que je ne connaissais pas et qu'une énergie subite venait de m'être donnée, j’entrai dans le bistrot et, d'une voix que je crois entendre encore, je dis simplement « Donnez-moi un demi » .


À propos de l’écriture grandiloquente (approximations du réel) . Un livre de philosophie que je recommande - ce précieux livre mérite sa place dans les "notes de lecture » du dépôt. Un livre érudit, pointu et clair .




ROTH Philip - La pastorale américaine - Folio - M.L.



"On lutte contre sa propre superficialité, son manque de profondeur, pour essayer d’arriver devant autrui sans attente irréaliste, sans cargaison de préjugés, d’espoirs, d’arrogance; on ne veut pas faire le tank, on laisse son canon, ses mitrailleuses et son blindage; on arrive devant autrui sans le menacer, on marche pieds nus sur ses dix orteils au lieu d’écraser la pelouse sous ses chenilles; on arrive l’esprit ouvert, pour l’aborder d’égal à égal, d’homme à homme comme on disait jadis. Et, avec tout ça, on se trompe à tous les coups. Comme si on n’avait pas plus de cervelle qu’un tank. On se trompe avant même avant même de rencontrer les gens, quand on imagine la rencontre avec eux; on se trompe quand on est avec eux; et puis quand on rentre chez soi, et qu’on raconte la rencontre à quelque un d’autre, on se trompe de nouveau. Or, comme la réciproque est généralement vraie, personne n’y voit que du feu, ce n’est qu’illusion, malentendu qui confine à la farce. Pourtant, comment s’y prendre dans cette affaire si importante- les autres- qui se vide de toute la signification que nous lui supposons et sombre dans le ridicule, tant nous sommes mal équipés pour nous représenter le fonctionnement intérieur d’autrui et ses mobiles cachés? Est-ce qu’il faut pour autant que chacun s’en aille de son côté, s’enferme dans sa tour d’ivoire, isolée de tout bruit, comme les écrivains solitaires, et fasse naître les gens à partir de mots, pour postuler ensuite que ces êtres de mots sont plus vrais que les vrais, que nous massacrons tous les jours par notre ignorance? Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle, dans la vie. L’histoire de la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on sait qu’on est vivant : on se trompe. Peut être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui, et continuer, rien que pour la balade. Mais si vous y arrivez, vous..alors vous avez de la chance."



ROTH Philip - Un Homme - Folio - PL


Un livre désopilant° sur la maladie et la mort. Je vous conseille de le découvrir de toute urgence ! Ce livre respire la santé et la bonne humeur ! Je n’avais pas lu d’aussi bon roman depuis Kundera mais là c’est encore plus profond, plus réjouissant… l’écriture me semble tout simplement parfaite et la traduction aussi…ce livre saisit le lecteur et ne le lâche plus - j’en suis à la moitié, j’aurai fini ce soir...


° Enfin… livre désopilant n’est pas le mot juste : le mot juste c’est… livre positif, dynamique, joyeux… Dans notre époque maussade ça fait du bien de lire un tel roman… facile à lire et subtil comme l’épice.




ROUSSEAU Jean-Jacques - Rêveries du promeneur solitaire - Livre de poche - S.C.



Lire Rousseau, c'est se caler sur la respiration de l'agencement de son verbe-poème. Intimité en bouche à bouche, synchronisation délicieusement hypnotique de souffle à souffle. Chaque rêverie rousseauiste est tendre, élastique, délicate, magique comme la vitale et flexible activité pulmonaire. Lire. Lire encore et encore la cinquième rêverie, celle qui prend la forme ovoïde et flottante de son sujet : l'île Saint-Pierre. Lire portée par la tonicité oxygénante des accents. Inspirer, expirer. Vivre sa lecture animée par le bruissement imaginaire de la texture alvéolaire spongieuse, secouée par les douces dérives de la barque du promeneur, rebondissant contre les herbes souples du lac de Bienne. Se laisser envahir par le bruit végétal de la cueillette des plantes élastiques à façonner l'herbier miraculeux de celui qui n'a de cesse de se vivre en rêveur. Au rythme des accents toniques, emboîter l'intimité de la respiration de l'auteur. Et comprendre, en la vivant par l'hypnose rythmique, les secrets de la rêverie. Entrer dans les méandres scripturaux de la rêverie en se laissant enlacer par l'état de légère ivresse fusionnelle du moi du rêveur-promeneur, se constituant entre veille attentive et rêve subtilement contrôlé à pleins poumons. Les dix promenades des rêveries du promeneur solitaire. Serait-ce par l' abandon des crispations de la raison, le refus des tortures de la conscience, et en se laissant soulever-glisser par le rythme de l'écriture en marche-rêverie, que s'ouvrirait la voie royale qui laisse entrevoir, ici et là, de fulgurants accès au réel, sortis, en belles courbes, du grand-poumon-rêverie?