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Librairie Lpb - Lettre M
MANDELSTAM Ossip - Le bruit du temps - Ed. Le bruit du temps - PL
« Quelle chance, j'ai eu de m'attacher, plutôt qu'à la flamme d'une lampe sacerdotale, au rouge tison de la rage littéraire. »
« Comment allez-vous, Ivan Ivanovitch ? - Oh, ça va, Piotr Piotrovitch, l'agonie continue. »
"Et, dans cette période hiémale de l'histoire russe, la littérature m'apparaît dans sa totalité, comme parée d'un je-ne-sais-quoi de seigneurial, qui me trouble : en tremblant, je soulève la pellicule de papier ciré qui couvre le bonnet de fourrure hivernal de l'écrivain. Il n'y a là nul coupable, et aucune raison d'avoir honte. La bête n'a pas à rougir de sa fourrure. La nuit l'a couverte d'une peau. L'hiver l'a vêtue. La littérature, c'est la bête. Le fourreur : nuit, hiver. »
Souvenirs d’enfance et de jeunesse. Écriture raffinée, style soutenu, humour, sensibilité rare et pénétrante.
critique littéraire de haut niveau. Aperçus lumineux sur La vie intellectuelle russe de son époque.
MAUBERT Jean-Michel - LIMBES suivie de RONCES - Ed. Maurice Nadeau - P.L.
LIMBES
Peinture lumineuse et sombre, réaliste et onirique, prosaïque et poétique, singulière et universelle. Musique des limbes, des marges grises, des franges froides. Magistrale, envoûtante.
RONCES
La mort d’une araignée (peut-être la mort du poète Georg Trackl ) racontée par Jean-Michel Maubert. Lente progression des personnages à travers ronces. Qui s’accélère au milieu du livre jusqu’à la fin. C’est un très vaste espace. Avec des scènes d'atrocités de la guerre.
Les phrases sont souvent faites de propositions incises séparées par des longs tirets. Ce qui donne un rendu -- un effet de flux .
… Un immense boeuf musqué - ou un Aurochs, peut-être - blanc et gris…
La boue, la pluie — l’ombre lointaine, verte et fraîche et brune, des forêts
MEYER Bernard - Liaison - auto-édition -P.L.
Liaison est un récit bien mené, au rythme soutenu, au lexique riche, aux phrases claires, aux images agréables et parfois surprenantes de finesse, fait de courts paragraphes qui s’enchaînent magistralement, et cette qualité architecturale de l’écriture est à souligner, qui entraine le lecteur en Amérique du Sud (Buenos Aires en Argentine, Rio au Brésil); Le narrateur s’appelle Bruno, 37 ans, son amant Oscar, 19 ans. De Bruno on ne sait que peu de choses, pas suffisamment à mon goût pour faire de ce récit un récit parfaitement équilibré et réussi. On sait juste que Bruno (son prénom n’est cité qu’une seule fois) est un français, bien élevé, cultivé, rien n’est vraiment dit sur sa profession, sur ses origines, son histoire, on apprend juste qu’il fait de temps en temps des conférences mais on ne saura pas de quoi, qu’il a des amis, mais l’auteur reste trop discret sur le personnage de Bruno pour que les deux protagonistes de cette histoire d’amour puissent être considérés par le lecteur à égalité de traitement. Oscar est un jeune homme qui travaille pour un maigre salaire. Au contact de son amant, en l’espace des quelques semaines que dure leur liaison, le lecteur sent l’influence positive qu’exerce Bruno sur Oscar et Oscar sur Bruno. C’est une belle histoire. Il manque à cette histoire, je le redis, d’étoffer le personnage de Bruno en lui donnant un passé, comme cela est fait pour le personnage d’Oscar.
Bernard Meyer n’a pas atteint encore le stade de la lecture en livre de poche d'un grand auteur mais Liaison mériterait d'être publié comme un grand roman, car c'est bien un récit romanesque, mené tambour battant, dans une grande maison d’édition à condition de faire un paragraphe ou du moins quelques phrases pour cerner mieux le personnage du grand Bruno.
"Pour moi, j'ai l'alcool gai. Quand il me pénètre, il agit comme le Saint-Esprit de l'hymne : il fléchit ce qui est rigide, relâche ce qui est contraint, réchauffe ce qui est de glace. Spleen, anxiété, découragement, tous les oiseaux de malheur s'envolent. Les tourments de l'existence prennent des proportions modestes. Une secrète assurance m'envahit. Je deviens disert, je brille, je vois dans le regard d'autrui le reflet de ma séduisante métamorphose. Et le miracle est là : j'aime la vie."
MEYER Michel - Qu’est-ce que le questionnement - ed Vrin - PL
La problématologie, ou étude du questionnement, est un concept philosophique du philosophe belge Michel Meyer qui dit dans son livre De la problématologie : langage, science et philosophie :
"de la science à la pensée commune, du langage à la littérature, le problématique nous oblige sans cesse à être un questionneur engagé »
Le livre de 128 pages Qu’est-ce que le questionnement ? donne un aperçu de la pensée de l'auteur sur ce sujet.
MIRON Gaston - L'homme rapaillé - Poésie Gallimard - P.L.
L'oeuvre poétique d'une vie, réunie en un recueil qui, à partir de la moitié du livre, devient d'une intense splendeur sans arrêt jusqu'à la fin.
NATURE VIVANTE
Le vent rend l'âme dans un amas d'ombres
les étoiles bourdonnent dans leur feu d'abeilles
et l'air est doux d'un passage d'écureuil
tu déjoues le monde qui assiège nos lieux secrets
tu es belle et belle comme des ruses de renard
Par le vieux silence animal de la plaine
lorsque fraîche et buvant les rosées d'envol
comme un ciel défaillant tu viens t'allonger
mes paumes te portent comme la mer
en un tourbillon du cœur dans le corps entier
Gaston Miron
L'homme rapaillé
Poésie Gallimard
MODOLO Patrick - Drôles de Nouvelles ! - Éditions Futurel - PL
Il s’agit d’un premier livre d’un jeune auteur prometteur, contenant une veine de fantaisie - paru en même temps qu'un autre livre, intitulé « À bien y réfléchir » , un recueil d’aphorismes.
Les "drôles de nouvelles" visitent les genres littéraires et les brassent
joyeusement. Patrick Modolo aime les mots et la littérature et joue avec les mots, et ce ressort comique alimente l’inventivité de l'auteur - parfois à peu de frais.
Quatre nouvelles brèves, peut-être parce qu’elles sonnent poétiquement, retiennent particulièrement mon attention : « La barbe à papa », « La princesse qui n’aimait pas les caresses », «Rue d’Ornano », et « Dolores ».
À la retraite dans un village à 20 kilomètres de Bordeaux, j'ai passé ma vie d'adulte dans la ville de Bordeaux, je suis sensibilisé aux pages du livre qui parlent de cette ancienne capitale provinciale française entourée de banlieues, à la face liftée il y a vingt ans, au corps en voie de bobofication, depuis son coeur, et de verdissement, bien vue par l’auteur
avec ses quartiers réservés au commerce du vin et de l'esclavage en aval du Port de la Lune, suivis en remontant la Garonne, fleuve majestueux comme le Danube, de quartiers réservés aux pauvres.
J’apprécie ainsi, dans ces onze brèves drôles et poétiques nouvelles (un genre littéraire moderne qui me plait bien), tels ou tels points de vue de l’auteur ainsi que ses idées originales qui sont la base même de ses écritures.
MODOLO Patrick - À bien y réfléchir - suivi de - Comme dirait l’autre et de - Dictionnaire des noms impropres - éd. Futurel - PL
"À bien y réfléchir" c’est ainsi que commencent ces aphorismes qui se lisent vite.
Ce sont, aux dires de l’auteur, des parodies de maximes d’inégale valeur,
certaines dérangées, certaines dérangeantes, certaines fines
certaines peu subtiles, lourdes ou légères, mais ces maximes provoquent la pousse de la réflexion jusqu’au bout du livre.
Pour toutes ces raisons ce n’est pas un livre à mettre entre toutes les mains. C’est un livre pour chercher querelle et en trouver. C’est un livre à ne distribuer qu’à des amis sûrs qui tolèreront l'automatisme mental de jeux de mots faciles, aussi faciles que des blagues à Toto en haut du
mot Dolo. Pourtant beau.
Ce sont des trouvailles presque toujours drôles, d’exemplaires truismes,
je cite de mémoire :
- ce n’est pas parce qu’elles ont des pieds que les tables marchent
- on dit souvent que l’herbe est plus verte ailleurs. totalement faux.
à Amsterdam par exemple, elle est juste meilleure.
- un bobo dans le baba c’est un peu con-con
- les nuits blanches tous les hommes sont gris
- si c’est pas demain la veille, c’est qu’aujourd’hui, c’est pas hier.
et pas la peine de chercher midi devant sa porte, car on est sûr de
ne pas le trouver avant 14 heures
- Hitler, il avait une voix un peu nasillarde, quand-même
- le penseur de Rodin a l’air psychorigide
- On ne dit pas hiérarchie mais Gérard défèque
- le sens de l’humour est souvent chez le flic qui vous arrête un sens interdit
- le premier avril, moi, je me sens comme un poisson dans l’eau
- si « je est un autre », alors tuez moi
- pour tuer le temps rien ne vaut la pointe d’un stylo
- Boris, c’est un bon écrivian
- je ne sais pas trop ce que je préfère entre mourir enfermé dans une ferme
et être emporté par une porte
- l’art d’aimer commence par l’art des mots
À suivre