Le dépôt
Patrick Hellin - Terres levées
QUATRAINS
Comment commencer et pourquoi ? Par un duvet de chagrin étendu au seuil d’un ciel plaintif ? Par le givre des cendres, abri de l'âme qui s'y replie ? Ou encore par la paille pauvre qui brode entre les pierres les échos des volcans éteints? Surtout comment achever ce qui s'est conçu après coup, en sourdine de l'insu ? Comment en finir avec cette ville étrangère qu'aucune étoile ne bleuit et qu'aucune mer ne blanchit...Sinon dans un espace où souffle la sécheresse hostile, dans ces chagrins sans domicile lorsque le deuil s'adresse aux étoiles pèlerines et qu'à jamais, un bâton de plume ordonne le chemin.
I
Longtemps aux soirs sourds
L'obscurité tombait drue
Sur les vertèbres mortelles
Lasse une harpe d'eau jouait de ses roseaux
*
Joues des jours qui se fanent
Les orties jubilent
Parmi des rêves de ronces
Des chairs d'aubes mortes
*
L'indéchiffrable et l'obscur
L'étal de ténèbres où se tranche mon âme
La sombre pesée du silence
Là voilà cette lumière où s'aveuglent mes nuits
*
Je suis sous un ciel sans fin
Comme un autel éventré
Braises et roses
N'ont plus de nuit où douter
Partout n'est que solitude
Dans l'attente où je me retourne
Errant sur ces trottoirs d'ennui
Ce frisson un jour d'exister
*
Lointain ce qui noue
Au centre de l'anneau
Etranger au séjour stérile
Paysages glacés et les chemins brûlés
*
Je survole mes déserts de papier
J'y pose une trace puis je m'enfuis
Le jour bientôt en efface le voile
Les vestiges ne vivent que la nuit
*
On trouve santé dans sa geôle
Les souffles des reflets sont les mailles
De tocsins et de glas
D'où bavardent les miroirs
De ces faims étrangères aux lumières lointaines
J'ai rompu un pain d'épines et de fontaines
De ces songes de sang par d'autres habités
J'ai perdu la vue par l'impasse dévoré
*
Je cherche ce pauvre vent d'autrefois
Qu’emportaient de joyeuses mains d'enfant
Ce vent lisse et ignorant trop riche maintenant
Cette brise d'aujourd'hui aux reflets grimaçants
*
Si nous abaissions le ciel
Nul besoin nos cous n'auraient à se tendre
Nos prières mêleraient les nuages à la fange
L'infini flânerait sur des routes de ténèbres
*
Tu marches, cadavre,
Sur les sentes de boue
Où tout assemble
L'appel des siècles
Seul vers la plaine nue
Les mots n'ont plus d'écorce
C'est un sel froid
D'une sève morte s'élève un chant
*
Les îles sont tissées de voiles brutales
Nul visage n'accoste à leur rive sans attache
Souveraines inhospitalières
Elles ont la royauté aigre des angles arides
*
C'est un espace affranchi d'ombres et de lumières
Il y brûle des soleils factices
Un noeud de lisières, de rameaux et d'oranges
On y sème les sources qui avalent le ciel
*
C'est une lumière qui me prend de côté
Une saison oblique où le chardon se glace
On espérait l'été mais c'est décembre
Qui frappe dans mes mains
Mortes pluies ! Boues sans miroir !
A peine achevée l'époque des songes
Qu'une image étrangère emportée par les flots
A empli de ses cendres mes silences embaumés
*
Les fleuves sont silence de cendres et de sang
Rouge sang qui s'efface absorbé par les rives
La pourpre de l'amont qui refuse l'aval
Etoffe ruinée sous les plaintes d'automne
*
Les miroirs ne retiennent que les ombres
Déjà on peine face à la limpidité
Comment user de leurs reflets brisés
Sous les plis du tain, des issues grouillent, méconnaissables
*
D'un temps où la terre avait des racines
Tremblantes sous l'abîme
D'un temps où la lumière blâmait les plaines
Stériles sous la main dans les déserts d'été
II
Hôte d'une plaine vide
C'est dans son silence que je vis
Immobile et lisse, sphérique dirait-on
Je roule, roule puis coule jusqu'à moi
*
Appauvrissant mes heures
Je creuse la vacance
Pour qu'en ce lieu s'élève
Le lierre où je m'agrippe
*
Tu observes sa fuite
Son échappée, la route
De tes pas, de ton allure
Tu te cramponnes à ses ravins
*
Et en ces heures souveraines
En ces sentiers du Verbe
Pèlerins de l'oubli
Une trêve sans rêve s'est levée
Les morsures ont l'habitude du vif
L’urgence impose alors le retrait
Seul le repli protège ton ombre
De l'ivresse venimeuse du monde
*
Qu'est-il derrière les heures
Sinon une impotence captive
L'infirmité des reflets
Sur les visages du gel
*
Les saisons sont étroites
Celle où je vis
En équilibre sur le rétrécis
Et l'éveil se vêt de sommeil
*
Somme la sèche allée de boire aux rivières d'été
Que la voix répande la voix
Ecoute dans le silence des mots
L'écho de l'instant
Tu entends le matin
Le soir qui revient
C'est un petit bruit
D'aurore au milieu de la nuit
*
J'ai besoin d'un commencement
Dans ces ténèbres où scintille la lune
Que je cherche dans les ornières
Lorsque le ciel se pose sur la terre
*
Je demeurerai jusqu'au couchant
Les mains blanchies de nuit
Moudre les jours anciens
Entre les meules d'aujourd'hui
*
Mes instants sont des fourmilières
Une meute tapie sous une terre absente
Les terriers sont ainsi faits
Que les issues sont aussi des entrées
Vivre est l'appel de ce qui se tait
A l'approche du soir
Lorsque la fin et l'origine
Retrouvent leur terre commune
*
On connait les fureurs hivernales
Une plaie sur des secrets de hasard
Les patiences d'août n'ont rien à leur envier
Une paix lourde dans l'idiotie de l'instant
*
Souvent aux heures flottantes
Une feuille, la stupeur chaude
Sec bruissement, la transparence
A l'horizon un enfant appelle
*
Au hasard d'une route
J'ai rencontré un mort
Un enfant plein de sève
Terre nouvelle aux racines fécondes
A l'aube souveraine
Souffle une brume claire
L'ombre blessée
Comme le bourgeon du jour
*
Alors que l'ombre bruit
La lumière est silence
Ce silence qui somme
L'ombre de parler
*
Ses eaux sont de baves secrètes
Un sang déchiré où rêve la chair
Il aime à percer le vide
Lorsque le fixent les fenêtres closes
*
Souvent reste dans les heures pâles
Quelque chose qui chuchote
Se tait puis se disperse
A la manière d'un azur posthume
III
C'était plus que des nuages
Un pont par-dessus les anges
Des paroles tressées du ciel
Sonores reflets de l'invisible firmament
*
Une trêve née d'entre les rives
Etend son murmure entre mes lèvres
La douceur d'un souffle se répand
Les feuilles s'agitent, les paroles s'écoulent
*
J'abrite mes mirages
Lorsque hôte de tes pas
Nait un passage d'entre tes ombres
Cette ivresse où murissent les clartés
*
C'est la soif des aubes
Que ma peau exige
J'attends de ces lueurs violettes
Le bouquet cuivré qui enivre les jours
Je vole sous les mers d'inexprimables roses
Des forêts de nuages dociles comme les jours
C'est un chemin planté d'incurables foudres
Une vertu d'écume qui s'achève sous mon front
*
La braise joue de ta lyre
Sous le versant de tes lèvres
Ton souffle nu
Comme l'espace où je repose
*
L'air est doux parfois
Qui paresse sans un souffle
Cette voix paisible
Qui soutient sans savoir
*
Que dit ton visage ?
D'abord une lumière qui me hale
Le long des quais du soir
Plus tard ta lumière dont je naquis
Les mains hèlent sous la boue
Des rivières en robe d'azur
Et l'abeille sauvage, et la corolle nue
En ces étés de lunes fiévreuses
*
Je t'offre un bouquet de mer
Où je n'ai pas navigué
Et un royaume de braise
Où je n'ai jamais brûlé
*
De l'offrande miraculeuse
La restriction du mensonge
Seul sous le grand sommeil
Tout se donne, invisible et nu
*
S'il danse le reflet qui se brise
Comme une idée morte
Notre rosée évaporée
La buée des paroles
Il arrive le temps
Où les racines portent les voix
Que les cimes arrachent
Aux ramures du ciel.
*
Nous aimerions courir à l'aurore
Dissoudre les ombres dans ses vagues
S'élancer dans ses marées
Brûler nos ailes de nuit
Les fontaines ont leur jour
Aux extrêmes pointes de l'aride
Elles assèchent les sources du désert
Parfois c'est le feu qui assoiffe la mer
*
Le silence sourd d'été
Tout est tu au coeur de la fournaise
Dans ce qui se consume
La réticence à être
*
Les fruits portent leurs secrets
Dans le ventre des noyaux
Les saisons ont figure de vent
L'habit fugace des jours
*
Dans la pâleur des heures,
L'appel muet d'un matin,
L'accord libre du luth et du vent
Arrondit la pulpe du silence
Vigne, Soeur ailée, aux ocres allées
Tu chantes encore sous les larmes d'automne
La chaine des ombres qu'un poing de sang
Fit un jour courir sur mes sueurs nocturnes
*
Il y a une bouche lente
Lèvres aux mots brisés
Le gel est la sève
L'anodin et les boucles du vent
*
Quelques cendres de brumes fauves
Des pétales de lune sur un parchemin
Et des sources qui jaillissent du ciel
Les chimères vivantes de son palais farouche
*
La lumière a étiré son duvet
A l'ombre des transparences
La translucide somnolence des cèdres
Attend le souffle aveugle du soir
Il y a dans l'air une attente d'automne
Le feuillage voit sa patrie menacée
Puis la lumière brutale perce le confus
La clarté couronne le vide
*
Le chant des haies, la danse des joncs
Tout s'éteint sous le ciel mourant
D'abord la cendre puis le désert
Où ces hommes vont et viennent
*
Ivre d'hiver, ivre de nuit
Etre à la hauteur du vent
Et s'enfoncer sous la grêle
Où les ans se lient à la peau
*
Ce sont des mots d'hiver
L'accomplissement des vertiges
Lorsque les plaies d'enfance
Jettent sous la terre leurs cailloux insensés
J'irai là où meurent les rives
Quand se coud le silence d'hiver
Aux dernières lueurs de la terre
Quand la sève sèche avant les fleurs
*
J’étendrai dans une couche de ténèbres
L’humus des jours, des ruisseaux de nuages
Et sous l’ombre de mes mains
Un chapelet de narcisses en prière
*
Il n'y a pas de questions
Pour ouvrir la question
Il n'y a que de l'herbe
La pluie pour en répondre
*
Pendant que le sombre en appelle à la nuit
Alors qu'une brise nouvelle boit à même la terre
Un arc de ciel se brise et ensemence
Le jour se fait attente
Une nuit secrète vagabonde dans le jour
L'éclat fauve à grands traits bouscule l'horizon
Rien ne bouge et tout frissonne
Le soir, on mutile ses laines froides
*
Ce sont des choses oubliées des oiseaux
Le mutisme des fleurs et l'ardeur du silence
C'est la soif des matins et la faim des nuits
Le premier songe si loin, si loin...
TERRES LEVEES
Je suis veilleur d'îles, archipels de solitude
Mémoire de brumes et de brouillards
Quand l'absence et le fatal épèlent les lettres mortes
Les soirs où les ruines sonnent
l'appel des ombres
C'est la face des morts qui habite les miroirs.
Ignorantes buées
énigme des miroirs que rien ne résout
Gerbes de fatigue, épis de brume
assemblés pour la nuit
Les mots regardent le souffle qui les offre
Visages de silence où l'immobile est tu
J'attends un hiver nu, une moisson stérile
que lèvera la terre
pour un pain d'avenir aux levures interdites
Et l'encre des lointains, encore,
comme un toit sous l'averse
Pour une lame fine qui assassine les printemps
Cette âme qui fuit la lumière pour brûler dans l'obscur
cet âtre de froideur
qui blesse comme un feu lourd
Mendie seule
des forêts dénudées où se risque l'appel
Et dans ces sources où s'échappe le ciel
cette eau rance où s'endort la lune
Je me suis enivré du lait de ses songes
Ce qui croît par les heures serviles
soeurs sanglantes et obstinées
Dans cette forge des ans qui vide le sang et creuse la terre
Ce qui croît sous cette grâce meurtrie
une immensité close
Aux bornes infinies, mitan d'un fleuve sans gué
C'est une conquête dit-on –
de formules et de rites
Qui tisse dans la chair les barreaux de l'horloge
Cette geôle où nos jours s'éclairent de leurs ombres
dans cette plaine de joug
Aux lumières aveugles
En cette attente obscure
où rumine l'absence
On balise des sentiers comme une haleine vierge
Par-dessus la pourriture, ses brumes
et ses agapes
Et sur ces routes de neige invisibles sous les cieux
des mains gravent de récits
La voix de nos nuits, comme
Une poussière tiède soulevée des sépulcres
Immobile, fils de cette limpidité légère
Muette et libre
qui suspend les nuages dans la nacre transparente de l’été
J’abreuve mes lèvres
de rondeurs lumineuses
Et mes pensées nues s’éparpillent
dans un parfum d’infini
Mais une tique vénéneuse, jalouse et rancunière,
couvre de son hiver les prairies roses
où frissonnent mes printemps
Elle s’agite, m’encercle et vocifère
Outrage les échos
des vergers de miel où elle prolifère
La haine et ses décrets de vermine ont posé sur ma langue
Un magistrat furieux et bedonnant
aux jambes arquées
Qui remplit ma bouche de reptiles visqueux et funèbres
Pourtant dans ce théâtre des Grotesques
où le mélange est la seule pureté
Mes doigts enfiévrés délacent
les nœuds où l’âme s’étrangle
Lorsque de pauvres mots creusent le néant
dans le sable aride
D’une page sans relief
Il arrive qu'une voix sans couleur
cherche son chant dans le frôlement du vent
Au loin on l'attend revêtu de promesses
pour ne pas oublier ceux qui nourrissent le sang
Paroles tissées dans l'ombre anonyme
effluves écrues
où rien n'arrive
Les mots endormis et les pensées en veille
Bégaiements continus du creux
et de l'absent
Alors puisqu'on n'a pas le choix
Des lèvres tisserandes
cardent des lettres cachemires et rien
de plus, dans les geôles
D'aujourd'hui et dans celle de demain
Nous avons passé nos veilles à inventer le sable
nos mains expertes ont ourdi des complots de rivages
Les vagues sont retournées à elles-mêmes
et désormais soumise aux sources
L’'inéluctable ensablement des rades
Les passages se sont faits étroits aux cimes des ombres
Et des lutrins de pierre ont effacé les soirs, les aubes
dans le souffle chaud des mots et des prières
La pierre, le désert enfin, s'est couverte de lys
Le fruit s'est fait révélation
Acquiescement à la pulpe
Sous les paroles de cendre
parmi les chants d'eau et de sabre
Longtemps encore le cygne de l'enfance
Glissera dans les veines d'un ciel d'écume
De ses vallées, le long écho plaintif de ses lèvres
Assiéra son empire sur le trône de ses fièvres.
A peine le temps couché sur les nuages
tu t'enquis de l'avenir
Comme d'un lieu sombre où gitent les plateaux
Ces champs que tu vois
lointains et pâles
Aux visages d'enfances endormies
Nous bénissions nos champs du lait
d'amoureuses irrévérences
Et demain fleurissait sans la sève de jadis
Comme une pierre innocente
Houles insues ! Invisibles foules !
Me pénètrent et m'absorbent
Comment voulais-je alors
Comment aimai-je aussi
Sinon comme ce qui, sans volonté,
épouse les courbes et les rives chaudes
Des nuits sans les jours
Comme une mer assoiffée sur des sentiers de lichen
que la pluie réchauffe
Je pense à toi comme un fruit toujours vert
Où se tend l'eau de tes lèvres
les éventails de printemps sur lesquels mes pas creusent
des regards, comme des lisières qui refusent les bornes
Il faut de hautes levées d'arbres et de rivières
De hautes levées de chants et de secrets
pour que le jour enfin absorbe la nuit
Où s'étendent les blasons des regrets
Et dans les jours qui fondent l'attente imprévisible
bien après que les horizons ont disparu
J'ai regardé l'étrave du temps
et dans sa chair voleuse, les migrateurs de houle
J'ai attendu leurs sillages où se cache le sang
Là-bas des vergers gonflent leur fruit
lorsqu'au plus près de l'âme
Ton corps en moi
chante les maraudes de l'été
Je parle des seuils
aux jardins déclôts
que tes mains ont semés
de paroles naissantes
Mais ta demeure vive
est sans propriétaire
Le printemps n'appartient qu'à lui-même
et ses heures doucement
Tombent d'un ciel bleu de neige
Veilleurs d’îles
C’est un acte de lumière
L’étrange tristesse de l’Iris
Qui frisonne sous des matins de cendre
Vierge aux sceptres de pampre
Sous une drève de cils
Et moi dans cette limpidité désolée
Noyau d’obscur pour allumer ma torche
On a aimé le cristal
Et l’eau dans la pluie
Celle qui se raconte entre les cimes des brumes
Lorsque s’efface ce qui s’apprête à naître
Dans tes yeux qui s’affament d’oubli
Le geste du sourcier
Qui cherche le néant
Et ce qui en sa cendre lui survit
La prairie où je dors
Lumineuse et molle
Accourt, se glisse
Comme un murmure souple
Derrière les seuils où s’agitent les mensonges
On aurait cru les rêves
On aurait cru le sable
Il n’y a qu’une route
Un chemin qui nous prend
De pierre et de terre
Le voici bientôt
Emporter les vignes
Dans le vent qui chante
Ce sont des ombres ailées
Le pollen de demain
Et la poussière des choses
Il faut la nuit, un fardeau de nuit
Une chambre de nuit
Absorbant l’horizon
Et la lune dans ses habits de chapelle
Génitrice des ténèbres
Dans la trêve de l’aube
Cette saison en prose
Un miroir de boue
Où j’attends mon visage
Sur la crête sombre
Figé à la limite
Des ombres et de la lumière
Ce solitaire est nu
L’immobilité tombe du ciel, étreint la terre
Le gel encore a saisi les labours
Un peu de givre accompagne
Leur houle
Dans le ciel mat, l’écho d’un oiseau noir
L’attente et le suspens se couvrent
De nuit. Une vague de terre court vers
Le ciel, ombres et lumières figées
Elle est solitude, monodie du temps
Ce qui parle en costume d’infini
Immobile aussi
Dans les cercles du soir
Où le ciel est un creux que les mots ne peuvent combler
Seuils d’absence
C’est de l’ombre nue
Que sortent les clairières
Ténèbres légères
Rivages de silence humide
Aux vagues trop floues
J’aimerais être là
Aux lisières de tes yeux
Et dans leur sombre iris, capituler
Devant l’évidence des brumes
Et parmi tant de soirs
Et tant d’aubes fécondes
Les lettres, comme un ciel en miettes
Sous la sphère absente qui t’attendait
Pourtant,
De petits serpents ont sifflé sous tes doigts
Ta main ensommeillée de nuit
A secoué le tressage de pierre
Un silence nouveau a redit
L’audible, traces dans la neige, tes pas
Comme une béance obscure
Au cœur du clair enfin
Tes lisières au aguets
La promesse des clairières
Je cherche une lèpre hospitalière
De rose et de jasmin vêtue
Un verbe de néant où je m’abuse
Cerclé de nuit, comme un chemin de parole
Descendu dans l’obscur
Pour plus sombre encore
Fleurir le sépulcre des aubes
Gésir là, aux sources des ombres
On m’a dit le feu s’est couché entre les rêves
Des chambres sans mémoire
Quand le vent s’est levé là où s’étale
Le temps. La peur assise entre mes gencives
Les miroirs ont pris leur envol
Dans la nuit mature j’ai guetté leur retour
Alors je vivais sous ta robe
Où se perdent encore
Les chants inquiets des lieux inaccomplis
C’est ici ton temps seul
Ton temps nu, voix et source
Plus dépouillé que mort
Une misère vive
Qu’écoutent tous les murs
Qui joignent les déserts
Asile de tout havre
La Grande île affligée
Ceinte des mers lointaines
Embrasse ses berges ivres
Et les morts où elles couchent
Ciels sous des grilles blêmes
Paroles ensevelies sous le vent tonnant
Puissances échues aux brises noires
Ô Puissances qui nagent en tes eaux
Mers d’où naissent les noms
Et succombent les Empires
Héler d’un appel sans main
Les navires accostant sous ta couche
Comme à un port où la mort m’attend
Et l’œil au milieu du feu
Pointes enflammées
Sur un quai de délices
L’œil s’empare de mon corps
Le jette sur le rivage
Royaume de sable
A travers moi
Qui s’écoule
Et je sais et tu sais
Dès les premières heures
Les navires s’enfoncent dans la mer
Ici encore
La nuit dont on a faim
Consume le nom
Mes ténèbres se font jour
Le reste, l’élémentaire
Le passage des clartés
Aux vents de suie
Somme l’absence
D’être là enfin
Nous étions !
Terres de labour, gangue de terre
Tous deux parmi les pierres pâles
Deux à suivre la procession des houles
Les ombres couchaient dans nos mémoires
Nous étions et nous fûmes
Fragments constellés
Dans le lit des étoiles
Ainsi soulevas-tu la crinière des jours
Pour éteindre les heures
Au mitan d’équinoxe
J’ai placé mon abri
Entre le vif et le gel
Sur des landes de pierre
J’ai compté mes cailloux
Sous le toit des tentes
Aux teintes étrangères
Une tombe hostile aux ajours
Sous la voûte, une vigne éclaire son matin. Sa grappe attend
Dans l’obscure gargouille le visage qui l’emprunte
La voici grimaçante, une ténèbre joyeuse
Dansant encore sous la pierre courbe
C’est une main d’enfant qui sort de sa bouche
Parole qui gave de troubles les chemins où se scellent mes pas
Parmi les aubes brisées, à la surface des rêves, la langue a ramassé la mer
Dans la main des vieillards, un coquillage
Qu’embrassent les Dieux introuvables.
De néant et d’oubli
Il est des brises sous la lune dont les soirs
S’éprennent et qu’ils absorbent
En un silence moiré
Au-delà, les routes du ciel
Où se cueillent les étoiles
N’offrent qu’un désert d’ombres
Le fruit de ce qui fut
Comme le ciel
Dans une eau sombre
En cette nuit où le jour s’étire
Les reflets ont des voix
D’écarlate et de pourpre
Les échos déchirés
Appellent les déserts
D’un empire sans lointain
Une lame de vent tranche
Le néant d’où le roseau plie
Les chemins n’ont nul chemin où aller
Des songes d’aurore
Reposent obscures et sans ailes
Des uns aux autres, brasiers d’obscur
Floraisons aveugles, vastes plaines
Où brûle le vide à la crête des ans
Une buée blême fleurit entre nos mains
Epis aux semences infécondes
Suspendues par les vents
Au sein de leurs demeures sauvages
Les heures sont pauvres
Dans l’étreinte de ce qui passe
Les visages se dissipent
Aux silences des marées
On n’échappe pas aux verrous
Ils sont là, à fermer les chemins,
A éclipser la lune, à aiguiser la nuit
A fondre l’immensité
Il faut suivre la carte des murs
L’ironie des murailles
Quand on croit à l’avenir
Dans l’océan de la dernière escale
On aimerait des bouquets
De brumes en fleur
Des gerbes de jacinthes
Voilées de ténèbres
On aurait voulu la vie
Dressée dans ses solitudes
Mais c’est trop dire encore
De ce qui n’a pas de nom
Tout cela qui doute
Qui veut sous les nuages, ou qui peut
A l’ombre des heures
A l’horloge de la poussière et des noms
Reste sans image
Sous ce nouveau ciel d’oubli
Rien des vergers de sanglots
Rien non plus du roseau sublime
Les étoiles elles-mêmes
Abandonnent leurs lueurs
A l’immobile absence