Le dépôt
Mots d'images : l'esprit des jeux du poète Allan Graudbard et du peintre John Welson
La pièce est la chose…
Jouer est un art que les créateurs individuels
exploitent autant pour le contenu que pour la forme.
Lorsque le jeu implique deux, dans notre cas l’artiste
John Welson et l’écrivain Allan Graubard, ainsi que la
réciprocité qui les conduit, les qualités qui émergent
révèlent souvent des problèmes et des expériences
d’une personne et d’un naturel collectif ; parfois plus
qu’un, parfois moins qu’un autre, parfois gros des
deux.
Les règles du jeu sont pourtant simples, enracinées
dans un sentiment de liberté et d’ouverture, le prix
comme à découvert. Qu’est-ce qu’il y a dans cette
image et son titre joint qui incite à une réponse
écrite ? Et comment, en tant qu’ensemble, est-ce que
tout cela vit ?
C’est, pour l’artiste et l’écrivain, un échange
sur une période de temps qui s’enrichit au fur et
à mesure. Dans ce jeu, John a créé ses images en
premier avant l’écrit mais a aussi offert une image
en réponse à l’écriture reçue. Allan a exploré les
images que John lui a envoyées rapidement, en se
concentrant principalement sur leurs titres et ce
qu’ils en ont tiré : les mots et les phrases qui ont
propulsé les textes dans ce livre.
Ici, donc, par duo, est un analogue aux
environnements qui nous entourent, dans lesquels
nous vivons, qui vivent en nous, et qui nous
informent et nous façonnent. C’est comme au
théâtre, une sorte de conjuration, mais sur une scène
imprimée, faite dans l’esprit du jeu...
Allan Graubard
Au-dessus de Black Lake
Peut-être est-elle assise quelque part
Peut-être porte-t-elle un lourd chapeau en feutre
Peut-être n’est-elle pas là du tout,
n’est-elle pas du tout ce que nous pensons
qu’elle est
Peut-être ne pas la connaître vaut mieux que la
connaître
ou, la connaissant trop bien
C’est peut-être pour ça qu’elle vient dans cette
ville... non, ce hameau où les voisins
se connaissent par leur nom, bien que cela
s’arrête là
Peut-être là où elle ne peut pas
Peut-être qu’à la première lettre de son nom, elle
commence... ou se termine... ou les deux
n’étant pas comme elle a commencé. Cette
lettre, si commune, je ne m’en souviens pas
Peut-être est-elle habillée pour l’hiver ou le
printemps.
Pas pour l’été
Peut-être préfère-t-elle le vent froid qu’elle avale
quand il fouette autour d’elle
Peut-être est-elle une image laissée sur un lac encore
noir en haut près de la lune, ou
haute assez haute pour la prendre ainsi au-
dessus de Black Lake. N’est-ce pas là le nom.
N’est-ce pas la première lettre de son nom
Peut-être n’est-elle pas là et ne sommes-nous pas là.
Juste là, sur une pente qui
9fait une embardée à travers les sapins jusqu’à
la rive du lac, ce lac sombre et profond
où la lumière périt sans bruit
Peut-être est-elle revenue parce qu’elle le veut, parce
qu’une fois, ici, elle a eu
une liaison. N’est-ce pas vrai ? N’est-ce pas ce
qu’elle veut ? Le son qui l’émeut ?
N’est-ce pas la musique dans le mouvement
qui l’émeut ?
Peut-être que c’est ça
Peut-être que c’est ce qu’elle pense et sent debout
sur la pente qui serpente
vers la berge
Peut-être qu’elle essaie de ne pas pleurer
Peut-être qu’elle préfère rire
C’est trop, trop peu, trop rapide ou trop lent
Ça s’attarde. La liaison
Peut-être qu’elle ne veut pas se souvenir de tout ça
Peut-être qu’elle a essayé et ne peut pas
Peut-être que moins ça compte, plus elle en veut
Peut-être le dit-elle ainsi sur la pente qui serpente à
travers les sapins,
les buissons, les branches mortes détrempées,
le sperme de lapin ou de cerf, ces vieilles branches
couvertes de lichen vert lichen rouge lichen jaune,
la berge boueuse où les vagues du courant et
les moineaux descendent pour siroter la riche eau
d’onyx noir
Peut-être qu’elle se voit dans l’eau quand elle s’y
projette
Peut-être quand elle s’y projette. Elle voit son visage
10et ne le reconnaît pas.
Peut-être le jeu qu’elle joue à Black Lake,
la riche eau d’onyx, la lourde circonférence
tout cela gonflant et montant et
descendant, imperceptiblement,
impitoyablement, dérisoirement...
Peut-être son chapeau en feutre, son chapeau de
paille, son assise quelque part, sa jupe en laine,
sa jupe en coton, sa bouche légèrement
ouverte, ses mains sur ses genoux, ses yeux, ses
yeux noirs en onyx, cette profonde circonférence
sombre sur la pente au-dessus de la rive quand les
moineaux plongent leur tête pour siroter l’eau riche
avec leur bec
Peut-être vous souvenez-vous d’elle
Peut-être que je ne peux pas ou ne peux autant que
je veux
Peut-être soulagée par la simplicité et la beauté du
lac, des sapins, la circonférence de celui-ci gonfle et
tombe
Peut-être que c’est tout ce qu’elle veut ou ne veut
pas admettre qu’elle veut de cette façon,
sur la berge se penchant mettant de l’eau dans
ses deux mains et sirotant.
Allan Graubard
Traduction de l'américain G&J