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POÈMES

HUMOUR BLANC

Pourquoi Poutine est timbré

LA LETTRE DE PHILOSOPHIE MAGAZINE

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Bonjour,


Deux jours après l’explosion qui a frappé “son” pont de Crimée, Vladimir Poutine a choisi de répliquer par un déluge de bombes sur toute l’Ukraine. Comme pour infliger aux Ukrainiens qui osent défier sa puissance un déni aussi brutal que criminel. De quoi réfléchir avec Freud sur ce qui distingue la folie de l’humour.


Mais, avant de poursuivre, je vous invite à deux explorations que nous vous proposons aujourd’hui sur notre site : celle de la figure oubliée de l’écrivain britannique Gilbert Keith Chesterton, qui affirmait que le monde moderne était rempli de “vertus chrétiennes devenues folles”, et celle de l’attitude qu’auraient (probablement) adoptée quatre grands philosophes face au boycott du prochain mondial du football au Qatar.


Retour en Ukraine, donc. Samedi, 6h du matin, un camion explose sur le pont de Crimée qui relie la fédération de Russie à la région annexée en 2014. Bilan : trois morts, une rampe effondrée dans le détroit de Kertch, un train de gazole en feu. Et un camouflet pour Poutine. Car ce pont est un symbole : surnommé le “pont de Poutine”, long de près de 19 kilomètres, il incarne l’ambition impériale du chef du Kremlin de rattacher la péninsule de Crimée, hier, et une bonne partie de l’Ukraine, demain, à son projet de Grande Russie. Même si les Ukrainiens ne revendiquent pas l’attaque, les services secrets du pays sont mis en cause par Poutine, qui parle d’un “acte terroriste”. Sur les réseaux ukrainiens, les images du pont effondré font vite place à des centaines de mèmes parodiques… Comme si la moquerie et l’humour venaient redoubler l’entame introduite, par cette attaque surprise, dans l’invincibilité revendiquée par le potentat russe. Quelques heures à peine après l’explosion, le patron de la poste ukrainienne annonce qu’une série de timbres figurant l’explosion du pont avec une scène iconique du film Titanic est en préparation. De son côté, Vladimir Poutine n’attend pas la réunion de son conseil de sécurité pour bombarder les grandes villes ukrainiennes, y compris Lviv ou Kiev, épargnées depuis le printemps.


Qu’est-ce que l’humour ? Et peut-il être une arme politique, y compris dans le plaisir qu’il procure dans une situation tragique ? Dans un petit appendice à son texte célèbre sur Le Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient (1905), intitulé “L’humour”, Sigmund Freud se demande ce qui distingue l’humour, comme moyen de défense, de la névrose et de la folie. Et il donne l’exemple d’un condamné à mort conduit à la potence un lundi qui s’exclamerait : “La semaine commence bien !” Freud en retire l’idée que l’humour est “libérateur” en ceci qu’il nous épargne les affects pénibles liés à une situation défavorable. “L’humour ne se résigne pas, il défie, il implique non seulement le triomphe du Moi mais encore du principe de plaisir, qui trouve ainsi moyen de s’affirmer en dépit de réalités extérieures défavorables.” Manifestation du principe de plaisir, c’est aussi “une proclamation de l’invincibilité du Moi” face à tout ce qui le menace du dehors. Qu’est-ce qui distingue ce moyen de défense des autres méthodes édifiées par la vie psychique en vue de se soustraire à la contrainte d’une réalité douloureuse, telle que la névrose ou la folie ? Avec l’humour, répond Freud, le Moi défie le réel et manifeste joyeusement son invulnérabilité “sans quitter le terrain de la santé psychique”.


Il me semble que cette distinction assez simple éclaire le contraste entre la figure de Poutine et des Ukrainiens. Là où les Ukrainiens osent défier et moquer la toute-puissance revendiquée par leur assaillant, Poutine se soustrait à la contrainte, insupportable à ses yeux, de l’attaque-surprise de “son” pont… en bombardant des milliers de civils, femmes et enfants compris. Les premiers frappent des timbres à la gloire de leurs petites victoires, le second est vraiment “timbré”, selon l’expression du Moyen Âge pour désigner le fou qui, comme les cloches fêlées à force d’être frappées, sonnait faux.


Martin Legros


L'orgue de Poutine


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NDLR : "Le rire est une affection résultant de l'anéantissement brusque d'une attente poussée à un haut degré" Kant - Critique de la faculté de juger.