Le dépôt
5 - Johan Milan Heude
Présentation
Né en 1988, en Seine Saint Denis, j'y ai grandi puis enseigné les lettres classiques pendant onze ans, collège puis lycée. J'aime l'escalade, et l'Antiquité, la Grèce en particulier. J'ai consacré ma thèse à sa langue érotique. Cela se lit probablement dans ce que j'écris : lyrisme et quotidien diffracté - je chemine -, tenter de recueillir ce qui s'effondre en nous et soutenir, quête âpre et tenace, forcenée, de la joie, dans les doutes et les replis du jour, routes de désirs, d'amour, sans cesse, bien que hantés d'ombres.
2024
Septembre
Ce qui reste de joie
Murmure sous l'étoffe · à peine
Ce pull sombre · mailles trouées
Le deuil
Entendre est difficile · parler
Les mots · bloquent la gorge
Fruit blet jusqu'à la pourriture
Suspect · capiteux
Je ne veux pas de réconfort
Pas · encore
Les mots attaquent les dents · en sourdine
Acides · tartre et tristesse
Écaillent le bord des yeux
Consolation · oubli ouaté
La peine s'accueille · elle
Autel · sans s'en repaître
Compagne · hommage
Service minimal aux morts
Les pleurs · unissent
Pour un instant gardent vivant
– communauté des larmes –
Mais surveiller · sa bouche · rouge et noire
Risque · tout dévorer · rongées les minutes s'étirent
Puis · fondent
Avenir · avorté
Le temps est élastique
Sans retour · pourtant · c'est là le drame
Tu ne reviendras · pas
Au soir · dans le silence · redevenir l’esquif
De craie
Comment dit-on adieu ?
Tout l'amour qu'il me reste · je l'écrirai · ailleurs
Il faut bien quelques vers pour la déploration
Juillet
"Sur la Baigneuse de Miró (automne 1924)"
Trois poissons
Nagent dans un manteau
Se capuche un nuage aux épaules
Un horizon en croix
Le corps est un poteau dans l'eau
Sur quelle route marche-t-elle ?
L'asphalte est englouti
La nuit a avalé les îles
Et elle danse
Immobile la lune a semé sur son crâne
Une moisson d'oubli
Des rayons
Quatre et jaunes
La tulipe allongée une vague
Prière laiteuse
Encre infusée
Dans les nuances du néant plein
Une barque qui est un scotch noir
Elle n'a pas de lèvres
Mais chante
Elle ignore être entre deux guerres
Suspendue
On croit que l'horreur est loin
Elle sait bien pourtant
On est toujours entre deux guerres
Au mieux
L'innocence trois taches rouges
Trois lanternes mouvantes dans la nuit
Nos paupières transparentes
Valse ininterrompue la transe
Nous habitons les flots
Nous n'avons plus de visage
Mais nous veillons
Juin
Pommettes fracassées
Le poème
Images sous un poing
Refuser la narration
La voix ne dit pas
Elle crie
Même à voix nue
Frisson sur un silence
Entre les talus
Épis sauvages
Dans l'attente des mains
La moisson
La nuit est tombée avec la lune
L'eau
N'a plus que sa surface
Comme elle fond
Dans la bouche et se brise
La falaise offre une naissance
Et le souvenir du départ
À venir
Une vague
J'existe en deux points du temps
Tu me regardes
Et tu t'attristes
La craie et sa superbe
Mai
ll faudrait être un arbre
Sentir la pluie
Jamais triste la lumière
Élaguer les heures faire pleuvoir
Des feuilles
Du miel rayé
Les racines pour ciel
Devenir cet oiseau pétrifié
Un peu d'ambre
Les siècles viendraient lentement se graver
Rides et rond dans l'eau
Cernes en allés portant les notes
Enluminées d'écorce
On ne saurait plus lire
Peut-être lirait-on mieux
J'observerais
Le chat son désir de mésanges
Abriterais en moi le roux d'un écureuil
Déposé de regrets
Trésors enfouis puis oubliés
De mon ombre ocellée caresserais ton corps
Te peindre vert
Et bleu sous les branches
Ma voix
Serait rugueuse serait tendre
- ma peau d'homme s'excuse trop -
J'irais puiser plus loin
Sol ciel
Insensible à la soif
Amant du vent et de l'infime
Cheminant doux dans la nervure des feuilles
Quand personne ne savait voir
Ni écouter la sève
Chanterais longuement
Il faudrait être un arbre.
Avril
Donne-moi ce qui reste
Des choses impossibles
Mots tracés dans le sable
Des bonbons dans une boîte en fer blanc
La pluie
Mets en gage les embruns
Les bouteilles encore pleines
Les verres jetés brisés le vin
La blancheur de l'ivresse est un rire éclaté
Donne-moi seulement
Embrassé au bord des coupes
Le souvenir
Des garçons
Viens incendier ma peau
Dessine entre mes côtes
Des pontons pour nos peines
D'herbes folles
Viens les nouer aux veines
Elastiques et dansant sous tes doigts
Puis nous ferons la sieste
Des fins d'après-midi
Nus
Un murmure qui s’efface
Donne-moi ce qui reste
Quand tout est essoré
Janvier
Quand nous étrangeons nous ?
Quelle aiguille vient defaire dans la nuit les coutures invisibles ?
Le tissu se détache
Quand donc ai-je appris que je n'étais plus toi
Que je n'étais plus vous ?
Un lendemain peut-être était-ce
Au réveil peut-être après
Une assiette de soupe au goûter
Devant un stade ou la télé ou dans la cour
Entre deux bancs
Ou bien encor creusés ensemble
Dans l'herbe un pré et c'était le printemps
Pour découvrir que le nous s'est dissout
Qu'une différence n'est pas toute différence
Qu'il y a autre et autre
Autre et étrange et étranger
Quelle balance indiqua le trop en non-retour
Et qu'il fallait alors chercher ailleurs
Dans les marges rondes et déchiquetées des jours
Le clan superbe des autres parias ?
Nait-on une seconde fois ?
Aussi douloureusement que la première
Déchirante parturition
Quand je tombe du néant vers l'aveuglante lumière
Quelles mains expertes pour nous guider
Comme nous glissons dans l'eau épaisse d'un bain inconnu
Comme on se noie peut-être
Comme ils veulent le vider
Qui nous a appris à nager ?
L'eau fore les poumons et nous creusons la nuit crevée de soleils électriques
L'insulte en accoucheuse nous nous savions déjà
Déjà la marque indélébile et mon âme était grosse
Grosse de quoi ?
Derrière l'enceinte des steppes à perte de vue
Où voir et où se perdre
Il aura fallu être soi et tout inventer
Méduse rampe ses enfants innombrables
Dedans ses anneaux d'or
Et mon cœur arrêté
Comment avez-vous fait
Pour m'aimer et me tenir la main
Dépassées ses frontières où votre ordre se dissout ?
Peut-on vivre par analogie ?
Nous marchions sur un fil de plomb
J'ai suivi des projections lazer des empreintes bleuies
Vos pieds
N'ont pas la forme des miens et peut-être que
Parfois
J'ai couru comme les bêtes
Mes griffes enfoncées dans le sable et la bouche emplie de terre
Mais je souriais toujours
Et l'on me croyait vôtre
Et je suis vôtre sans l'être
Je sais qu'il existe
Inaltérable
Une grève abritée un antre lavé de sel
Où nous savons ensemble
Vivre et s'oublier
Être une âme retrouvée pareille et différente dans la douceur des algues
L'amour un grand feu clair
Et ce fut ça sûrement
Sans que vous ne sachiez bien comment
Malgré les maladresses
Les peurs qui n'osent pas
Quand il fallut se désapprendre pour se connaître vraiment
Avorter des futurs trop lourds de déception
Comme des manteaux trop grands
Ce fut ça sûrement
Cet amour sans degré
Qui ne sait se livrer que brûlant
Sans se dédire ne serait-ce qu'un instant
Sans vaciller
Ce fut cela
Qui rendit tout possible
Et je sus vivre autre car je me sus aimé
Et que je sais aimer
J'ai su connaître d'autres lumières errantes
Quand nous avons formé ensemble
De tendres constellation qui guident nos navires éborgnés
Ces grands fatras cosmiques
Dans l'ordre quotidien ouvrent des routes jusqu'alors impensées
Échardes stellaires fichées au cœur des réprouvés
Nous nous sommes reconnus protéiformes
Et nous chantons
Quand le rejet façonna notre fierté
Ses crachats comme une eau creusant la pierre des canyons
En cathédrale et en dentelles des bras
Tendus des mains de marbre chaud y ont pris vie
Et nous chantons
Réinventés et neufs
La lune condamnée à la frontière de l'ombre
Invente ses mille faces
Et les cris des chiens aux carrefours
Nos statues mutilées des voleurs dans la nuit des couleurs
D'encres intenses de subtile aquarelle
Notre large aplat vibrant mutitude jumelle
La grande vague intarissable et nue des ronds dans l'eau
Nos yeux sont décillés
Et dans ce monde qui est le nôtre
Qui est le vôtre oui mais sans l'être
Nous choisissons la vie
Nous continuons d'offrir
Malgré la lutte à travers elle
Ces grandes fleurs de cristal et de fer
Nous refusons le silence
Un verre brisé
Nous choisissons l'amour
Son chant son cri
Février
Le soleil a éclaté
Éclaboussant les murs
Une feuille trop mûre un fruit
Dégoupillé
Les pivoines sous la neige
Avaient oublié et c'est soudain
La grande joie l'or transmué
Bulle du souffle
Globe de glace suspendu aux branches
Des heures de l'enfance
Nous lisons l'avenir sur les éclairs du givre
Même en plein jour
Haleine
Qui prend de court les tulipes folles
Pensant pouvoir percer l'hiver
Le froid les a décapitées
Couronnes éparpillées offertes des dés
Lancés pour sacrer la saison
Son triomphe et ses noces les pas
Crissent nous embrassent le gel
Est un coussin de soie
Il nous brûle les doigts le sang bat
Le cœur multiplié
Chaque phalange
Chant pulsatif à l’intérieur tumulte
Comme on est ivre
Ce qu'il faut suivre quand on retrouve
Un chemin inconnu
Et la Seine même ne sait plus si elle coule
Avancer comme on s'enfonce
Dans l'air épais cristal griffé une feuille
Glisser ou par à-coups
Le ciel est bleu glacier lavé
À l'envers des paupières
Cloué d'étoiles
Pour l'instant invisibles
Et tenir dans sa main le temps insaisissable le maintenant
Poudre sur les pavés
Dans ma gorge se mêle aux mailles jaunes de l'écharpe
Un rire tissé qui monte tendre
Salut sonore au jour
Mars
Dans l'enclos d'un volcan nous voici descendus
Tu marches en tête
Nous suivons les points de peinture blanche barbouillés sur les pierres
Tu dis
Dans la brume on se perd
Les pierres s'ouvrent et s'effritent
Parfois même on ne retrouve plus les corps
Et nous pensons assassinats
Et rions de médire
Aujourd'hui il fait beau
Le ciel est cru implacable à l'aurore
Et je te suis
Confiant
Entre les oreillers de lave au moelleux illusoire des aiguilles dorées forment un tapis étrange s'amassent comme mousses fines et cassantes qu'on croirait chues d'un arbre mais ces terres sans terre sont sans végétation ce sont des filaments de verre façonnés par le vent souffle d'une lave liquide un souvenir d'incandescence dans ces champs noirs où pourtant rien n'est noir si l'on regarde bien
Les roches s'irisent
Sont d'ocre rouge un sang séché de pourpre sombre la mer vineuse une tempête pétrifiée l'écume comme la boue qui vire au bleu tu précises qu'à l'école on apprend aux enfants le feldspath l'olivine j'aime mieux l'obsidienne cheveux défaits de Pélé que le vent éparpille jusqu'à blesser les lèvres tendres des bêtes dans les champs éloignés
Dans ce chaos de pierre des chapelles basaltiques célèbrent ouvertes à tous des noces invisibles et tu nous y invites silencieux accroupis aux remparts du cratère
Ce pays est sans ombre
Au retour en passant devant le petit cône d'un mamelon strombolien je rêve vaguement à une fourmi-lionne mandibules à crinière qui aurait fait son nid ronronnant doucement la dernière gardienne d'un royaume dépeuplé je sens sa solitude voudrais la consoler lui rappeler qu'avant
Avant la plaine des sables qui absorbe brûlante toute la chaleur du ciel avant même les hauts cols aux herbes rases aux buissons épineux quand le jour à peine né buvait lentement le lait épais des nuages lui rappeler comme nous avons vu ensemble la chair épaisse des champs verts dévalant les pentes des vallées plus vite que les cascades les fleurs envahissant les lacets de la route et la rosée blottie au creux des feuilles-songes les lianes les hortensias
Tu conduis la voiture et je n'ai jamais peur
Le chemin d'être ensemble ne connaît pas de piège nous marchons sans balise et sans laisser de marque comme la brise à peine fait plier les aurores et les plantes sous ses pas
Et te savoir ici
Ami
Et avec moi
Fait comme une bourrasque immense un souffle qui emplit les poumons comme un cri un éclat qui vibre réverbère qui rebondit sur les rivières
Qui écharde le cœur
Je t'ai suivi sur les routes de la terre sur plusieurs continents parfois aussi je te précédai de toi à moi il n'y eut jamais d'ordre sur le granit rose lisse alangui des côtes infinies de Bretagne au pied des glaciers de l'Islande dans les fjords dans les rues enneigées de Norvège les îles plates de l'Atlantique sous la pluie de Stockholm rincés d'une lumière crue le lendemain au réveil dans la moiteur des bars enfumés de Berlin le gel crissant d'un jardin à Bruxelles près du saut de Leucade en suivant dans l'orage un vieil homme et son âne aux collines de Lisbonne le soleil se noyait dans le Tage au bord de tant de mers qui toujours se ressemblent et sans se ressembler jamais dans les embruns et le brouillard sous des aubes salutaires et l'aplomb zénithal sans nom d'emprunt et sans regret
Nous gardons table ouverte dans un recoin du cœur
Je pense à ça
Encore
Quand je marche derrière toi
Et puis je dis
Que c'est probablement
Le vent
Qui doit faire s'embuer mes yeux
2023
Juillet
J’arrive
(extrait)
Sache te méconnaître
Murmurait le velours élimé
Les salles vibraient de marches anonymes
Peuple de fantômes
Ballets sublimes
On ne savait plus rien de l'heure ni du jour
Alphabet trouble grevé d'oubli
Je recomposai peu à peu les syllabes désapprises
Rougi de la ferveur des nouveaux convertis
Réécrivis mon nom lentement et fébrile
D'arabesques inconnues me déliant les muscles
Les lignes tatouées
Du désir sismographes
Voilà que j'apprenais
À part moi
Autrement
Un frisson
Et le goût de la fièvre
Août
Rallume
le feu attise souffle le vide n'existe pas un leurre ce battement manqué tu as oublié ce qui dansait faisait à l'ombre la guerre l'amour ce qui subtil court sous la peau
Reprends
la quête brûlante du jour recommence efface fébrile grave les pierres - le gel la nuit une eau trop claire dans les fissures et tout explose - au matin prendre garde les chemins ont changé les sentiers cheminées dévorées de buissons à recouvrir de signes et de cigognes la blancheur nids de fumée
Reprise
la toile de l'aube points de croix enflammés déchirés à la lame au crochet croc de boucher sur les tonneaux les torches tissu rayé des heures forçats enfuis enfouis puis retrouvés avancer sous la poix résine
Renoue dialogue
avec la braise remplis la fosse de tes yeux purifie les charniers c'est un temps de salpêtre tu ne savais plus rêver ni moi retenir la rosée sur tes cils ni la boire l'aurore se bat au cœur de l'ombre crucifiée pelletées de terre tout passer à la chaux fouiller dans les cendres les décombres
Racle sur ta peau
sombre la sueur des mauvais rêves des mauvais mots les images déformées un mauvais sel incrusté et combien de naufrages les mots avaient paru mentir ce n'était que des bouches dents ébréchées tranchantes malgré les lèvres closes ce qui résonne en toi mieux lire mieux dire
Retrouve
le phare le bûcher chahuté au sommet des falaises la craie brille sur la mer les algues phosphorescentes pendues à tes paupières plaine d'échos languide une hutte brave seule l'obscurité foyer tremblant quand tout vacille l'hésitation pourtant
Pourtant
La foudre a traversé tes yeux.
Septembre
Et les murs sont épais surfaces rugueuses parfois polies miroir cristal couvert de croûtes comme une peau
Je tente
Une percée gratter ongles cassés ça s'accumule ces anneaux bruns une auréole lunules rongées et même la matrice cuillère brisée pas sûr que ça repousse
Le temps nous a trahis tu penses
Nous a ici et là le temps
N'existe pas
Du verre pilé trace des lignes à tes narines mille tessons forment écueils déchirent la peau et rien ne coule
Ichor boueux la nuit noircit le jour tout s'indiffère
Comment nager
Des cendres dans la paume comme on patauge comme on décline mains maculées les souvenirs nous blessent psaumes et micelles en suspension nous sauveront-ils
Salive et solutions salines
Les murs autour partout les tours sont sans fenêtres qu'intérieures arches scellées
À court de danse désormais j'oscille à peine léger tremblé presque au fusain et dans les coins l'attente obstinée des briques
Depuis quand cette bête fragile
Léchant ses plaies porcelaine vertébrale ses griffes sont une mousse amère
Où sa superbe - la honte du devenir
Tu
as
Oublié
Comment vivre
Et je ne sais plus crier
Octobre
Les mots nous font violence
La vie livrée aux lances lancinante douleur qui vrille
Gamins en mal d'identité comme menacés
Par qui par qui à affirmer à affermir
Leur mâle identité
Des taupins oui pas des tapettes
Pas des baltringues
Des hommes des vrais pas des pédés
Et ça crie et ça crache
Ça vous déchire la gorge
Roule l'insulte comme un bonbon de bouche en bouche
Langue tordue sourire et bave et c'est abject
Mais rien n'est grave quand on triomphe
Oui mais tout pèse
Et tout écrase
Laisse des marques sur la peau des hématomes tout lacère
Quand il fallait fixer ses pieds
Regard cloué quand on s'enterre veut disparaître
La honte à dire comme à se taire
La honte
Quand exister fait mal
Ces mots tirent des flèches
Forment des fers forment des cordes
Des nœuds coulants ou des cutters
Que dire pour n'être pas complice
Comment parler
Pour que les mots se muent en havre enfin atteint
Bras ouverts dans la nuit
Offrent l'étreinte
Pour qu'avec eux le monde recommence
Sa liberté comme une soie au cou
À effacer les ecchymoses
Pour nous guérir
Pour retrouver
Le goût du miel et puis le lait
Un baume
Pour accueillir
Trouée dans la nuée d'orage
Lagon de laine où délasser nos ailes
Lécher nos plaies
Les loups
Se lasseront d'hurler
Atomisée de solitude la meute
Comme un matin perdu
Les crocs brisés - ne savaient embrasser
Apprendront à chanter
Sur les promontoires de la brume
Les mots
Feront comme un manteau
Pour abriter nos amours couver nos joies
Pour recouvrir le monde
Dénoueront les ceintures attachées au plafond tisseront
Une chaleur épaisse
Nous saurons renaître au chaos
Dans la force d'être soi sans détruire
Des mots sans trahison
Qui libèrent enfin leurs mille enfants blessés
Novembre
...
Elle sourit toujours
À me voir qui arrive le cœur
Est là qui chante
Un quai de gare un couloir dans la
Rue son salon
Toujours
Sans faille ni fatigue
Sourire simple qui plisse l'œil
Légèrement aile de neige bijou clair
Et qui l'oreille tend
Un couloir dans la rue
Un quai de gare son salon
Toujours
Ma mère
Sourire très pur et droit
Sourire du bonheur simple d'aimer
Aimer l'autre parce qu'il existe
Simplement cela
Se donne la peine d'être
Sourire de ma mère en ultime assurance
Sans fatigue sans faille
Que j'existe en un cœur
Qui ne demande de moi rien
D'autre que d'exister
La certitude encore : ce sourire
Existera toujours
Baiser de gaze au soir
Dentelle écume
Quand les lèvres quand les dents
Auront disparu
Quand la nuit se sera faite
Sur les rues
Les quais de gare
Le couloir
Son salon
Ce rayon calme et clair
Toujours
Ma mère
Décembre
Le temps se traîne et file
Poème de train
Schizophrène paresseux
Comme un adolescent
Au matin mal réveillé
Mal léché mes mouvements
Pendulaires
Coulés aux plaines du nord
Petit explorateur
La terre est plate
Derrière la vitre
Frottée d'un soleil coupé
À peine levé
Une poudre rouge dissoute
Sur les fils électriques
Les oiseaux sur les lacs
Sommeil envol
Un voisin ronfle doucement
Nous doublons les autoroutes sur leurs ponts
Vibrations régulières
La voiture quinze berce
Échos tendres sur les rails
Cliquetis des claviers les écrans
Font concurrence à l'aube
Je ne dors pas
Témoin timide intime
Dans cet envers feutré du monde
Grand voyageur du pas très loin
Du pas grand-chose
Regard clandestin
Le wagon-bar est clos
Les yeux mi-clos
L'écharpe en boule sous le poignet
Coussin d'un sultan de fortune
Comme frauder l'instant
Suspendu
Au creux d'une fleur immense
Monstre placide d'acier
Assourdis de velours
Ses délicats pétales
Silence volé serein
Avant
Et puis
Le tourbillon joyeux des gares
Les cris et les baisers soufflés
Sifflet strident un espadon
Bouffée d'air vif
Liquide claque
Sur le quai le réveil
Jusqu'au retour
Ce soir