Le dépôt
Norman MacCaig - Voice Over - Voix off - Trad G&J
Norman MacCaig, poète écossais (1910 - 1996) au style sobre et aux images justes. Enseignant en poésie à l'université de Stirling. Auteur de plus de 700 poèmes de 1955 à 1988 réunis dans Norman MacCaig Collected Poems aux éditions Chatto & Windus London.
VOICE-OVER (1988) - VOIX OFF - Trad. G&J
Between moutain and sea
Honey and salt - land smell and sea smell,
as in the long ago, as in forever.
The days pick me up and carry me off,
half-child, half prisoner,
on their journey that I'll share
for a while.
they wound and they bless me
with strange gifts :
the salt of absence,
the honey of memory
Entre montagne et mer
Miel et sel - odeur de terre, odeur de mer,
comme au bon vieux temps, comme à jamais.
Les jours me rattrapent et m'emportent,
mi-enfant, mi-prisonnier,
dans leur course que je partagerai
pendant un moment.
ils me blessent et me bénissent
d'étranges dons :
le sel de l’absence,
le miel de la mémoire
Low tide
Under six inches of water
peebles, each one of them noble
in the heraldic colours of their ancestry.
Time sits weaving
and unweaving an endless tapestry
for a Ulysses who will one day come.
As I will - not this caricature
who wades in six inches of water.
My true self, my aimless wanderer.
I pick up a pebble and watch
its colours fade - and put it back. Full tide
won't dull its visible shining.
Repulsive death washes into my mind.
It won't dull the invisible shinings there -
dead friends, noble in the last certainty.
Marée basse
Sous six pouces d’eau
des galets, noble chacun d’eux
aux héraldiques couleurs de leurs ancêtres.
Le temps séant tisse
et détisse une tapisserie sans fin
pour un Ulysse qui viendra plus tard.
Comme je le veux - pas cette caricature
qui barbote dans six pouces d’eau.
Mon vrai moi, mon rodeur sans but.
Je prends un galet et je vois
ses couleurs s’estomper - et le repose. La marée haute
ne ternira pas son éclat.
La dégoûtante mort vague dans mon esprit.
Elle ne ternira pas les lumières invisibles d'ici -
amis morts, nobles dans la dernière certitude.
Small boy
He picked up a pebble
and threw it into the sea.
And another, and another.
He couldn't stop.
He wasn't trying to fill the sea.
He wasn't trying to empty the beach.
He was just throwing away,
nothing else but.
Like a kitten playing
he was practising for the future
when there'll be so many things
he'll want to throw away
if only his fingers will unclench
and let them go.
Petit garçon
Il ramassait un caillou
et le jetait à la mer.
Et un autre, puis un autre.
Il ne pouvait pas s’arrêter.
Il n’essayait pas de remplir la mer.
Il n’essayait pas de vider la plage.
Il était juste en train de jeter,
rien d’autre.
Comme un chaton jouant
il s'exercait pour plus tard
quand il y aura tant de choses
qu'il voudra jeter
si seulement ses doigts se desserrent
et les laissent partir.
Slow evening
Night is long in coming. Its soft feet
pause at the horizon. Stars wait
for the light to go out, to perform
their brilliant rituals on their dark stage.
My mind that was sleepy with waiting
begins to waken, to feel small movements
like the tiny waves fudged in a glass of water
carried by a child.
Light drains away. - But there,
sudden windows appear on dark buildings,
small universes wheeling pacefully
with Saturn and the tilted Plough
Lente soirée
La nuit est longue à venir. Ses doux pieds
s'arrêtent à l’horizon. Les étoiles attendent
que la lumière s’éteigne pour jouer
leurs brillants rituels sur la scène sombre.
Mon esprit qui dormait en attente
commence à se réveiller, à sentir de petits mouvements
comme les vagues minuscules esquivées dans un verre d’eau
porté par un enfant.
La lumière s’écoule. - Mais là,
des fenêtres soudaines apparaissent sur des bâtiments sombres,
petits univers roulant au rythme paisible
de Saturne et du Charriot penché.
Sealubber
Far on any ocean, wiyh horizons
always the same distance away,
there's an Odysseus, a big bold fellow
made of bronze or a scruffy gray one
with a chewed moustache.
They know where they're going
even if there's no harbour there to creep into.
Do I envy them their hard way
with dissatisfactions and boredoms, their exchange
of the paradox of friends and of lovers
for the loneliness they're in love with ?
I nid-nod in my rocking harbour.
It has a welter of waves in it
that no-one can see, that has
terror enough. and I sail
on the never-ending voyage
to where I am already, dizzy
ith beautiful Troys and
dangerous Circes and dark journeys
to the land of the shades.
Marin d'eau douce
Loin sur n’importe quel océan, avec des horizons
toujours à la même distance,
il y a un Ulysse, un grand téméraire
bronze ou gris sale
à la moustache mordillée.
Il sait où ils va
même sans port où se faufiler.
Est-ce que j'envie ses dures manières,
son insatisfaction et ses ennuis, son échange
du paradoxe de l'amour et l'amitié
pour la solitude dont il est épris ?
Je hoche la tête dans mon havre berceur
avec son déferlement de vagues
que personne ne peut voir, avec
sa terreur suffisante. Et je navigue
dans le périple sans fin
où je me trouve déjà, étourdi
par les magnifiques Troyens et
la dangereuse Circée et les voyages sombres
au pays des ombres.
Divider
Greek Atlas is all of us.
He feels the earth
being pushed into him
by the heavenly sky.
But stubbornly
he keeps the apart.
He stands, his own limbo,
always stubborn, always complaining.
Cloison
L’atlas grec, c’est nous tous.
Il sent la terre
repoussée en lui
par le ciel paradisiaque.
Mais obstinément
il se tient à l’écart.
Il se tient dans son propre limbe,
toujours têtu, toujours en train de se plaindre.
Sleepy time
The lamp hisses : a lullaby hiss.
The fire cradles two little flames.
And the world's one room; time
has escaped from the ticking clock.
Somebody sighs. A hand dangles
from a chair arm;
and a man's head droops.
The night outside creeps into it.
L'heure du sommeil
La lampe siffle : une berceuse chuinte.
Le feu berce deux petites flammes.
Et le monde n'est qu'une pièce ; le temps
s'est échappé du tic-tac de l’horloge.
Quelqu’un soupire. Une main pend
d’un bras de fauteuil ;
et la tête d’un homme s'affaisse.
La nuit dehors se glisse dedans.
Perfect evening, Loch Roe
I pull tfe boat along gently. In the stem
Donald tucks his long rod under his arm
and lights his pipe.
Behind my rignt shoulder
the cliff Salpioder holds out
its anvil nose
over the sea.
The distances of other times,
the unmesurable ones,
have withdrawn into nowhere at all.
- A sudden clamour. Oystercatchers
fly off from a grey rock -
their orange-red beaks; their wingbars flashing white.
The desires of other times
are huddled in their false country,
exliles returned to their homeland.
I feel something like love.
I can spare it, for the source of it all
is waiting, there, in the squar cottage.
Soirée parfaite, Loch Roe
Je tire le bateau doucement tout le long. Dans son fourreau
Donald coince sa longue canne sous le bras
et allume sa pipe.
Derrière mon épaule droite
la falaise Salpioder résiste
son nez en enclume
au-dessus de la mer.
Les distances d'autres temps,
celles qui ne sont pas mesurables,
se sont retirées nulle part.
- Une clameur soudaine. Des huîtriers
s’envolent d’un rocher gris -
leur bec rouge orangé; l'éclat blanc de leurs lignes d’ailes.
Les désirs d’autres temps
se blottissent dans leur faux pays,
les exils sont retournés dans leur patrie.
Je ressens quelque chose comme l’amour.
Je peux m'en passer, car la source de tout
attend, là, dans le vieux chalet.
Compare and contrast
The great thinker died
after forty years of poking about
with his little torch
in the dark forest of ideas,
in the bright glare of perception,
leaving a legacy of fourteen books
to the world
where a hen disappeared
into six acres of tall oats
and sauntered unerringly
to the nest with five eggs in it.
Comparaison et contraste
Le grand penseur est mort
après quarante ans de recherches
avec sa lampe de poche
dans la sombre forêt des idées,
dans l’éclat lumineux de la perception,
laissant un héritage de quatorze livres
au monde
où une poule a disparu
dans six acres de grande avoine
qui déambulait infailliblement
vers le nid avec cinq œufs dedans.
Chauvinist
In all the space of space
I have a little plot of ground
with part of an ocean in it
and many mountains.
It's there I meet my friends
and multitudes of strangers.
Even my forebears dreamily visit me
and dreamily speak to me.
Of the rest of space
I can say nothing
nor of the rest of time, the future
that dies the moment it happens.
The little plot - do I belong to it
or it to me ? No matter.
we share each other as I walk
amongst its flags and tombstones.
Chauvin
Dans tout l’espace de l’espace
je possède une parcelle de terrain
avec un coin d’océan dedans
et de nombreuses montagnes.
C’est là que je rencontre mes amis
et des multitudes d’étrangers.
Même mes rêveurs ancêtres me rendent visite
et me parlent en rêve.
Du reste de l’espace
je ne peux rien dire
ni du reste du temps, l’avenir
meurt au moment où il arrive.
Le lopin de terre - est-ce que je lui appartiens
ou est-il à moi ? peu importe.
nous nous partageons tandis que je marche
parmi ses drapeaux et ses tombes.
Mountain Streamlet
Thin splash of water. There should be
red eyes in it or a shiver
of gold grains.
How tiny its water-nymphs would be.
It couldn't trundle away
even the head of Orpheus.
And Ophelia would step over it
singing her sad songs.
I look for the red eyes -
they're there, pebbles
among the white ones.
And gold grains ? They're in my mind,
enriching me.
If only I could wrap up
its little music
and take it with me
to my city room.
I'd listen to it and,
if I were Wordsworth,
I'd write something called
Innocence and Independence.
Ruisseau de montagne
Fine éclaboussure d’eau. En elle
il pourrait y avoir des yeux rouges ou un frisson
de grains d’or.
Comme ses nymphes seraient minuscules.
Elles ne pourraient même pas
faire rouler la tête d’Orphée.
Et Ophélie l’enjamberait
en chantant ses chansons tristes.
Je cherche les yeux rouges -
ils sont là, galets
parmi les galets blancs.
Et les grains d’or ? Ils sont dans mon esprit,
m’enrichissant.
Si seulement je pouvais emballer
sa petite musique
et la prendre avec moi
dans ma chambre en ville.
Je l’écouterais et,
si j’étais Wordsworth,
J’écrirais quelque chose intitulé
Innocence et indépendance.
Thinking of contradictions
Take away the contradiction
and what's left ? Heaven.
Only the gods
could settle as happy natives
in that place of no contradictions,
that place of certainty, the place of peace.
And who'd want to be there anyway,
unable to enjoy the darling gifts
of rage, jealousy, cruelty, lust
and that power, the truly godlike one,
of destroying our own creation ?
Pensée contradictoire
Oter la contradiction
que reste-t-il ? le Ciel.
Seuls les dieux
peuvent le peupler comme des indigènes heureux
ce lieu sans contradictions,
ce lieu de certitude, ce lieu de paix.
Qui d'autre voudrait être là,
incapable de jouir des dons chéris
de la rage, la jalousie, la cruauté, la convoitise
et du pouvoir, le véritable pouvoir divin
de détruire sa propre création ?
à suivre