Constantin Pricop / Simple poème
L’ETRANGE SAISON / 1999
JE REGARDE CES VISAGES
autour de moi
quelques-uns commencent
à se couvrir de moisissure
quelques-uns ont une lumière
de cire
seulement deux ou trois reflètent
le vol des pigeons de la place
le son de la source
est quand même
perceptible
des petits fleurs jaunes
dans le parc
devant la cathédrale
central station
14-11-999
27-11-999
JE REGARDE
je vois des têtes
vertes, bleues, grises
(ces sont les têtes d’automne)
je vois des têtes
aiguës, carrés, ovales
(ces sont les têtes de nuit)
je vois toutes sortes de têtes
mais les yeux prennent
leur vacances
les chiens jouent
aux violons d’automne
c’est si triste
que j’ai besoin de voir
des têtes vertes, bleues, grises
(ces sont les têtes d’automne)
des têtes
aiguës, carrées, ovales
(ces sont les têtes de nuit)
24-11-999
27-11-999
JE PLONGE
je plonge
comme si j’avais des ailes
ma descente est vue
par ceux qui nous regardent
de là-haut
elle n’est pas autre chose
qu’une longue patience
elle n’est qu’une longue patience
la nuit n’a pas encore
trouvé sa place
on avance dans le gris
on avance
16-11-999
27-11-999
C’ ÉTAIT UNE BELLE ALLÉE
c’était une belle allée
je descends vers la mer
l’horizon là-bas très loin
sacrifié à mon regard
je répète sans être entendu
mon amour, mon amour
l’aile accablante
de l’oiseau qui détruit
les planètes n’est pas très loin
je la sens
(je sens aussi le regard de mon vieux Del Chirico)
entre les feuilles des lauriers
un soldat mort
tremble sous le vent
sous la peau
de cette femme
il y a des muscles des os le sang
et le Dieux?
mon amour je dis
et le Dieux?
et le grincement
qui vient depuis le commencement
du monde
nous emporte
25-11-999
27-11-999
CE FIL
ce fil d’herbe
c’est mon frère
couché à terre
par le vent glacé
de novembre
il fait quelques essais
pour se redresser
peut-être qu’il est
trop faible
j’entre dans mon rêve
et je reste là
il y a un nuage gras
sur le ciel
une devinette
16-11-999
27-11-999
LE CALME QUELQUEFOIS
le calme quelquefois
le don d’un soir
plein d’arômes
les fruits
leur moment de repas
je t’écris
j’écris à la personne
qui prend
parfaitement
le contour de cette heure
de la nuit
15 / 09 - 09 / 10 - 10 / 10 / 999
DES PETITS POIS
des petites pattes noires sur
le drap blanc gonflé par le vent
les états d’âme
sont des sauts de grillons
entre les harmonies sonores
aléatoires
je ne suis pas sûr
que je comprends correctement
la respiration de la planète
mon masque va céder
on n’entend plus que le bruit
du vent
dans le bruit des eaux égorgées…
24 / 07 - 10 / 10 / 999
ELLE
on avance tous les deux
on gagne le large
de cette patinoire immense
qui fait glisser la plus lourde des nuits
des étincelles de glace
sautent sous
notre avancement muet
like a rolling stone
et ça me cache
les feuilles des arbres
mourants
on va vers le point
on est absorbés amèrement
par la fine ligne
de l’horizon
30 / 08 / - 10 / 10 / 999
PETIT POÈME BRISÉ
très estompée
comme par hasard
tu es tombée entre ma lumière et moi
*
je vois à travers
des miettes de matière
qui montent et descendent
*
tu n’as pas besoin
de cette aile noire et poussiéreuse
*
les cloches tremblent
dans les bouts d’épingles
de leurs sons aigus
*
on veut nous offrir quoi?
je ne vois pas très loin
pas au-delà de tes mots ambigus.
*
je me tourne toujours vers toi
je suis le tournesol
de l’été malade
29 / 07 - 10/ 10/ 999
JOUR D’ÉTÉ (3)
à Laura
elle est si jeune
elle est si gaie
que sur toute cette surface noire
elle reste seule
je cherche la petite lumière
et elle incendie
mon présent mélancolique
c’est un accident
dans la corolle parfaite du noir
c’est elle
14/08 /99 - 29/08/99
LES SOLDATS DE LA VIE
à Pierre Lamarque
il y a encore nous
les soldats inconnus
de la nuit
les mains soulevées
s’appuyant sur le ciel
sous nos pas rythmés
le globe terrestre
fait ses mouvements de rotation
(une simple bande d’entraînement…
bof ! notre terre…)
sous nos pas
coule la bande roulante
et nos amours
on marche on marche on marche
et on reste toujours au même endroit.
c’est la vie…
pas de philosophie
dans les pas des soldats.
17/10, 23/12, 13, 23/01/1999
LES LOLITAS EN ATTAQUE
ay, ay, les petites
lolitas
avec leurs grands chenilles
ay, ay, les douces femmes
les grandes passions
quels bruits
(pour les fines oreilles…)
de ferrailles sur le pavé
leurs marches vers les grandes victoires
la grande marche
le grand timonier
que de tanks sur le pavé
ay, ay, ay lolites
la samba, le flamenco
c’est leur musique d’attaque
mardi, 2 février, 1999, 13:46
LES FRANGES DU TEMPS
effrayé par le temps
(qui coule coule coule -
minuit indifférent
survolant l’église
effondrement)
ce matin je ne bouge plus
je me souviens
sans mémoire
je me veux la pierre
qui ne court
qu’à l’intérieur d’elle même
et j’attends qu’il passe
et j’attends qu’il m’oublie
j’attends qu’il passe
sans me voir
12,19,20,23 /05 / 999
VARIATIONS SUR UNE SURFACE BLANCHE
1.
j’ai croisé les yeux
de la grande lune avec des longs cheveux blancs
le soir
elle est tombée
au dessus des collines
elle était gigantesque
avec sa face parfaitement ronde
un grand tampon argenté
sur du papier noir
éparpillés par le vent cosmique
ses longs cheveux blancs
des vertiges
j’étais triste
elle d’un autre monde
elle avait sa vie à elle
sa trajectoire respectable
comme humble humain
je pouvais faire n’importe quoi
2.
je l’ai rencontrée
en cette mémorable nuit de mars
la grande lune avec de longs cheveux blancs
c’était dans le cube de la folie
les mots emprisonnés observaient
le monde
à travers mes dents serrées
3.
l’amour
je ne comprends plus ce mot
cette rencontre est forte
elle explose dans mes yeux.
4.
cette nuit
elle passe chez moi
avec ses longs cheveux blancs
comme un balai
pour nettoyer la planète
5.
elle a ouvert ses jambes translucides
pour me serrer contre elle
je suis tombé dans l’abîme
6.
elle était folle elle était froide dans sa lumière
l’océan, les montagnes, le désert
y ont disparu.
7.
quelques caresses.
c’est tout.
4 mars, 1999 - 21 mars, 1999
QUAND ON PENSE…
on veut entrer sous
son auréole de bonheur
le petit garçon avec sa voix pure
en décrochant
qui est là qui es là
c’est dans ce moment-là qu’on naît
la petite épingle
il la portera sous sa peau
toute sa journée
un petit garçon attend d’entendre la voix de son père
je ne te téléphone plus
c’est le souvenir qui naît
qui monte de mon appareil muet
03/04 - 22/05/999
LES PASSANTS
le même trajet
toujours le même trajet
flâner sur les boulevards de ceinture
muets : leur mémoire est si lourde
que personne n’arrive à me parler
*
des fatigues
des lassitudes
des fatigues et des lassitudes
plus étincelantes que l’amour
*
on ne trouve plus de murs
pour tous les graffitis obscènes
*
la tache de rouille s’élargit
*
et la balade des longs silences
les longues astuces qui montent
qui couvrent le monde
*
ses bouts de doigts
ses talons
de fines touches qui effleurent
ma mémoire qui s’affole
*
entre l’homme et la femme
s’installe la transparence oxydée
les fleurs qu’on n’a pas offertes
tardives vengeances
*
toujours aussi seuls
que le seuil qu’on ne peut pas dépasser
10,20,22,23/05/999
PETIT POEME POUR UN LONG ADIEU, OU COMMENT ON PEUT PASSER AU-DELÀ SANS TROP DE BRUIT, OU…
ma tristesse
a explosé :
cri céleste
avec tous ses accessoires
12,19/05/999
UN WAGON ET AUTRES REVES
dans le train lancé vers le noir
je passe d’un wagon à l’autre
je glisse d’un rêve
en un autre rêve
chaque voiture avec ses personnages
(des odeurs, des respirations, des brumes de corps)
rêves insouciants de la première classe
des tristes rêves, dans la deuxième
des cauchemars aux prix les plus bas
(dans mes rêves je rate toujours le train
quand je veux aller voir mon amour de très loin -
mais ça c’est autre histoire)
bon, mon train prend de la vitesse
les grands virages sont de plus en plus virils
on dirait des vrais tournants de l’histoire
des longues ombres épouvantables
se jettent au-dessus
on ne sent plus le temps s’écouler
seulement les forts battement
d’un cœur de plus en plus amer
et comme ça on ne se rends pas compte
qu’on a dépassé le dernier wagon
en tombant on s’ouvre une fleur noire
sous la pollinisation de la neige
18,26/03 - 22,23/05/999
ON DIT
on dit : « son âme est lasse »
et c’est son âme
le nuage qui survole
les plaines et les montages
on dit : « son amour insensé »
et avec un sourire candide
on voit de là haut
les mouvements browniens
des humains
on dit : « il s’est empoisonné
avec sa douloureuse nostalgie »
mais la banale pluie tombe
comme elle l’a fait depuis des siècles
on dit… (et qu’est-ce qu’on ne dit pas… ?)
et pendant tout ce temps
les langues de l’horloge sont les ciseaux
qui coupent une à une
les ficelles
qui nous relient encore
à ce rivage
12,13,22,23/05/999
PAYSAGES
ancienne capitale, ma ville :
des églises partout.
les matins clairs
j’aime voir les croix
se projeter sur le ciel ;
quelqu’un a coché
avec du noir
sur l’immense feuille bleu
04/04 - 22,23/05/999
APPRIVOISER L’ERREUR
je me suis décidé à apprivoiser
l’erreur
me voilà dans la cage aux fauves
le courage d’un beau jour de printemps
dans mon corps élancé
je cherche là
ce qui a gâché ma vie
mes doutes mes incompréhensions
mes bla bla bla
les belles femmes sur les terrasses tranquilles
je cherche, parbleu
mais rien, rien du tout
personne là, personne
sur le bout de la langue
bifurquée
du petit lézard vert
le monde
petit lézard
dans l’écuelle
de ma grand-mère
18-23-23-26/05/999
Il Y A…
il y a quelque chose
là-dedans
il faut qu’il y ait
quelque chose là-dedans
les rameaux de tous les arbres
de ce pays
pleurent
c’est une hémorragie de vie
qui tombe sur la terre
sur le cri du seul oiseau
survivant
on enfile des promesses multicolores
et j’attends toujours ce quelque chose
comme un son pur
j’attends un signe cristallin
dans tout cet amas de merde
(on se fait des illusions bien sûr
illusion, sang évanescent
des rêveurs)
dimanche, 6 juin, 1999
LES BAS-RELIEFS
je sens trop de gris autour de moi
les profils de ceux que je vois
que j’entends que je lis
des bas-reliefs
dans les plaques de plomb
de tous ces sarcophages
dimanche, 6 juin, 1999
CHACUN AVEC…
chacun avec son ridicule demain
masque cloué sur le visage de la mort
chaque jour
depuis le matin jusqu’au coucher
une marée de clowns
se jette sur nous
moi un clown aussi
toi aussi un clown,
mon lecteur, mon semblable…
dimanche, 6 juin, 1999
QUELQUEFOIS
quelquefois
on se sent si seul
que l’air commence soudain
à frémir
(seulement dans les grands
moment de l’histoire
on a connu ce froid
dans un terrible mouvement)
les feuilles de glace
de toute cette cristalline
immensité
quel bruit quand ça commence à bouger.
*
les adolescents
s’embrassent dans les rues
leur bonheur éphémère
les fait flotter au dessus de la terre
*
le cœur compte
à coups de marteau
l’histoire des amours
*
j’ai toujours espéré qu’au-delà
des miroirs menteurs
on trouvera la face pure
de la vérité.
je casse, je casse,
toujours avide
*
au delà on ne trouve
que du noir poussiéreux.
samedi, 17 avril, 1999
LE CŒUR DE MON COEUR
à Laura
à la gauche
de mon cœur
c’est le cœur de mon cœur
mon cœur est comme la pierre
mais le cœur de mon cœur
tremble souffre plein d’angoisse
chacun voit mon cœur.
pas même toi ne remarques
les tremblements vulnérables du cœur de mon cœur…
16/08/99 - 29/08/99
UNE GOUTTE DE SANG
et les larges espaces
de l’imagination
épinglés
par une goutte de sang
ce qu’on dit, ce qu’on pense
les édifices mirobolants des concepts
la fantaisie
ça suffit pour que ce cosmos s’évapore :
une goutte de sang
goutte à goutte :
rubis,
chaleur,
battements de son cœur
rien plus haut que ça.
rouge. rien ne va plus.
4 mars, 1999 / 15:53
JOUR D’ÉTÉ (1)
à Laura
elle est si jeune
elle est si belle.
mon oeil est peureux
elle se dit
(je le sais)
qu’elle a toute la vie
devant elle
non, on a toujours sa vie en arrière
de merveilleux
ballons de savon
au sommet de ma vue
mes regards si aigus
tous percés
je l’ai toute sur ma langue
y a-t-il quelqu’un
là haut
qui parle d’amour?
16/08/99 - 29/08/99