Notes de...
Matthieu Lorin
Souvenir de lecture
à Jim Harrison
Je me souviens de ces matins bleus comme un naevus, de mes entrailles en barbelés et de mes avis sur tout. Depuis la fenêtre, je charriais l’air comme des brouettes et les décisions que je prenais n’engendraient même pas le griffonnage d’un bout de papier.
Je me souviens de l’appétit que j’avais en découvrant ces nuages au fond de l’assiette - nous mangions dehors à cette époque – et l’eau me paraissait salée. Le parasol jouait son numéro de derviche sous nos yeux disciplinés et mon cœur l’accompagnait d’entrechats secrets.
Je me souviens de ces jours humides -nous ne mangions plus à l’extérieur – où, allongé en plein jour, j’engageais avec la page un combat à l’issue incertaine.
Mais je ne me souviens plus de mes chagrins d’enfance, de mes rêves qui s’envolaient avec la même lourdeur qu’une punaise diabolique, et de mes lectures d’alors. Quelles furent les transitions, les terminaisons nerveuses qui m’amenèrent jusqu’à Jim Harrison dont j’ai acheté le livre aujourd’hui ?
Oubliées…
L’extrait
« En attendant, soixante-quatorze années d’oiseaux
ont passé. Bien sûr la plupart ont disparu
et je ne devrais pas me plaindre de rejoindre
la fin de tout. J’ai autrefois vu un oiseau tomber mort
d’un arbre. Je l’ai touché, étonné par
la légèreté de ses plumes, qui lui permet de voler.
Je l’ai enterré, là où pas plus que nous
il ne devrait reposer. Les oiseaux morts devraient être
des monuments à jamais suspendus dans l’air. »
Jim Harrison, « Soixante-quatorze », La Position du mort flottant, éditions Héros-limite, traduction de Brice Matthieussent