poètes de service
Clément Gustin
Je suis né en 1992 à Nancy, j’ai fait des études de lettres et divers petits métiers. J’ai participé à la dernière biennale des poètes en Val-de-Marne organisée par Francis Combe en 2017, et contribué sous mon nom ou divers pseudonymes à la revue littéraire Le Sabot.
Je tiens également un blog personnel à cette adresse : https://clementgustin.substack.com
(1)
Les multitudes en partance fusent
à la recherche des domaines et zones,
Terminus rêvés, stations propices au ciel incolore :
le mouvement était tout (chaque élan exaucé)
Sur la terre quadrillée
Les tribus s’échangeaient à vive allure
à la façon des capitaux indifférents aux siècles
Latitudes bandées vers les ports triomphaux — souveraines chapelles
des trafics et des rapts
Coordonnées & fuseaux en perdition migrent :
chacun happé vers la marge qui le somme
(plateformes, refuges, climats ou rivages)
D’un même transit énervé fonce
vers les détroits et les isthmes —
Ô temps d’exodes ! Ô streams du bout du monde et gyres !
— Selon les odes, les étendards et les bouviers,
par la terre quadrillée : le mouvement était tout.
(2)
Peut-être alors le panopticon nous rendra-t-il vraiment heureux et bons
(c’était quelquefois comme un doute qui le prenait)
Le bon sauvage tant fantasmé des philosophes
enfin debout ravi qui se déplace au cœur
de la citadelle interactive et propre
Prairies de miel au bout des ongles —
une sensation d’euphorie connectée au pigment-lumen ;
Des routes larges, entrelacs
doux aux véhicules autonomes ;
La réserve nous y
Déambulons en souriant glabres et apaisés d’une alvéole à l’autre
sous le regard maternel de la régie centrale,
Et chacun de nos gestes est parfait :
Tous nos comportements sont d’une belle sérénité sans peine ou remord
Disons des cartographies pour chaque humeur et des plans
millimétrés à la conquête de tes songes —
(On jouera sur tes nerfs des mélodies à quatre temps)
accords refrains pop
« et cueille un à un les fruits, bon sauvage »
(Ces sont les résultats des Hauts Vergers calibrés d’interactions)
Son désir était formulé
dans le creux d’un calcul —
Et maintenant chacun de nos gestes est parfait :
Tous nos comportements sont d’une sage mesure sans douleur ni passion
(3)
Elle s’érigeait verticale et sauvage
dressée comme un volcan d’acier —
pierres et places profondes
criblées de trajectoires hâtives
Animaux assoupis les monuments stoïques surveillent
l’étendue des bosquets vitreux flanqués de rives solides
Franchissant des parcelles sous l’œil mort des hublots
— On aménage ici, vois-tu
l’almanach des bâtisses avec avant-gardisme
Le chantier bouge
pour qu’y saille mieux la vitesse,
la ville pue souvent
malgré son cubisme orgueilleux
Les gens commercent
dans des vallons de bitumes bleus
qui se déplacent
On aménage, tu sais
l’on creuse —
coupe scinde réunit
les ruines ravaudées —
tunnels et seuils,
des quartiers se transforment
Confins et configurations
elle s’érigeait, vois-tu, verticale et sauvage
pareille à une forteresse agitée —
Un large origami de bronze, scindé d’axes
où transitaient les centuries nomades…
(4)
Automation des mouvements —
masses aux aguets dans le dédale,
Synchrones dans l’attente
d’un devenir indiscernable
(mais l’instant qui nous maintient
dans son étreinte
fait fi de toute projection)
— reste
que reste ?
quoi reste ?
L’allant-vers, mais sans havre
l’errant dans l’errance insatiable —
(flux et reflux se nouent encore
Ô berceau des turpitudes… nodalité de coercition !)
Nous nous mettons à rechercher nos sensations
comme un courant perdu en quête de ses rives
Et moi aussi, pensais-je alors
j’aurais vécu dans ce présent optimal —
sur les berges désertées
à la recherche de l’alètheia
(la cendre des étoiles vaquant
dans le vin étourdissant
de l’au-delà)
Et c’étaient ces mêmes cargos pleins
ce même trafic
des esplanades alambiquées
où la foule ignorait la foule,
où le destin vous serrait la poigne
un billet à la main.
(5)
Les poumons pleins des phéromones
du grand archipel entropique
— où d’ilot en ilot immédiat nous commentons
les effluves réactifs,
J’aboie ma lunaison
dans le cercle des hommes,
Je renifle les mégots du sacré
tombés sur le trottoir —
Tout bouge roule doux sous le chiffre d’or
(et ma solitude est la plus pure
quand vous vous approchez de moi)
Dernier venu de l’Occident hollywood-caniveau : vacarme,
épaves idoles trônes, et des nuées
dans la nuit auréolée d’argent et d’ennui
Castes mêlées dans le ventre urbain
en quête de signaux lumineux
— ce sont d’inénarrables points de fuite,
délimités par un demi point de croissance —
*
Persistance rétinienne
impression de déjà-vu
(Une vague lueur bleue
diluée dans l’atmosphère)
Et tu me disais ce soir-là :
« un jour ils sauront
ce qu’ils voient,
Ils verront
ce qu’ils sentent —
Ils sentiront ce qu’ils savent… »
(À mi chemin de la vie
à mi chemin du sommeil
Monte en moi le souvenir
comme monte le soleil)
Et tu me disais ce soir-là :
« combien furent-ils
sourds au tocsin de la discorde
à monnayer leurs dernières années ? »
Quand tout bouge roule doux sous le chiffre d’or
(il y a comme un bruit de fond analogique
au bout d’une chambre d’écho noire)
Tu me disais :
« je tente en vain de dormir
en regardant le plafond —
la pluie frappe
à ma fenêtre éclaboussée de néons. »
Clément Gustin