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La revue n° 45 Le billet de Constantin Pricop

Le billet de Constantin Pricop

PAPIER OU NUMÉRIQUE

 

On est en train de changer le support de l’écriture. On renonce de plus en plus au papier pour la transmission électronique de l’écriture. Les supports des œuvres littéraires changent donc aussi.
Depuis quelques années déjà un débat a lieu dans les media. C’est normal que ceux qui sont impliqués dans la vie littéraire s’interrogent aussi sur les conséquences d’un tel changement. Y-a-t-il une liaison essentielle entre l’échange du support  qui porte et conserve l’œuvre, et la substance intime de celle-ci? Autrement dit, le fait qu’une œuvre littéraire est publiée sur papier ou dans un fichier numérique change-t-il la nature de l’œuvre…?
Une réponse superficielle dirait tout de suite que oui. L’écran du calculateur n’est pas la même chose que le livre papier. Même le kindle, qui veut imiter de plus près le papier, n’a rien à voir avec le livre… cellulosique….
Ces choses étant dites, une observation s’impose. La discussion est déjà longue, les adversaires invoquent les mêmes arguments et la situation s’alimente d’elle-même, sans des éclairages nécessaires. Le livre numérique s’impose, pas si rapidement mais sa réalité ne peut pas être ignorée. Dans ce moment, on a deux sortes de supports pour la littérature: le traditionnel, en cellulose, l’actuel, en numérique… Et la confrontation entre les partisans de l’un ou de l’autre devient plutôt… sentimentaloïde : on discute comment les livres papier restent dans notre vie comme objets-souvenirs, comment on peut… sentir le papier sous les papilles des doigts, comment l’odeur de la cellulose accompagne la lecture, etc.
Bon, mais tout ca n’a rien à faire avec la question! Ca ne dit rien sur la structure du roman ou du poème. En fin de compte l’écrivain n’écrit pas pour que quelqu’un sente le papier du livre sous les doigts, son odeur etc. L’œuvre littéraire est autre chose. A vrai dire les œuvres littéraires n’ont rien à faire avec le matériel du support. La littérature est elle-même une chose virtuelle, immatérielle, l’œuvre est ce qu’on imagine en interprétant les signes marqués sur du papier ou sur un autre matériel. L’essence de l’œuvre de fiction est en fin du compte un acte d’imagination – c’est pourquoi chacun a sa propre œuvre – grâce a sa propre sensibilité et éducation – et pas à cause du fait qu’elle est écrite sur papier ou sur un écran…
Bien sûr, si on veut rester dans l’anecdotique on peut invoquer aussi d’autres changements historiques. Autrefois on écrivait sur du granit. Ce n’est pas possible de s’imaginer un roman écrit sur des dalles… On a écrit aussi sur du papyrus – très fragile et manié sous la forme des rouleaux. Il ne faut pas oublier aussi les parchemins – des animaux sacrifiés pour donner de la matière première aux scribouillards, qui ont favorisé le raclage du vieux écrit pour le couvrir de mots encore une fois. Eux aussi étant conservés dans des rouleaux. Le livre actuel, le volumen est employé plus tard.  Mais tous ces changements ont défini les conditions de circulation des œuvres – pas l’œuvre en son essence.


Ce que changea l’introduction du numérique c’est l’essence de la vie littéraire, la diffusion des livres, les droits d’auteurs et tout ce qui découle de là. Dans cette direction les modifications seront fortes et profondes. Je ne veux pas parler en plus de la signification d’élargissement du champ culturel par l’introduction d’internet. Par ce biais – le monde littéraire – on peut s’attendre à des changements de la substance de l’œuvre littéraire. C’est une sagace interprétation de l’influence des échanges sociaux sur la littérature faite par Pavel Medvedev de l’école de Bakhtine. Dans ce sens on peut s’attendre à des modifications réelles. Mais c’est hasardeux de faire des prévisions. Macluhan a prévu que la société future sera conduite par l’oralité – grâce a l’audience de la télévision et de la radio. Mais l’internet a fait une grande place à l’écrit aussi… On va voir…

 

Constantin Pricop