poète de service
Antoine Janot
Antoine Janot est un jeune auteur né en 1988, réalisateur de documentaires et de fictions (courts et longs métrages), dont « Berceuse pour dix-sept gratte-ciels, 192 immeubles et 13851 habitants », « Les êtres du brouillard », écrivain (roman, poésie, essai), dont « Histoires courtes », « Le croque neige », « Le cinéma est-il devenu muet? », photographe et peintre habitant à Paris.
Antoine Janot est mince, il présente en photo le visage de la jeunesse, et si on se penche sous son visage, on peut remarquer une pomme d’Adam saillante, à cause d’une mandarine avalée de travers. Antoine Janot exprime une pensée sensible comme l’eau libre et souple, alliant humour et panache ainsi que le montrent les textes qui suivent…On reconnait le talent du peintre particulièrement dans son texte « Bord de mer qui s’effrite », ou du peintre et du poète comme dans « Le port du dimanche », ou simplement, tout cela à la fois, de l’homme spirituel : « Ile bretonne ».
Ce qu’Antoine Janot entreprend de conter est sonore, intéressant, plein de charme, dans la veine des auteurs prometteurs. Nous aurons l’occasion d’approfondir encore sa lecture dans notre prochain numéro de La Page Blanche.
Pierre Lamarque
HISTOIRES COURTES
EXtraits
Phare
Le phare avait trois antennes. Elles étaient longues, elles étaient fines, elles se tortillaient dans les airs à plus de 30 mètres au-dessus de la mer. La mer, elle, était plate mais très grosse.
Les antennes ondulaient en tous sens à la recherche d’informations, même si parfois elles tournaient en rond. Le phare était à rayures horizontales, blanches et bleues; de sorte que par ciel clair on ne voyait plus que des rayures blanches qui s’élevaient dans les airs. Tout en haut les antennes, toujours, qui gesticulaient en cherchant un bateau à sauver. Et quand elles l’apercevaient, du bout de leur antenne, elles s’allumaient enfin. Car chacun de ces trois longs fils métalliques possédait à son extrémité une ampoule, pas bien grosse mais tout de même. La nuit, ça faisait trois petites étoiles qui s’égosillaient dans le ciel. Trois points de suspension qui hésitent dans le noir.
Dexter
Elle était noire
La cinquantaine
La perruque blonde
La fourrure en lièvre
Les talons hauts
Et quand elle écartait ses cuisses en treillis
Son sexe pendait.
Elle était attablée au Baiser Salé.
C’était l’hiver et dans son verre,
Une bière et beaucoup de glaçons.
Il était trois heures de la nuit.
Avec son accent de la bourgeoisie,
Elle s’habillait comme une pute pour provoquer,
Ça la faisait marrer.
Elle me parla des banlieusards
Et des noirs qu’elle n’aimait pas,
De son one-man-show et de sa tournée,
Que dans quelques jours elle partait,
Des stars de télé qui l’attendaient.
Quand mon ami qui la connaissait arriva
Il me dit tout bas qu’elle était prostituée.
Ambition
Elle attendait là sur la terrasse,
Un client ou une parole de client.
Elle attendait là que 4 heures sonnent.
Elle n’aimait peut-être ni le jazz ni les clubs,
Mais elle travaillait là.
Et parmi tous les mots qui existent,
Elle me donna celui-là.
Ambition, ça sonne comme une petite révolution.
De quoi rêve-t-on à cette heure-ci ?
Je l’imagine danseuse ou chanteuse,
Certainement amoureuse.
Je l’imagine très ailleurs
Très loin d’un ici au réel tapageur
Très près de là-bas qu’elle rêve avec vigueur.
Elle était noire,
Et le noir lui allait bien.
Elle sentait la gentillesse et l’élégante
Elle devait avoir l’ambition souriante
De celle qui n’écrase personne
D’une idée de bonheur à sa hauteur,
Tout en douceur.
Le SDF
Il dormait allongé sur le trottoir,
Les mains croisées, les yeux fermés vers le ciel.
Avec son sac de couchage rouge et gris,
Il dormait sur des grilles qui fumaient.
Une chaleur blanche s’évaporait.
Dans les rues de Paris,
On aurait dit qu’un homme tranquillement brûlait,
Les mains croisées, les yeux fermés.
Une clémentine
Elle était devenue orange quand je l’avais prise dans mes mains, elle était si petite qu’elle ressemblait à un gros œil. J’avais attendu toute la journée pour la manger : le dîner, le goûter, le déjeuner, le tout-petit-déjeuner. Enfin, on était la nuit et j’allais pouvoir la goûter.
C’était une clémentine qui avait voyagé, elle avait fait le tour de ma journée. Je n’osais pas l’éplucher, elle était si mignonne.
Je n’osais pas la croquer, j’étais encore mioche. Alors je l’ai gobée.
Elle resta coincée dans ma gorge. Aujourd’hui encore on croit que c’est ma pomme d’Adam, alors que ce n’est qu’une clémentine.
Le port du dimanche
Il y en avait beaucoup des bateaux
Qui attendaient l’hiver aux pieds de la mer.
Une centaine de doigts de pied sales et bancals,
Le bois crasseux de paresse,
Le mât tendu vers le ciel en nuages.
Et plus on se rapprochait de la côte,
Plus les coques se coloraient.
Tous échoués, l’eau les avait quittés.
Les bateaux étaient plantés dans le sable gris,
Accoudés à la plage comme des ivrognes
Seulement rassasiés par un peu de pluie.
Bord de mer qui s’effrite
À l'horizon, le sable s'évapore.
Ciel d’un gris moins granulé que la baie.
À marée basse, le sable est enneigé,
Le ciel se fond dans les reflets,
Et tout y est emmêlé.
On aurait dit qu’un brouillard s’était cassé la gueule sur la plage
Et qu’il n’en reste que des miettes
Pour les mouettes.
Hôtel des Agapanthes
Vue sur mer ou vue sur cimetière,
On avait le choix.
En raison d’un budget limité,
On n’avait pas vraiment le choix.
Notre chambre regardait les morts qui faisaient petite foule.
Les croix se pressaient les unes contre les autres avec tendresse.
On resta une journée de plus.
L’embarcadère
La mer avait minci, découvrant sa peau rocheuse et granuleuse
La jetée, comme une veine qui sortait,
Serpentait dans la rocaille d’un rose pâle
Y avait des huîtres comme des grains de beauté
Qui s’accrochaient à ce qu’ils pouvaient
Le ferry est là
Les voyageurs coulent dans la veine pour y arriver
On y va, la mer a froid.
Île bretonne
Il y avait des nuages dans l’eau,
C’était presque beau.
Un paysage de carte postale
Qu’on est heureux de découvrir ailleurs que dans le téléviseur.
Il n’y a pas grand-chose à raconter
Parce qu’en soi le paysage n’a rien de particulier
Sinon qu’on était en basse saison
Et qu’à cette période-là
On n’attend pas de carte postale.
Le collectif des cons
Le collectif des cons était composé de cinq amis soudés par l’ignorance. Ils parlaient beaucoup, riaient beaucoup, parlaient fort, riaient fort, et tout ça sans effort.
Ils passaient leur temps à se demander pourquoi les autres étaient aussi cons. C’était une question compliquée, admettaient-ils volontiers. Puis, fatigués d’avoir pensé, chacun s’en allait rentrer dans sa maison de con, qu’on repère facilement car exactement identique à toutes les autres maisons.
Le con arrive à maturité vers 30 ans
Même si parfois c’est beaucoup plus long.
La connerie exige une absence de curiosité telle
Qu’elle n’existe pas à l’état naturel.
On devient pas con comme ça,
Faut faire tout un travail sur soi.
Ça demande du temps, faut être patient.
Le con ne regrette jamais rien.
Il dit que c’est la vie, c’est comme ça, qu’il faut avancer.
C’est la vie, répète souvent le con,
Et répète encore plus encore,
Le collectif de cons.
Antoine Janot
Extraits de Histoires courtes
Editions L’Harmattan