Séquences
Jo Pastry
NATURE
Par la fenêtre de la maison chaude comme un abri
la masse invisible d’une tempête troue, déchire
arrache toits et branches fracturées.
Dans la maison chaude une femme sourit à l’homme qui dort.
Elle lui tend ses bras sans parler,
comme se dit je t’aime
Leur cercle forme la margelle
et dans l’autre corps une source
et se mêlent les eaux des amours.
Les volets claquent, claquent
suffoque le reste du monde.
FIN D’UN MILLÉNAIRE
Il suffira de trois minutes
pour un flot rouge.
L’horizon pâlira.
Ce sera l’heure de partir.
Les étoiles reprendront
leur place dans la nuit.
PRINTEMPS
Une hirondelle au vol pressé
bouscula jadis un nuage de lait
puis disparut, évaporée
dans la rosée de l’arrosoir
presque noir
que Vénus balançait.
J’imagine le fin flacon en mille morceaux:
il pleut des notes de musique
et l’envie de chanter.
Et je médite, caché dans l’épaisse forêt
sous le feuillage tremblant de l’ arbre
où se pose mon hirondelle.
J’ÉTAIS FIER
J’étais fier, fier de mon équilibre,
à me saouler d’écumes sur la vague
qu’un geste machinal disloqua.
L’air égaré, loin de mon lit triste j’errai, et glissai
les mains sur le carreau glacé, embué, devant moi.
Ensuite ? L’estomac ensanglanté, assis sur un cratère,
l’index branché sur la dernière guerre,
j’échouai sur un banc de bitume.
LA MENDIANTE
Je croule sous le poids de mensonges en hautes piles dans ma mémoire
qui comme Dieu existent sans l’avoir mérité.
Je réclame encore l’amour. Il est venu et reviendra.
Je ne sais pas pourquoi mais c’est comme ça.
Vite, vite, je cours vite car le bonheur moqueur est là
dans le pré.
Les genoux couronnés je suis tombé près d’une femme baillant sur le pavé,
une mendiante couverte de diamants, poétesse sans doute.
Elle disait
Hier, m’en allant promener, j’entends le bruit venant du pré,
une mine, une mine d’argent, monsieur le Président
et le petit enfant courait, sautillait
dans le ciel, sous un peu de soleil gaspillé.
LETTRE O
Pas de consolation, pas possible, agonise le vieillard.
Un grillon en forme de saxo, heureusement ça existe
mais l’orage l’écrase d’un éclair,
pas grave, pas grave tout ça,
on s’en moque, on est allé au lit, on dort.
Un petit garçon court autour de l’arbre et dans l’arbre un lion s’est réfugié.
L’enfant court vite – comme dans un accéléré – si vite qu’il fond dans le sable.
Ne reste sur le tableau noir que le cercle autour de la craie.
Demain nous irons à la lettre U.
ESQUISSE EN ROUGE
Au fond, de la dentelle bleue, bleu pâle,
à côté de l’érable fluo qui passe en sifflotant,
d’un yucca, hampe blanche délayée au fusain d’algues, miroir sombre,
d’une compagnie de roses affalées dans l’herbe enfuie partout.
Guette la haie pleine d’acné avec ses menottes
Et l’araigne rince la fenêtre rouge,
aussi rouge que la tomate sur le gravier depuis des lustres.
Une touffe de sauge mauve.
OH ! UN AUTRE
Maître, comptez jusqu’à cinq
Bravo ! votre langue pour un bonbon.
Une colombe s’échappe de vos yeux.
A nous deux princesse à la mode,
Que daignent vos doigts de miel s’appuyer
sur mes doigts et grimpons.
Oh ! le flamant rose se pose
tout petit qui picore de la moustache
Oh ! un autre et trois et quatre et
APPARTENIR
Appartenir, verbe rouge
Nul n’appartient et nul ne s’appartient.
Je me sens être image froissée
d’humain.
***
Le temps de m’arrêter en chemin
pour faire voler un caillou
me voilà caillou
TU DANSAIS
Je t’ai vu danser hier à la fête de la musique.
Il pleuvait, tu t’inclinais comme un éléphant
d’un pied sur l’autre. Tu paraissais absorbé
dans quelque pensée. La pluie tombait,
Tout n’était qu’une question d’ombres.
Jo Pastry
(Extraits de Grains, plumes, poils, etc.)