Constantin Pricop / Simple poème
LA POUSSIERE / 2000
C’ÉTAIT LA SAISON
c’était la saison
de la dernière hirondelle
(hélas, je me rends compte
que les hirondelles ont disparu
depuis longtemps de la poésie...)
adolescent
j’écoutais les Rolling stones
c’était à Suceava,
ville de Roumanie,
dans les jardin de...
(non, aucun jardin,
c’était dans un appartement d’un
H. L. M. comme tant d’autres)
un ville au nord du pays
(Tomis, l’endroit où a été exilé Ovide,
parmi les Scythes, c’est au sud...)
c’était donc à Suceava
quand j’ai compris
j’ai vu les nuages
placés à l’envers
la part qu’il faudrait orientée vers le soleil
tournée vers la terre
la surface reflétée sur la terre
orientée vers le soleil
et ce miroir métallique
qui nous montre
les anges
et cette musique
qui transperce nos tympans
ces nuages métalliques
qui volent à l’envers...
29 mai 2000
(JE VEUX VOUS EXPOSER MON CŒUR)
je veux vous exposer mon cœur
je veux le prendre
dans mes mains
pour faire d’elle un cierge
gloire à la lumière
comme dans le récit
de Maxim Gorki
lu dans mon enfance
(«â€¯ Le cœur de Danko »,
si je me souviens bien...)
mais tout est déjà tassé
entre-absorbé
marais sans fond
moi-même voilà
pendant que je vous parle
de mon cœur
mon oreille reçoit
des sons d’au-delà
ils me captent
je pars...
(TRÈS ATTENTIF)
très attentif
dans l’un de ces fugitifs moments
où tout devient lumière
on entend dans les mots
les plus familiers
un foisonnement pernicieux de sable
les bouches détruisent
plus qu’elles ne réussissent à dire
il me dit, il ne me dit pas
il me demande toujours
ce qu’ils ont tu...
(A WHITER SHADE OF PALE)
a whiter shade of pale
une nuance trouble
dans l’air de ce printemps incertain
dans mes hésitations
je vois l’enfant
dans son sommeil
si vrai
si profond
on entend des bruits
très fins
cet après-midi
la place du centre ville
est plus vide que jamais
le mal la famine
font des tourbillons
qui soulèvent la poussière
les contours des objets
se pelotonnent
je veux me poser des questions sur la morale
mais nous sommes absorbés
trahis par notre histoire...
la feuille sèche
oubliée sur sa branche
a tremblé.
mais seulement de très peu...
(LES JOURNÉES PASSENT D’ELLES-MÊMES)
les journées passent d’elles-mêmes
quelque fois
je me trouve
au bord du temps
la fuite est douce là-bas
des petites barques en papier
qui peut écrire
tous ces feuilles?
le jour de gloire est...
mais je ne suis pas capable
de m’émouvoir
je les regarde comme ca
comme simples
morceaux de papier
portés par de l’eau
c’est tout, point
qui veut chanter, peut le faire
pas de problème
NATURE INDIFFÉRENTE
et pourquoi la folie
ne serait-elle pas
un simple dispositif
pour faire monter les persiennes?
et pourquoi le bonheur
ne serait-il pas le tramway
qui fait du bruit
sous ma fenêtre?
et pourquoi la dépression
ne serait-elle pas le vent
qui commence à envahir
les arbres?
et pourquoi l’amour
ne serait-il pas la gare
où il faut que je m’en aille
dans quelques minutes?
et pourquoi la mort
ne serait-elle pas
ce robinet
qui dégouline sans vergogne?
et pourquoi moi
ne serais-je pas cette plaine sans bords
avec cette poussière en tourbillons ?
(ELLE EST SI LOIN -)
elle est si loin -
avec cette distance
je pourrais acheter toute la terre
*
je les vois dans mon imagination:
elle, son petit, moi
tous les trois au bord
du lac
du jardin botanique;
l’enfant est très très attentif
comme si quelque chose
était sur le point de faire surface
quelque chose d’inattendu
*
je lui fais un petit dessin
(c’est la seule langue
qu’il peut maintenant lire)
je vois les lignes de mon dessin
se détacher de la feuille de papier
prendre consistance
devenir grillage
barrage au bord de la distance
LA PIE
dans chacun, enterré
l’enfant qu’on a voulu
qu’il fût
*
je ne peux pas penser la pensée:
le présent pèse chaque fois
plus que l’abîme
*
dans l’escalier
j’ai croisé quelqu’un
de trop jeune
ou de trop vieux
*
la logique des imbéciles
c’est si printanier...
*
aussi bizarre - que la mise en abîme
*
mon ami le peintre me raconte
chaque fois un tableau;
j’ouvre la fenêtre et
chaque fois je redécouvre devant elle le mur
*
tant pis me dit la pie
tant pis?
tant pis
*
les rolling stones chantent toujours
comme chante mon enfance
*
dans chacun, enterré...
etc.
JE SUIS LÀ
je suis là
pour marcher
pour boire
pour...?
mon père est
parti, voilà, il y a déjà trente ans
je me souviens encore de lui
si bien si bien
il n’a pas vécu que pour ça ?
l’ancienne poésie a tué le cygne
le monde est un cerne
j’entre dans ce cercle noir
LES FEUILLES MORTES…
les feuilles mortes
griffonnent l’air autour de l’arbre
le sable de la clepsydre
rêve du soleil
qui se lève sur la plage
le cerveau devient plus paisible
les jours de fête plus stupides
la respirations moins courageuse
l’amour plus désespéré?
les nuages sont les navires
qui partent très loin
et ça suffit?
(L’OISEAU)
l’oiseau
a si longtemps volé:
a consommé tout l’espace
elle a bâti son nid
dans l’air
là rien ne tombe
tout est chute...
(ASSEZ TARD)
assez tard
j’ai découvert
que
dans certain moment
de la journée
les choses ont
les yeux grands ouverts
à ce moment là
elles absorbent avidement
les images du monde
le monde ouvert
des feuilles, des images
on voit passer
seulement
des petites mouches
translucides...
LA MÉLANCOLIE COMME PRODUIT CHIMIQUE
les objets domestiques
avalent nos habitudes
(et la tendresse, et la tendresse?)
je vois l’aiguille
l’appareil
l’oscillation
(stupide: être tué par la porte de son imaginaire...)
mélancolie, produit chimique!
comme un foulard trop long
comme la morte pleine de papillons
comme comme comme
(comme sans fin...)
(LES NUITS)
les nuits
comme les fautes
d’orthographe
faire les achats dans un
self-service
de Tomis
(Ovide d’antan exilé là...)
la Mer Noire
s’ouvre
pour montrer le septentrion
le froid
les barbares
les mélancolies de jadis
la langue d’une cloche
muette...
LES FEMMES
elles deviennent
des canevas.
et on y tisse
des fantasmes
sans trop parler...
LA BRISE DE MA SAISON
le verre le plastique le métal
font rêver mes doigts
l’aspérité de l’écorce
des arbres
il y a un haras de
chevaux qui courent
sans se soucier de
ton existence
il y a les grands plaines
la liberté
l’instinct des vagabonds
et voici venir le soir
les variations de Bach
les gros nuages
la nuit
LA VITRE CASSÉE
le vitre s’est cassée
ineffable bordure
entre le dedans
et le dehors
les minuscules pièces
transpercent la chair
le jour meurt quand même
aux persiennes de mes fenêtres
le goût - entre chien et loup
(POUSSER DE QUELQUES MILLIMÈTRES)
pousser de quelques millimètres
l’objet à côté de toi
quel mouvement terrible
quelle tragédie
dans le monde des atomes
des milliards de particules
qui ont changé pour toujours
de destin
des avalanches de corpuscules
qui étouffent d’autres entités
et toi, pauvre poète
capable de penser
seulement à ta tristesse...
ON A SURVÉCU
on a héroïquement survécu
à la seconde passée
c’était peut-être la pire
du monde
c’était peut-être
le plus mauvais instant
de ma vie
peut-être
(et ça c’est quoi  ?)
on a quand même survécu
allons, allons...
(JE ME SUIS RÉVEILLÉ SI TÔT)
je me suis réveillé si tôt
ce matin
que les premiers femmes
que j’ai croisées
étaient plutôt vulgaires
la lumière ascendante
est sale
je vois un mur graisseux
que jusqu’à maintenant
je n’avais pas observé
c’est pas si simple d’avancer
le météo
est toujours improbable