La
page
blanche

La revue n° 42 poètes du monde

poètes du monde

Franz Kafka

Tout oublier. Ouvrir la fenêtre. Vider la chambre. Elle est traversée par le vent. On ne voit que le vide, on cherche dans tous les coins et l’on ne se trouve pas.





Prends-moi dans tes bras, c’est l’abîme, accueille-moi dans l’abîme, si tu refuses maintenant, fais-le plus tard.





Allons, ouvre-toi. Que l’être humain sorte.
Aspire l’air et le silence.





Confusion des fontaines à Gerar. Répétition d’un vers.





Un peu de chant au-dessous de moi, quelques portes qui claquent dans le corridor, et tout est perdu.





Coup d’œil sur la tour et le ciel bleu. Sans mouvement.





Chagrin de Max. Je me promène avec lui. Il part mardi.





Passé tout ce temps au lit. Hier Ou bien… Ou bien.





A la gare de Wintherthur, vagabond qui chante, il a une petite canne et une main dans la poche de son pantalon.





Carlotta-Jlex. Chêne vert ; peau de petits animaux écorchés. Passiflore : tour de physique avec le balancier. Bambou. Troncs de palmiers enveloppés dans des scalps de vieillards. Bux (myrte). Aloès (doubles scies). Cèdre (un mélèze au milieu du jet de ses branches), clochettes qui pendent mollement, fatiguées d’avoir sonné (fuchsias), jubé. Platane. Cactées. Magnolias (feuilles qui ne se déchirent pas). Fougères d’Australie (palmiers). Laurier délicat. Rhododendron en forme de coupole. Eucalyptus : tronc musculeux et dénudé. Citrons. Papyrus : manche triangulaire au sommet en forme de jonc. Glycine qui s’enroule autour d’elle-même, platanes géants. Bananiers.





D’abord noter une pensée, puis la lire à haute voix, ne pas l’écrire en la lisant, puisque seul peut réussir l’élan qu’on accomplit intérieurement, tandis que ce qui reste à écrire se détache.





Il est impardonnable de voyager – et même de vivre – sans prendre de notes. Sans cela, le sentiment mortel de l’écoulement uniforme des jours est impossible à supporter.






19 juillet
 
 
Rêve et pleure, pauvre race
Tu ne trouves pas le chemin, tu l’as perdu
Hélas! est ton bonsoir,
Hélas! ton bonjour.
 
Je ne veux rien, rien que m’arracher
Aux mains qui se tendent
Pour emporter dans l’abîme
Mon corps évanoui.
Je tombe pesemment dans des mains bien préparées.
 
Résonnant dans l’espace lointain des montagnes,
L’écho de paroles lentes. Nous écoutions.
 
Le corps, hélas, ils le portaient, larves d’enfer,
Grimaces voilées, étroitement serré contre eux.
 
Un long cortège,
Long cortège porte l’être inachevé.


Franz Kafka
Extraits de Journal et notes de voyage
traduction Marthe Robert - Le livre de poche