Le dépôt
Historique des critiques du comité de lecture de la revue lpb
10 Février 2024
Bonjour à tous et merci pour vos retours sur ce texte écrit par Ellis Dickson. A lecture, les avis vont globalement dans la même direction. De bons poèmes, des facilités parfois. Je propose de retenir les deux poèmes du milieu, le 2 et le 3 donc, pour en faire une courte séquence.
Amitiés, et encore merci pour vos avis. Ils sont souvent complets et précis, les auteurs apprécient grandement cela ! Il faut dire que, généralement, lorsqu'on envoie une proposition de textes à une revue ou une maison d'édition, c'est une formule toute faite et lapidaire que l'on reçoit en retour.
Matthieu Lorin
quatre textes :
L’aube grosse dévore le bleu finissant quoi qu’on y fasse
J’ai pas bougé d’un pouce
J’ai ton odeur partout sur moi
Ton départ commence à se déposer sur la peau de mes chevilles
Dans ma nuque
Il est partout contre la fenêtre bien-sûr
Mais dans mon peignoir j’ai ramassé beaucoup de ton présent
Qui s’épuise
Je suis dans le déni de ce froid
La sueur plaquée au creux de mes reins
De mes seins
M’étire vers la douche mais j’irais sans y croire
Sans entrain
Quand je n’aurais plus d’autre choix pour me réchauffer
En attendant j’éclaire
Une lueur passe de l’intérieur de sous ma peau à
L’extérieur je crois
Que l’Aube peut-être vient de là
Une odeur de charogne
Quelque part quelque chose meurt
c’est peut-être un oiseau
une grenouille
un cerf
une biche
comme la dernière fois
c’est peut-être autre chose au ruisseau
simplement les fleurs mais
de l’autre côté du courant par le vent
Le parfum de la mort qui a sonné
Persiste
c’est sûr un être a cessé
j’ai vu un lièvre s’éteindre
c’était il y a quelques jours
j’allais chez le médecin et
l’amoureux qui conduisait regardait ailleurs quand
Soudain
Une cascade de pattes
nous sommes allés voir si nous pouvions intervenir
par le fossé il bougeait et puis
d’un coup son ventre est resté plat
quand j’ai posé ma main
Tout contre le pelage doux et chaud
Les yeux ronds
que j’ai essayé de fermer
Se sont opacifiés en quelques secondes c’est fou
Comme la mort prend vite
aussi vite qu’une chanson
nous découvrirons peut-être
une charogne dans le jardin
entre les sapins
contre l’aulne celui qui est
couché
ou vers l’autre ruisseau qui sait
ça fait de la nourriture pour les renards
les rapaces
les souris
et puis
Quoi encore ?
D’une fenêtre à l’autre
Je sais pas si vous étiez des animaux
Quand vous étiez enfant
Moi j’étais toujours avec des animaux dans ma tête jamais dedans
Mais je les comprenais vraiment je sais pas
Si parfois en fonction du contexte vous vous voyez de l’extérieur
Moi je suis toujours rangée derrière mes yeux
Au cœur de la tempête
J’entends les nuages qui murmurent et tous les plis des robes des fantômes qui bruissent
Dans le vent
Je sais pas si vous volez encore en rêve
Si vous avez jamais volé en rêve il parait
Que c’est plus un truc d’enfant moi je vole toujours je vole encore
Je vous le souhaite vraiment je sais pas
Comment vous voyez les couleurs le vert que vous appelez vert moi j’ai
Des gouts sur les lettres et des couleurs quand j’y pense et
Ça me surprend toujours que ça surprenne les gens je voudrais
Pouvoir ouvrir ma fenêtre en grand
Et passer par la vôtre en suivant un fil à linge
Tendu d’un bout à l’autre et puis
Me glisser à l’intérieur de votre chambre comme ça
Et regarder ma fenêtre depuis la vôtre et puis les autres et toutes les autres et
Comprendre vos aspirations l’épaisseur de vos draps et la chaleur de vos corps dedans
Je voudrais savoir comment vous vous parlez à vous-même les mots que vous empruntez
La vitesse de votre respiration
Quand personne d’autre n’est présent votre manière de vous oublier je voudrais
Passer par vos peaux essayer vos articulations et
Y sentir le gout du temps
Amour en cage
Je me fais chaud contre toi
Je me love dans les creux de toi
Je fais comme un sac avec tes bras et à l’intérieur : moi
J’écoute ton cœur mais le ronron se fait bas et
Irrégulier
J’interroge le train est ce que tout va bien est ce que c’est l’aiguillage
Je me tourne vers la face allumée du soleil
Contre ton visage je viens cueillir des mots
Par tes lèvres je vais me promener par les grains de ta peau
Il y a un indice
Quelque part je ne sais pas où il loge il instaure quelque chose comme
L’inconfort
Tes paupières se lèvent et puis tu dis des mots
Tu les souris soudain
Je voudrais t’en aller
Quand tu me regardes avec ces yeux vides
Tu m’embrasse avec tes lèvres sèches
Et je retiens mes dents
De ne pas gouter ton sang
J’ai vu des hérons
Par dizaines
Voler en cercles à seulement quelques mètres
Par-dessus un marais c’était
La fin du jour et le soleil
Donnait
C’était réel et le contraste
Avec tes mots peints en chauds
Tout craquelés
Est saisissant
Ce sont les hérons qui le disent
Les commentaires:
1/Allez 0.5 pour le 1er autocontemplatif.
Et 4 pour les 3 autres textes sensibles et émouvants. A transproser, surtout ceux - là. Ils acquerraient la matière qui manque à la mort.
2/ L’aube grosse dévore le bleu finissant quoi qu’on y fasse;’style affirmé, façon de plonger la langue dans un moule, la langue se prête à toutes les fantaisies.
'Une odeur de charogne’ … pas emballé par ce récit soumis au vers. Mais côté expérimental qui me plait.
'D’une fenêtre à l’autre’ j’aime la sensibilité bavarde de ce texte, j’aime ce défaut …
Amour en cage. Envie de lire d’autres poèmes… pour voir… je connais déjà ce genre de troubadour ( Stéphane Méliade lpb n°12, 18, 19, 20, 21, 23, 24, 25, 26, 29, 31, 33, 34, 35, 36)… fluctue autour de trois à quatre étoiles pour moi ...
3/ Dans l'ordre de présentation:
I 3
II 3,5 - 4
III 3,5 - 4
IV 2,5 - 3
Je crois que lui / elle (plutôt… elle) a déjà... quelque chose à lui (elle)...
4/ Donner forme-poétique à la puissance de la pulsion ? Ici chaque poème trouve son souffle : vers brefs ou longs, puissance visuelle des images, grands coups de majuscules comme pour punaiser le vers, en relation avec pulsion de vie, pulsion de mort. Leurs entrelacs-secousses supersensorielles. Vision du monde en mode force de la nature? Celle qui reprend ses droits? Dire ses agissements en petits glissements-folie-prise-de-risque. Le naturel des synesthésies en zigzag serait-il le résultat des débordements-sorties-de-route-pulsionnels? Brut-motion-pulsion-brut. Donner forme poétique au par-delà vie et mort ? En débordements assumés ? Serait-ce ça le tracé de vie du scripteur, celui des embardées vigoureuses du ça n'ayant cure du surmoi ? Formulation en poèmes toniquement décoffrés ?
5/ Le tout en l'état se découd et manque d'un fil rouge, malgré le thème animalier qui est récurrent.
Une poésie simple, travaillée, mais qui à ma lecture manque un peu de force, car faussement simple, ou d'une simplicité forcée plutôt.
D'habitude j'aime les poèmes narratifs, mais ici, la "charogne" ne me convient pas. Peut-être avais-je trop le texte de Baudelaire en tête, et qu'écrire sur un même texte relève d'une gageure en terme de palimpseste. C'est d'ailleurs celui que je mets de côté avec une seule étoile, malgré les petits saillies sympathiques.
- Le premier titre me rebute d'entrée, ce qui est dommage : l'aube s'alourdit de l'adjectif "grosse", et je n'ose y voir un hypallage. C'est peut-être ce texte qui me plaît le plus, avec une présence-absente, ou même une absence-présente.
3 étoiles.
- "D'une fenêtre à l'autre" me rappelle un pont entre deux rives, et j'aime bien cette image du poète funambule sur une corde à linge, mais l'idée n'est pas assez creusée. Mais je n'aime pas trop être pris à parti en tant que lecteur par cette adresse (je parle du "vous" pas de celle du funambule somnambule).
3.5 étoiles.
-"Amour en cage" rebat un thème mais aucune carte, et la gageure relève ici du défi.
2 étoiles.
Les différentes petites erreurs ("je sais pas", "le gout", est ce que", etc...)me font parfois sortir du texte et je conseillerais à la poétesse (j'ai vu un accord au féminin) de relire attentivement ses textes car le "est ce que" génère une confusion de sens non voulue.
En conclusion, un ensemble encore en construction, parfois bancal, mais on sent ce qu'il y a sous la pédale, et en retravaillant encore les textes, peut-être même en les écourtant, on gagnerait en impact. Car j'aime vraiment les images fortes qui se dégagent.
6/ Je suis pour !
Les thèmes ne sont pas très originaux mais le mot est sûr et efficace. C'est bien. J'aime particulièrement la cascade de pattes.
7/ J’aime beaucoup ces quatre propositions. D’emblée, dès le premier vers, il m’a semblé y déceler un auteur québécois, ou une autrice plutôt. 4 étoiles
8/ Cette poésie qui me semble viscérale, si tu me permets d'énoncer une évidence... Elle se cherche et il y a des lueurs de pensée poétique dans la puanteur du sexe, de la rigueur corporelle et de la mort. Celui sur la mort exige la vie, et maintenant ? Et c’est une question à laquelle il est parfois difficile de répondre. 3 étoiles
9/ Trois étoiles de mon côté pour ces poèmes. J'aime bien ces textes qui me semblent avoir de la poésie plein les poches alors que le vocabulaire, lui, est de l'ordre du quotidien. Pas de raretés, de syntaxe baroque ou autre.
La note de trois étoiles correspond à l'ensemble, j'ai une nette préférence pour les deux textes du milieu, moins attendu selon moi.