Le dépôt
E-poésies 2 - A. Dumont - A. M. Cristea - Air - J. J. Dorio - A. Gouttefarde-Rousseau - A. Poncin - J. Pastry -
MEMBRANE
Au coucher à l’aube À certaines heures creuses du jour et de la nuit L’absence d’une empreinte sur la peau Le négatif d’une étreinte
La solitude de mon corps dans l’espace
Le roulis vertigineux du train Les forêts sombres et dorées Les nuages moutonnants
Irradiés de lumière
L’atome de mon corps dans l’espace
Les regards fulgurants et limpides Les chorégraphies invisibles d’arabesques enlacées
Les éclairs de pensées qui se croisent L’aimant de mon corps dans l’espace
Les mots Les sons Les ponts dessinés entre les hommes
L’écho de mon corps dans l’espace
Les parures humaines Les grâces les façades les gonflements Les rôles les fissures les rayonnements
L’enceinte de mon corps dans l’espace
Le vert lumineux de l’herbe L’haleine chaude du vent Le bain de roses et de tilleuls
L’accord soudain d’un contrepoint d’oiseaux
L’empreinte de mon corps dans l’espace
De pas en pas De boucles en boucles Toujours je reviens À ce point
Les contours de ma solitude dans l’espace
Audrey DUMONT
MOTOCROSS
par Angi Melania Cristea
mon père comptait les jours, les calculait, il refusait tout excès de jeunesse
les années soixante-dix sont venues sur lui sans invitation avec leurs bolides rouges
ils ont renversé son calme modeste
maintenant il a le temps de se rappeler ce moment
quand sa fille n'existait pas et qu’il conduisait des motos avec une seule main
frappant des rochers et des filles qui rêvaient de grandes villes
papa riait toujours avec des cheveux noirs dans les yeux
il a vu des quartiers entiers pousser sur les chaumes
et il a senti que la terre s'arrêtait de tourner
puis il a été embauché, il était le plus bel ouvrier de l'usine de tracteurs et sa vie s'est calmée
J'ai toujours su que papa était parfait et
je ne peux pas le changer
c'est pourquoi je n'ai pas attendu le feedback des minutes
moins calculé que mon père je vivais à gauche de mon désordre mental
puis je suis monté dans la vieille ville en répétant le texte millimétré comme un figurant
mais même à ce jour je n'ai pas trouvé les démons des mots pour m'interpeller
ce papa n'a plus ses jours précisément comptés avec l'envie de vivre dans un verre comme un étrange cachalot
assis près de la fontaine artésienne il regarde les colombes roucouler
sur un monde sans guerre
Air
Barrage contre le Pacifique
Ton humeur, cette marée et ta vie qui se retire
Te laissant seule sur l’estran à écouter dans les coquillages
Le souvenir de la mer
Pendant ce temps je construis de petits murs en pierre, des digues
Pour contenir la montée qui ne manquera pas
De tout envahir
L'eau s'avance doucement mais les mots viennent à manquer
Déjà ensevelis sous le flot étouffant de tes pensées
Tes émotions incontrôlables la colère qui se déchaîne et les vagues de culpabilité
Qui viendront lécher nos pieds
Le ridicule de mes digues me revient raison et tendresse n'y pourront rien
Châteaux de sable perdus d’avance barrage de mots contre le Pacifique
Jean-Jacques Dorio
La nuit blanche
La Nuit blanche c'est comme une poussière qui achève bien les stylos
La Nuit blanche c'est comme un visage en deuil de noir et de blanc
La Nuit blanche c'est le petit veau étoilé qui perce la poche sanglante de sa mère
La Nuit blanche c'est l'énergie qui oscille entre brillance et matité
La Nuit blanche c'est le révolver d'acacia
La Nuit blanche c'est le silence tiré à quatre épingles
La Nuit blanche c'est l'œuf cosmique qui sort de la lagune de Tenochtitlán
La Nuit blanche c'est le lin et le lien de tous les travailleurs
de la vingt-cinquième heure
La Nuit blanche se promène sur le dos des yacks noirs
La Nuit blanche jette son voile et ses graviers volcaniques
Sur la plage sans pavés
La Nuit blanche c'est le sel et le lait
L'hésitation du stylo sur la page de craie
Miel et cendres
Titre blanc
J.-J Dorio
Amandine Gouttefarde-Rousseau
La pluie tant attendue
après les semaines de canicule commence
doucement
à tomber
sur le sol qui renvoie
au ciel
son odeur d’été
de foin
de moisson
mélangée à l’eau
qui transforme en parfum tout ce qu’elle touche
Amandine Gouttefarde-Rousseau
Jachère du salon
l’ébréchure excède le verre couché le miroir brisé l’orchidée fanée
Toutes les surfaces sont coupantes
solitude comprise
Alexandre Poncin
Poème
Je barbote dans le poème, mon corps subit les vagues et l'eau.
Je sais nager au sens où je sais composer mes rapports
avec la vague, avec les éléments, au point que je connais
les essences dont dépendent les rapports, et je sais ce que
sont l’eau, l’onde, la vague,, le principe d’Archimède,
leurs causes, etc.
J'opère donc un passage de la science expérimentale de la
Nature à la vérité comme conception immanente de la connaissance
poétique.
Joe Pastry