La
page
blanche

La revue n° 41 Éditorial

Éditorial

Le proche et l’éloigné

 

Les jeunes ont besoin d’illusions fortes – comme les moteurs à peine démarrés ont besoin de grosses avalées de combustible. Autrement ils finissent en une toux sourde, de plus en plus faible et frugale – jusqu’à ce que la fin soit couverte d’un très lourd silence. Pour l’esprit, entre d’autres grosses gorgées de combustible, on peut concevoir les promesses des grandes distances, de l’exotique, des couleurs violentes qui dominent l’idée de paysages lointains, complètement étranges – les promesses des voyages. L’adolescence est, d’ailleurs, l’âge des voyages sincères dans la réalité et dans l’imagination. Quand je dis voyages sincères je pense au voyage pur, à l’exploration honnête, au déplacement initiatique dans l’espace qui a comme finalité la découverte spirituelle. Je fais cette précision parce que dans peu de temps la vie va imposer aux ex-jeunes un tout autre genre de voyage. Un voyage dans lequel on mélange d’autres arguments – la condition sociale, la soit disant spiritualité, celle qui s’affiche, pour les autres, les commodités du voyage et du campement… En d’autres termes, les déplacements dans des endroits nouveaux ne sont plus une manière d’évasion, mais une façon de prolonger, pendant les vacances, si c’est possible avec plus de commodité et plus de visibilité, ce qu’ils font quotidiennement.

Mais,  d’autre part, pour les quelque peu, avec l’âge se produit un phénomène bizarre. Significatif. Ils voyagent de moins en moins et ils s’évadent de plus en plus. Les évasions sont maintenant dans l’univers intérieur. Plus besoin de se déplacer – seulement d’approfondir. Ils découvrent plus profondément leur vie intérieure et l’exploration devient plus fascinante. On a moins besoin de stimuler son être de l’extérieur. On n’a pas besoin d’exotique pour ébranler le peu qui s’achève en soi.

On trouve donc la progression de l’extérieur vers l’intérieur. Les jeunes ont beaucoup besoin du monde qui les entoure. Avec l’âge on s’habitue à explorer mieux le soi. On ne se contente pas avec du peu. La distance où il faut chercher le soi est inchangée. On a modifié seulement la direction.   

La poésie naît de la même expérience - elle aussi va dans une direction - ou dans l’autre...

Constantin Pricop