La
page
blanche

La revue n° 44 e-poésies

e-poésies

Amandine Bellet

***


Je dis à Joey on s’en va
Et sans attendre la réponse
Clés contact
Et voiture qui démarre
Il fait chaud je me rappelle
Comme en été
En campagne
Les fenêtres sont ouvertes sur les crickets
Et l’air ondule en chaleur
Comme un désert
Je roule un joint dans le fossé
Les bois ombres et lumière
Il fait frais
Joey, il fait si frais que j’en salive
Comme l’envie d’un truc glacé
Sur la langue
Une bouffée gorge cerveau qui moineau
Ça chantonne
Je dis Joey la vraie vie elle cavale dans mes veines
Et je fume
Et voiture qui s’emballe
C’est Cadillac baby
Il rit
Iggypop stéréo
Et je roule
Je roule mec.


Il dit ça fait 620 dollars et j’aurais pu avoir l’air sérieux s’il m’avait dit ça avec un vrai accent américain.
Ouais ça m’impressionne l’Amérique et j’aurais pu tendre tous mes billets en disant prends ça connard d’amerloque mais au lieu de ça j’ai dit – oui lundi on vous donnera tout oui oui pas de problèmes bien sûr et il m’aurait dit – je suis pas américain et puis – non non par le balcon on n’oubliera pas et je sortirais mon colt John Wayne l’homme le plus classe du monde – parce que ouais
Je suis américain dans les westerns
Et ça c’est la classe.


Quand nous sommes arrivées, enfin,
Les hommes et les femmes voltigeaient,
Tanguaient
- ils tanguaient.
J’ai alors souri à la musique qu’ils ne pouvaient pas entendre
Et dans ma tête – je dansais.





***

On était à l’école.
T’avais une robe fleurie
Une de celle que j’aime bien et il fallait dessiner des trucs
Tu étais assise près du fond de la classe et moi un peu sur le côté
Je dessinais des licornes et le maître derrière mon épaule m’a dit «voilà un beau poème»
Et «je sens que des vers vont naître des licornes»
Et il a poussé ma table et ma chaise et moi dessus, le tout ensemble vers le fond de la classe mais pas trop.
Je tenais mon dessin en l’air comme pour voir de loin
Comme un architecte de licornes et je regardais de temps à autre du coin de l’œil si tu me regardais
Je voulais t’impressionner.





***

Elle se promenait dans le salon le sourire aux lèvres mais je voyais bien dans le fond qu’elle était triste
Je ne lui disais rien on ne se parlait pas
Elle passait à côté de moi comme elle savait si bien le faire
J’espérais quelque chose d’impossible
Un tremblement de terre
La disparition du monde
La ramener à la vie
Elle n’avait besoin de personne disait-elle.
Dans le fond j’ai toujours su faisant mine de ne pas savoir
- nous ne sommes pas dupes.





***

J’ai rêvé de tes seins nus
Que je découvrais le souffle court
Les mains tremblantes
Je pensais perdre de l’âge
Peut être te moquais-tu
Je voyais trouble
Je sentais ton odeur qui se mêlait à d’autres
Le parfum des fleurs
Celui de la lessive
Je disais
- C’est un rêve
Sans jamais l’accepter
Je mettais un point d’honneur
A espérer
A sentir ton coeur battre dans mes mains
Tout était vrai
Les oiseaux
Le petit matin
Le sommeil sur tes lèvres et dans tes cheveux.
Elle avait rempli l’espace de son absence
Et les particules délicates de son être
Semblaient flotter dans l’air
Rappelant son passage.
J’avais alors prononcé son nom à voix haute
Pensant qu’elle allait surgir d’un instant à l’autre
Les murs ont des oreilles pensais-je
Mais le silence
Lourd
Je ne touchais à rien.


Amandine Bellet