poètes du monde
THANKSGIVING
(1956)
une monstrueuse horreur engloutit
tout ce non-monde moi après toi
quand le dieu des pères de nos pères s’incline
devant un quoi prenant l’allure d’un soi
mais jour après nuit la démocratie
déclare un-sourire-dans-la-voix
« vous tous pauv’petits peuples qui rêvez d’être libres
faites donc confiance aux u s a »
tout à coup la hongrie se souleva
et elle lança un cri terrible
« aucune inexistence d’esclave ne me tuera
car je veux mourir libre »
elle cria si fort que les thermopyles
l’entendirent et marathon
et tout le préhumain historique
jusqu’aux INouïes nations
« reste tranquille petite hongrie
et à ce qu’on te dit acquiesce
une bonne grosse oursse s’en est haigrie
nous craignons la monnaie d’la pièce »
l’oncle sam hausse ses jolies
épaules roses vous voyez comment
et il titille une libérale tétine
susurrant « suis occupé pour l’instant »
alors pour la démocratie hourra
rendons tous grâce au diable
et enterrons la statue d’la liberté
(car elle commence à puer)
E.E.Cummings
95 poèmes
Traduit par Jacques Demarcq
Éditions Points
Viande
(extrait)
Un homme :
Enfants, ne vous laissez pas faire,
on se fout de nous !
Qui m’a par exemple
jeté le cerveau dans le creux de la poitrine ?
Comment respirer avec cela ?
La petite circulation du sang devrait peut-être passer par là ?
J’veux bien c’qu’on veut! Mais y-a des limites !
Un autre :
Et moi alors ? Comment suis-je venu ici ?
Tout frais sorti de l’oeuf et sur mon trente et un -
et maintenant ?
Gottfried Benn
Poèmes - Edition Gallimard
Pour Carolyn
Je suis un revenant, un fantôme, une fiction
en toi je puise chair, geste, présence
dans la pierre, l’arbre
l’herbe, le ciel, les nuages,
les rivières, la lumière qui se lève, la lumière
étincelante
c’est ta force
c’est ton ombre
d’où
Je renais chaque fois, encore et encore
présent, calme, vibrant
grâce à toi
parce que je suis devenu l’homme
que tu veux
parce qu’en l’amour la vie s’abreuve
Grâce à ça, ce baiser,
des lèvres à l’air aux lèvres à la lumière
Allan Graubard
Trad. G&J
Texte original dans le dépôt- Allan Graubard de La Page Blanche
Rue du sang
Je pense à toi rue de province où je passai
Au trot de l’averse avec ma fiancée
C’était un soir de lampes basses en novembre
Avec des cris d’enfants déments au fond des chambres
Des chiens maigres hantaient le ciel et les couloirs
Et l’on croisait des hommes morts des hommes noirs
Tu n’avais encor droit qu’à la troisième page
Des journaux Pas de crimes Rien que des tapages
Nocturnes et des viols vraiment c’était banal
Seulement dans tes murs sanglotait un cheval
Aujourd’hui tu es la plus belle sous les branches
On te lave à grand eau comme une robe blanche
On te parcourt à jamais au chiffre du soleil
On te parcourt de phonographes et d’abeilles
Un doux clochard abrite en ses mains un oiseau
Ivre à midi il signe dans le ruisseau
Il éclabousse tous les yeux de ses prunelles
Quand il veut repartir c’est le Christ qui chancelle
René Guy Cadou
COSMOGONIE
Dieu par son tonneau (il y a un Dieu) regarde la terre ! Il la verra comme quelques dents cariées. Mon œil est Dieu ! Mon œil est Dieu ! Les dents cariées ont comme une goutte infiniment petite qui les classe. Mon cœur est le tonneau de Dieu ! Mon cœur est le tonneau ! L’univers pour moi est comme pour Dieu.
Max Jacob
Le cornet à dés - Poésie Gallimard
QU’EST-CE QUE C’EST ?
Qu’est-ce que c’est ? - un mouchoir.
- ce n’est pas un mouchoir. C’est une belle femme appuyée près de la fenêtre.
Elle porte un habit blanc et elle rêve à l’amour...
Karel Capek
Cité par T. Todorov in Théorie de la littérature - Points Seuil