poète de service
Huit poèmes pour La page blanche - Fabrice Farre
I - Campagne
Le compresseur ronflait sous
le toit du garage qui ne l’avait jamais
entendu. L’été
faisait un bond
supplémentaire et les mains
ouvrières cherchaient la raison de
la crevaison. On
coupait les arbres
au loin. Les chiens couraient derrière
les grilles. Dans l’affairement bruyant
et les aboiements tangibles, je m’acharnais
silencieux à ne pas raccommoder
ce petit vingt-deux août d’ennui.
II - Arriver
L’ascenseur me détache.
Délaissant ce que je viens d’être
je vais sans doute devenir
à l’étage et résoudre
la multiplication du zéro
qui à elle seule gobe le monde sans hésiter.
J’ouvre la porte de l’appartement
les clefs vont ouvrir le silence qui revient
dans ce couloir où tant sont passés
avant moi. J’ose croire
que ce jour n’a jamais
existé avant les sept premiers.
III - Colis
Le colis est dans la voiture
lourd comme un meuble mort
que nul ne vient visiter le dimanche,
la ville pèse, les rues se serrent
moites contre nous à mesure qu’il s’agit d’avancer.
Contre l’escalier de cent marches
on accède à l’appartement et on pose
l’objet. La voiture en bas est immobile
comme nous dans ce salon. Je songe
que j’irai visiter mon père, derrière les hauts murs,
ce soir avant la fermeture.
IV - Patience manuelle
La patience a une heure d’avance
ta main est dans ma main
dix petites collines à la barrière
fondent sur l’horizon grand
comme un mouchoir. Nous prenons
ainsi notre destin. En avance
sur le monde petit
qui s’agite nous nous retrouvons
et nous marchons moins vite
qu’au temps où il fallait courir
ralentis par une crise en sursaut
sur le terrain accidenté de nos
dix petites collines.
V - Marcher
Je me retourne, trouve
les papiers qui volent dans la rue ;
je pourrais les ramasser y noter
quelque chose puis les laisser à
nouveau suivre
leur cours jusqu’à destination.
VI – Le ballon
Terrestre, je l’aurais été si
tu avais pris la peine de rattraper
le ballon fuyant rouge au-dessus
des bruits. Aurais-je
assez existé à ne pas t’avoir
écouté : je ne prenais
pas l’existence à bras le corps.
Certes, je n’avais plus de corps mais
un bras cherchait la ficelle
du désir lié à la parole
fuyante. Oui j’ai passé ma vie
à chercher le ballon car penser à toi
n’a jamais appartenu à la terre.
Fabrice Farre
VII - Déjeuner
Dans l’assiette
les quelques restes,
une discussion lointaine,
à table, la nervure claire
de notre condition,
les fenêtres vides
qui ne donnent rien alors que
le matin se lève, déjà.
En cet instant étranger je suis parti.
VIII – Sortir
Je sors de chez moi, la caméra
subjective mord sur la barrière
de l’escalier, plus haut. Je
sors lavé, conscient que je
vais au rendez-vous, comme promis.
Le plan me montre jusqu’à la taille,
américain dans mon allure,
peut-être, mais je ne parle pas l’anglais
si ce n’est la langue de l’inquiétude
lorsque je me demande si je saurai te
fixer sur la place qui bouge, ce jour
de marché. Puis mes pas hésitent
on voit mes chaussures sales, les jambes
des passants, le monde du bas. La caméra
sonde la terre, elle est paranoïa.
Fabrice Farre
http://fabrice.farre.over-blog.com/
http://lesmotsplusgrands.over-blog.com/
Fabrice Farre est né le 7 novembre 1966, à Saint-Etienne où il est aujourd’hui fonctionnaire d’Etat. Il a consacré une thèse à la poésie contemporaine (Lettres et civilisations étrangères), et traduit les poètes tels que Lorca, Montale, etc.
Publications :
* « Visages de poésie », anthologie n°6 de Jacques Basse, éd. Rafael de Surtis, 2012.
* Les chants sans voix, éd. Encres Vives, Coll. « Encres Blanches », 2012.
* Ru asséché, éd. Clapàs, Coll. « Franche Lippée », préface : Eric Dejaeger, (juin ou juillet 2012).
Plus de trente sites littéraires, revues et collectifs, en France ou ailleurs, ont accueilli ses textes :
Aires † (numéros 10 et 12) Incertain Regard, (n° 0), Ecrits…Vains ?, Francopolis , Les états civils (n°8), Libelle (n°224), Voxpoesi, Incertain Regard (3), SymPoésieum, Le capital des mots, RAL,M (77) Soc et foc (Florilège 2011 et 2012), Terre à Ciel , RAtURes, Les carnets d’Eucharis (32), Pyro (n°26-27), Filigranes (80), Microbe (67), Comme en poésie (48), Décharge (152), Traction-brabant (44), Delirium Tremens (5, Pérou – Lima), Friches (109), « Sur des photographies de Daniel Hess », Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, Microbe (70), Les tas de mots (8), Libelle (234), Vents Alizés (n°0), Les tas de mots (9), Traction-brabant (46).
Prochainement dans : mgversion2>datura (70), Népenthès (Août 2012), Sipay (9, Seychelles), Verso, 7 à dire, Les Cahiers de la rue Ventura (n°18 ou 19), Traversées (67 ?), Recours au Poème (32)…