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AUTEUR-E-S - Index 1

23 - Carlos Olivera

Après le déluge (extraits)

(Quand le temps s’est arrêté)


1


Le jour où la terre s'est arrêtée

Sont arrivés aussi le grondement et le silence.

Et nous n'avons pas manqué de temps, comme l'avaient prêché les scientifiques.

Nous avons plutôt manqué

D'une vie en routine vite oubliée

Dire bonjour

                            S’aimer en pleine journée

                                          et sans trébucher monter

les escaliers un pied après l'autre.

 

Nous n’avons pas manqué d'amour non plus

Méticuleusement conservé

Entre les pages d'un livre

Comme une feuille ou un insecte disséqué.

Ce jour-là, les détails les plus simples nous ont manqué

Comme boutonner correctement le col d'une chemise

Ou tendre nos mains pour transpercer l’utérus compact de la nuit.

 

L'acte d'ouvrir une fenêtre s’est transformé en autel

Et son poids sourd une louange.

 

Nous avons        manqué d'espace

Pour tisser les heures

Comme des mouches sur la traîne du jour.

Et nous avons, surtout, eu envie

D’avancer d’un pas

Et

Allaiter de la source

Du mouvement un pied après l'autre

Comme un nouveau-né.



2


Sous le poids d'un jour immobile, d'un monde sans virage            sans saison       sans hiver

je vais à présent, griffant les rayures du tigre

                             comme un otage

 si l'on veut l'appeler ainsi,

regrettant les beaux yeux blancs de ma grand-mère, la bouilloire, le soleil, l'odeur de la terre humide, le goût antédiluvien du rêve qui ne vient pas quand le temps

n'est plus hostile

Et j'apprends alors

A tisser les heures

Comme des mouches sur la traîne du jour.