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La revue n° 51 e-poésies

e-poésies

Vide cœur #15

J’passe ma langue derrière mes dents du devant et je sens bien que ce n’est pas aussi lisse qu’avant. Je sens bien que trop de nicotine y est passée. Il y en a eu tellement, de ces clopes. Il y a eu la première, celle qui fait automatiquement tousser et qui dégoûte ou donne envie de recommencer. Il y a eu celle où tu as effectivement recommencé parce que voilà, c’est stylé quand même. Il y a eu la première fois où cette clope t’a soulagé, un pied dans l’engrenage, le tour est joué. Il y a eu cette clope fumée à la fenêtre, le soir, en cachette, disant encore « j’arrête quand je veux ». Il y a eu celle que tu as osée parce que trop de fatigue, celle que tu as osée devant eux. Alors là, la porte s’est ouverte, et toute la fumée est entrée. Une fois la limite du secret franchie, plus rien ne pouvait t’arrêter. Du coup, il y a eu la clope de la victoire, celle de la fête, celle du matin chagrin, celle de la nuit d’insomnie, celle qui remplace le dessert, celle qui fait accélérer le temps, celle de la pause café, celle du café tout court, celle de la drague, celle évidemment de la déception, celle du tout m’énerve donne-moi une clope, celle des yeux doux, celle après le sexe, celle avant le sexe, celle au lit, celle à table, celle au restaurant, celle sur le quai du train, celle à la plage, celle en forêt, celle de consolation, celle du partage, celle qu’on finit par fumer sans trop savoir pourquoi. Finalement, il y en a une pour chaque occasion si on le décide. Une fois que la clope s’est invitée à dîner et à dormir, elle sera partout. Pas une heure ne passe sans elle, pas une journée sans l’apprécier. Comme un soulagement, comme un réconfort que seule elle apporte. Une délivrance aussi, peut-être. Cette clope mystère. Personne ne vous expliquera pourquoi inhaler de la fumée fait autant de bien mais tout le monde le fait, parce que l’homme n’est rien sans addiction, parce qu’il faut bien mourir d’un truc, parce que c’est comme ça et pas autrement. Quelques fois je la hais, quelque fois je songe à l’épouser, le tout étant qu’elle est là et qu’elle y restera. Elle remplace tous ces baisers jamais donnés. Elle, elle est là.

Coralie Mennella
23 novembre 2017