La
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blanche

La revue n° 51 Séquences

Séquences

Jo Pastry

NATURE

Par la fenêtre de la maison chaude comme un abri

la masse invisible d’une tempête troue, déchire

arrache toits et branches fracturées.

Dans la maison chaude une femme sourit à l’homme qui dort.

Elle lui tend ses bras sans parler,

comme se dit je t’aime

Leur cercle forme la margelle

et dans l’autre corps une source

et se mêlent les eaux des amours.

Les volets claquent, claquent

suffoque le reste du monde.

 

FIN D’UN MILLÉNAIRE

Il suffira de trois minutes

pour un flot rouge.

L’horizon pâlira.

Ce sera l’heure de partir.

Les étoiles reprendront

leur place dans la nuit.

 

PRINTEMPS

Une hirondelle au vol pressé

bouscula jadis un nuage de lait

puis disparut, évaporée

dans la rosée de l’arrosoir

presque noir

que Vénus balançait.

J’imagine le fin flacon en mille morceaux:

il pleut des notes de musique

et l’envie de chanter.

Et je médite, caché dans l’épaisse forêt

sous le feuillage tremblant de l’ arbre

où se pose mon hirondelle.

 

J’ÉTAIS FIER

J’étais fier, fier de mon équilibre,

à me saouler d’écumes sur la vague

qu’un geste machinal disloqua.

L’air égaré, loin de mon lit triste j’errai, et glissai

les mains sur le carreau glacé, embué, devant moi.

Ensuite ? L’estomac ensanglanté, assis sur un cratère,

l’index branché sur la dernière guerre,

j’échouai sur un banc de bitume.

 

LA MENDIANTE

Je croule sous le poids de mensonges en hautes piles dans ma mémoire

qui comme Dieu existent sans l’avoir mérité.

Je réclame encore l’amour. Il est venu et reviendra.

Je ne sais pas pourquoi mais c’est comme ça.

Vite, vite, je cours vite car le bonheur moqueur est là

dans le pré.

Les genoux couronnés je suis tombé près d’une femme baillant sur le pavé,

une mendiante couverte de diamants, poétesse sans doute.

Elle disait

Hier, m’en allant promener, j’entends le bruit venant du pré,

une mine, une mine d’argent, monsieur le Président

et le petit enfant courait, sautillait

dans le ciel, sous un peu de soleil gaspillé.

 

LETTRE O

Pas de consolation, pas possible, agonise le vieillard.

Un grillon en forme de saxo, heureusement ça existe

mais l’orage l’écrase d’un éclair,

pas grave, pas grave tout ça,

on s’en moque, on est allé au lit, on dort.

Un petit garçon court autour de l’arbre et dans l’arbre un lion s’est réfugié.

L’enfant court vite – comme dans un accéléré – si vite qu’il fond dans le sable.

Ne reste sur le tableau noir que le cercle autour de la craie.

Demain nous irons à la lettre U.

 

ESQUISSE EN ROUGE

Au fond, de la dentelle bleue, bleu pâle,

à côté de l’érable fluo qui passe en sifflotant,

d’un yucca, hampe blanche délayée au fusain d’algues, miroir sombre,

d’une compagnie de roses affalées dans l’herbe enfuie partout.

Guette la haie pleine d’acné avec ses menottes

Et l’araigne rince la fenêtre rouge,

aussi rouge que la tomate sur le gravier depuis des lustres.

Une touffe de sauge mauve.

 

OH ! UN AUTRE

Maître, comptez jusqu’à cinq

Bravo ! votre langue pour un bonbon.

Une colombe s’échappe de vos yeux.

A nous deux princesse à la mode,

Que daignent vos doigts de miel s’appuyer

sur mes doigts et grimpons.

Oh ! le flamant rose se pose

tout petit qui picore de la moustache

Oh ! un autre et trois et quatre et

 

APPARTENIR

Appartenir, verbe rouge

Nul n’appartient et nul ne s’appartient.

Je me sens être image froissée

d’humain.

***

Le temps de m’arrêter en chemin

pour faire voler un caillou

me voilà caillou

 

TU DANSAIS

Je t’ai vu danser hier à la fête de la musique.

Il pleuvait, tu t’inclinais comme un éléphant

d’un pied sur l’autre. Tu paraissais absorbé

dans quelque pensée. La pluie tombait,

Tout n’était qu’une question d’ombres.

Jo Pastry
(Extraits de Grains, plumes, poils, etc.)