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blanche

La revue n° 53 poètes de service

poètes de service

Floriane Germain

Pour le Printemps des Poètes, Floriane Germain organise l’événement Passeurs de poèmes avec des scolaires de la Ville de Sèvres. La transmission orale de poèmes aux passants crée un lien d’écoute et de surprise dans les rues de la ville. Elle partage également ses textes en participant à des scènes ouvertes de slam, au Downtown, Maximilien, Babel Café et Charlie. The Bioptic Review 2019 a publié deux de ses poèmes..

ÂMES NUES RÊVÉES

Attirail confisqué, tu sembles déboussolé, mis à nu, démuni, nul écran ne te pare et cette image crue te désole dans le miroir. Sans filtre, tu examines les ravages des années.

N’épargnant aucune part, le temps s’est introduit, usant l’enveloppe du corps et ses profondes entrailles. En surface, tu perçois les stigmates, rides, entailles stries, plis, tâches que ne réparera nul enduit.

Révélées par le reflet, les courbes du corps élargies et fanées comme un triste décor vaniteux; leur majesté perdue, informe et affaissée, t’indigne du déclin certain, écrin temporaire qui annonce ta propre fin. Seules les âmes nues rêvées maintiennent leur propre forme.

 

VAGUE TENDRESSE

Voilà le sourire que tu n’avais jamais vu, au-delà de toute attente, il semblait si fier. Gage de changement ou de vieillissement, il s’altère un peu, dévoilant des sentiments méconnus. Excessivement dur, il n’était jamais ému.

Tout semblait en-dessous de ses attentes de père et cette froideur exigeante était ton seul repère. Ne t’attendant jamais à voir son cœur à nu. Dans son regard, tu as découvert une chaleur, ravissement jusqu’alors inconnu. Une douceur esquissée dans ses traits vieillis et relâchés. Si loin de l’image austère de sa jeunesse, si étrange dans ce corps qui peu à peu s’affaisse, enfin, cette reconnaissance que tu recherchais.

 

CALMER LA VISION

Ce sautillant soupçon d’une infidélité abuse son esprit de visions de jalousie.

Loin de la réalité du fait accompli, mais dans ses gestes, elle perçoit cette volonté. Elle ressent ses sourires comme des marques trahissant, révélant, prouvant que ces autres femmes lui plaisent, leurs airs ravis indiquent qu’elles acceptent et complaisent, avec leurs manies et leurs regards languissants.

Voyant dans cette cour en demi-teinte, les prémisses infidèles à venir, les images se ternissent, s’amplifient, jusqu’à la bouleverser, tant elle croit, intangible, son jugement fondé et rien ne peut opposer de biais à son intime et furieux non sens, marqué par un implacable et vif émoi.

 

MÉCONNAISSANCE

Maladroit dans ses propos, il persiste et signe. Étriqué, ses pensées le submergent et un vif courroux le défigure. De son ton invasif, obstiné et infect, il perd tout air digne. Ni l’argument sensé contre ce qu’il consigne, ni l’erreur révélée, n’adoucissent l’abrasif accès de rage et, de plus en plus agressif, il fulmine, exagère sa posture et s’indigne. Sans retenue, il vocifère et perd le fil.

Sans aucune contenance, ses paroles deviennent viles, abaissé par sa frustration, il se décharge. Nul retour possible, l’outrage semble indélébile. Constat de son inconstance, de colères faciles et d’excès, il souhaite désormais prendre le large.

 

IL SE SUBORDONNE

Il cherche sa voie, son chemin, son maître et mentor. Le guide qu’il imagine incarnerait les dollars, son charisme l’hypnotiserait, au point que le soir, exténué, il persisterait dans l’effort.

Soumis, il veut donner corps et âme au salaire. Un esclave qui cherche dans l’argent-roi un empire, bravement, il se subordonne au devenir ou plutôt à l’avenir radieux et prospère. Risibles billets qui provoquent des agissements déraisonnables, de la foi jusqu’au dévouement, où l’asservissement volontaire se normalise.

Ne voyant pas qu’il tendait sa laisse à quiconque, ne voulant en échange qu’une opulence quelconque, et sa liberté se perd pour quelques devises.

 

NOUS N’OSIONS PAS

Navigant l’un et l’autre dans le vide de l’ennui, où le temps ne passe pas et les gestes sont lents. Un horizon agréable et indulgent se profile quand je m’imagine auprès de lui.

Nous n’osions pas franchir cette douce limite où le désir craint de se perdre dans la routine. Seule l’envie excite l’imaginaire, hors doctrine, immense projection qui se complait dans la fuite. Oscillant dans ce fantasme, il tente une approche ne souhaitant qu’assouvir son élan d’être proche, sans se soucier des conséquences de ses avances.

Par la réalisation, le charme se rompt avec le goût amer de la désillusion. Si forte fut l’attente, l’échec n’en est que plus dense.

 

POURSUIS ENCORE

Par un orage, la place dépeuplée se révèle, offerte dans toute sa majesté à l’intrépide. Unique flâneur dans cette tempête rude et splendide, ravi de son audace, il s’avance de plus belle. Sans capuche, il présente sa tête nue et riante,

un bonheur l’éclabousse de ces fines gouttes d’eau, infiltrant tout son être par les pores de sa peau, son existence offerte à cette fusion ardente.

Envahi par la sensation des éléments, nouveau regard porté sur son environnement, charmé, il se délecte des délices de la ville, oubliées par habitude et par négligence, réveillées à présent dans toute leur élégance.

Édifices défiant les temps et les possibles.

 

PRÉCIPITATIONS

Prétentieuses parvenues qui prétendent aux éclats, radieuses et ravissantes ce sont de beaux appâts. Elles paradent comme des pintades ou des pièces de choix, coquettes caquetantes ou voraces louves aux abois. Intransigeantes sur l’alliance du beau à l’argent, préalable indispensable, loin des petites gens. Il leur faut des carats, des cristaux, des diamants, tout ce qui brille et ce qui paraît élégant. Aux nouveaux riches sont prêtés des goûts, entendus troubles et clinquants, qui étonnent et piquent la vue, irradient les badauds pour asseoir leur pouvoir. Or, les cocottes se précipitent vers l’artifice, ne cédant qu’à celui qui donne sans avarice, se vendre au plus offrant, sans fin se prévaloir.

 

MA DOUCE MACHINE

Madone en plastique, bientôt tu me parleras. Avec un ton adaptable: envoûtante douceur, dynamique support, exquise réplique, chaleur ou chuchotement selon l’envie, du bout des doigts. Une option Wikipédia te transformera certainement, en puits illimité de valeurs et permettra de sélectionner la teneur modulable des échanges, au timbre de la voix. Adaptée aux plus fines attentes, tu deviendras cet idéal qui humainement n’existe pas.

Hâte que tu t’animes dans cette enveloppe sublime. Incapable de blesser, tu combleras mes désirs, ne répondant qu’à mes envies. Le doux plaisir

existera... Splendide machine que rien n’abîme.

 

DEVENUE ARCHIVE

Délicat tissu noir que tu avais choisi, élégance simple et efficace qui dévoilait


vibrante ta silhouette avide. Ce soir brillait, entre les plis, ton désir bientôt assouvi.
Nonchalante et suave, ta démarche a ralenti, un instant. Plus qu’un pas et vos corps se toucheraient, exquise excitation quand le but est tout près, avec le remous des fantasmes qui s’amplifie.


Rapprochement retardé pour mieux l’appréhender.
Ce moment suspendu perturbe jusqu’à l’excès, habile mélange de convoitise et de fureur.
Intenses tensions, l’instinct animal prend le pas, voilà vos corps qui se cherchent, plus besoin d’appât
et ta robe au sol devient l’archive de ce leurre.

 

L’AIR REVIGORANT

Ramolli par la sèche chaleur caniculaire, endolori son corps ne peut quitter le lit. Vibrant de rage, lutte perdue contre l’inertie, il grogne et trépigne de son état délétère. Gagnant des degrés de fraicheur, il s’élance mal, oscillant sur ses membres fébriles, attaché rudement à son déambulateur, grisé: aspirer l’air à l’extérieur lui est vital. Nuage derrière la fenêtre, bonheur imminent. Tintement de sa marche vers le souffle de vent, l’ultime effort pour le sentir, rien qu’un instant...

Arrivé à la porte d’entrée, il fait une pause. Il sait qu’en l’ouvrant il retrouvera ses roses, respirer leurs parfums et se sentir vivant.

Floriane Germain