poètes de service
Marco Geoffroy
« Je suis devenu poète par besoin de chercher la phrase exacte, le mot le plus juste. Aussi par la force des choses. Quand j’avais à peine vingt ans, musicien, j’ai voulu écrire mes propres paroles. Manque flagrant de discipline sur la rime et les égalités entre les vers. Naissance de ma poésie. »
CONJUGUER LA POÉSIE
Language is a virus.
(William S. Burroughs)
Le langage est un virus
Les verbes sont contagieux
la rumeur se répand
une cacophonie
un silence puissance dix
une suite de mélodies barrées
jamais endisquées
des mots bruyants sans but précis
rien
sauf
le son rose bonbon des crayons de plomb
bombardement de la page blanche
*
un enfant fraîchement sorti du ventre de sa mère
un vieillard qui revit son passé
un mourant qui revient à la vie
un cœur nouveau
un homme qui conjugue
ses amours sans pleurer
un animal qui se remet à manger
se balancer comme un punching-bag
avec tous ces mots qui nous reviennent en pleine face
*
La poésie est un bûcher
les lettres fondent comme des peaux
La poésie est une guillotine
une lame de rasoir
les têtes volent dans tous les sens
La poésie est une injection létale
qui parcourt le corps sans faire de bruit
dans les crevasses de l’évidence
CINÉMA MAISON
On joue à la grande illusion
cette moche réalité cause les maux de tête les plus fakes
je fantasme sur un sourire qui se répand
sur des kilomètres en quelques nanosecondes
je ne m’entends plus pleurer quand j’écris
elle traîne parmi les silences et les confettis
abandonnée
la défense en pièces
les roues dans la mauvaise foi
reste plus qu’à glisser le paquet
dans la chute à livres
de la bibliothèque du village
Neuf heures trente
clochers en action
le son de l’illusion
le matin dégueule ses promesses emmêlées
dans le fil des couvertures
la couette givre
les jours vibrent
les heures gèlent
nos orgasmes décampent
BOUCANE D’ENFER
Flambent les passions même sans oxygène
à l’envers de la physique
voyant venir l’ère numérique
on se plugue dans le plaisir
le beat dans le sang
la balle dans la slut
technos jusqu’à l’os
la bombe à sa place
les ogives dans les yeux
les charges blastent l’espace
plein gaz
le pied pesant sur le nucléaire
le goût du présent
l’avenir travaille en secret
fumant les chandelles à la vitesse de la lumière
brûlant le carburant du désir
par les deux bouts
Tout commence tranquillement
des petits morceaux de bruits
des gouttes de pluie
tombant une à une sur nos terres molles
chuchotant nos airs
nos odes à l’amour
nos hymnes à la guerre
Sur les bandes rugueuses d’une autoroute
que mon grand-père a aidé à construire
je compte les années de mauvais temps
les mains pleines de vers de soleil à offrir
Quand les colombes pleurent
un royaume couleur framboise demande pourquoi
je farfouille une fois pour toutes les ondes
à la recherche d’une dernière rumeur
existe-t-il un poste pour l’amour
ATOMIQUE JUSQU’AU COU
Sur une toile de peaux humaines
ces doigts dessinent sans pinceau
des déluges
des délires antérieurs
des raisons inondées par des saisons imparfaites
des paysages sur fond de ses yeux
entre deux couleurs
où la réalité nous a lâchement lâchés
dans le vide
Sous les pierres plates du ciel
flambant rose devant elle
ma fragile humanité crève ses yeux
sous cette fleur d’ombre se cachent
les recoins les plus sombres de ses plates-bandes
Elle laisse sa silhouette faire le reste
je m’abandonne
et laisse des peaux mortes sur son corps
LAST CALL
Les idéaux pinés sur le babillard
à côté d’un proverbe emprunté par la serveuse du soir
le bar ferme jusqu’à nouvel ordre
(demain huit heures AM)
un vieux menteur
une tabagie au fond de la gorge
achève la soirée
de ses refrains lame de rasoir
sur un piano aux doigts jaunes
Marco Geoffroy
Extraits de Ne tirez pas sur le pianiste (2019)
Écrits des Forges, Trois-Rivières, Québec (Canada)