La
page
blanche

La revue n° 53 poètes de service

poètes de service

Marco Geoffroy

« Je suis devenu poète par besoin de chercher la phrase exacte, le mot le plus juste. Aussi par la force des choses. Quand j’avais à peine vingt ans, musicien, j’ai voulu écrire mes propres paroles. Manque flagrant de discipline sur la rime et les égalités entre les vers. Naissance de ma poésie. »

CONJUGUER LA POÉSIE

Language is a virus.

(William S. Burroughs)

 

Le langage est un virus

Les verbes sont contagieux

la rumeur se répand

 

une cacophonie

un silence puissance dix

une suite de mélodies barrées

jamais endisquées

des mots bruyants sans but précis

 

rien

sauf

le son rose bonbon des crayons de plomb

bombardement de la page blanche

 

*

 

un enfant fraîchement sorti du ventre de sa mère

un vieillard qui revit son passé

un mourant qui revient à la vie

un cœur nouveau

un homme qui conjugue

ses amours sans pleurer

un animal qui se remet à manger

 

se balancer comme un punching-bag

avec tous ces mots qui nous reviennent en pleine face

 

*

 

La poésie est un bûcher

les lettres fondent comme des peaux

 

La poésie est une guillotine

une lame de rasoir

les têtes volent dans tous les sens

 

La poésie est une injection létale

qui parcourt le corps sans faire de bruit

dans les crevasses de l’évidence

 

CINÉMA MAISON

On joue à la grande illusion

cette moche réalité cause les maux de tête les plus fakes

 

 

je fantasme sur un sourire qui se répand

sur des kilomètres en quelques nanosecondes

 

 

je ne m’entends plus pleurer quand j’écris

 

 

elle traîne parmi les silences et les confettis

abandonnée

la défense en pièces

les roues dans la mauvaise foi

 

reste plus qu’à glisser le paquet

dans la chute à livres

de la bibliothèque du village

 

Neuf heures trente

clochers en action

le son de l’illusion

le matin dégueule ses promesses emmêlées

dans le fil des couvertures

la couette givre

les jours vibrent

les heures gèlent

nos orgasmes décampent

 

BOUCANE D’ENFER

Flambent les passions même sans oxygène

à l’envers de la physique

voyant venir l’ère numérique

on se plugue dans le plaisir

le beat dans le sang

la balle dans la slut

technos jusqu’à l’os

la bombe à sa place

les ogives dans les yeux

les charges blastent l’espace

plein gaz

le pied pesant sur le nucléaire

le goût du présent

l’avenir travaille en secret

fumant les chandelles à la vitesse de la lumière

brûlant le carburant du désir

par les deux bouts

 

 

Tout commence tranquillement

des petits morceaux de bruits

des gouttes de pluie

tombant une à une sur nos terres molles

chuchotant nos airs

nos odes à l’amour

nos hymnes à la guerre

 

 

Sur les bandes rugueuses d’une autoroute

que mon grand-père a aidé à construire

je compte les années de mauvais temps

les mains pleines de vers de soleil à offrir

 

 

Quand les colombes pleurent

un royaume couleur framboise demande pourquoi

 

 

je farfouille une fois pour toutes les ondes

à la recherche d’une dernière rumeur

existe-t-il un poste pour l’amour

 

ATOMIQUE JUSQU’AU COU

Sur une toile de peaux humaines

ces doigts dessinent sans pinceau

des déluges

des délires antérieurs

des raisons inondées par des saisons imparfaites

des paysages sur fond de ses yeux

entre deux couleurs

où la réalité nous a lâchement lâchés

dans le vide

 

Sous les pierres plates du ciel

flambant rose devant elle

ma fragile humanité crève ses yeux

sous cette fleur d’ombre se cachent

les recoins les plus sombres de ses plates-bandes

 

Elle laisse sa silhouette faire le reste

je m’abandonne

et laisse des peaux mortes sur son corps

 

LAST CALL

Les idéaux pinés sur le babillard

à côté d’un proverbe emprunté par la serveuse du soir

le bar ferme jusqu’à nouvel ordre

(demain huit heures AM)

un vieux menteur

une tabagie au fond de la gorge

achève la soirée

de ses refrains lame de rasoir

sur un piano aux doigts jaunes

 

Marco Geoffroy
Extraits de Ne tirez pas sur le pianiste (2019)
Écrits des Forges, Trois-Rivières, Québec (Canada)