poètes du monde
Persuadé de mourir à côté de la vie
je n’aurai ni tout dit ni tout pensé ni tout vu
j’aurai fait l’impossible avec les moyens du bord,
les misérables finissent vingt sous en poche
par regarder le ciel un arbre un brin d’herbe
un sourire, il y a pas mal de temps que j’en suis là
très heureux d’avoir saisi cela,
je suis au point vivant qui ressemble au point mort
comme une goutte ressemble à une autre
sur les fils télégrahiques, elles se rejoignent cependant
forment une larme, un gros chagrin liquide
qui tombe par terre dans l’indifférence générale.
L’ébranlement. Le mouvement.
Voyager entre rien et rien. l’être est là.
Espace. Câbles. Gréements. Grincements.
Menace. Craquements.
La mer c’est de l’eau
Le bois, du bateau
Le poisson le fil
Qu’on perd en péril
L’eau c’est de la mer
Le bateau du bois
Le fil un poisson
D’avril dans ma tête
La vie est mortelle
On ne meurt jamais
Que d’avoir vécu
La mort est réelle
La vie une idée
Soyons-lui fidèle
j’écris en chien de fusil
j’écris dans les trous
Georges Perros
Extraits de Papîers collés
Savoir qui prend ces notes.
Ne le connaître qu’après-coup sur la page au hasard d’un mot.
*
Redire jusqu’à manquer de souffle.
Seule leçon des années de travail.
*
Qu’il ne s’agisse plus d’amuser ou d’être touchant
mais témoigner des seuls moments où l’on perd la tête.
*
Des voix partout.
Pas assez d’oreilles, pas assez d’amour.
*
Que faire contre la fatigue ?
S’exténuer.
*
Être énigmatique c’est respecter l’indicible
*
Tu me laisses finir comme ça ?
Robert Pinget
extraits de Taches d’encre – Les éditions de minuit.
Ils se tombèrent dans les bras avec une faiblesse sans nom.
Ils prirent l’un à l’autre une joie sans nom.
Ils étaient couchés l’un avec l’autre pris d’une fatigue sans nom.
Ils s’éveillèrent en un étonnement sans nom.
Ils regardèrent par toutes les fenêtres avec une impatience sans nom.
Ils s’aimèrent l’un l’autre sans nom.
Ils devinrent l’un avec l’autre d’une liberté sans nom.
Ils devinrent l’un avec l’autre d’une audace sans nom.
Ils devinrent l’un avec l’autre d’une gratitude sans nom.
Ils se récompensèrent l’un l’autre sans nom.
Ils suèrent,
crièrent,
pleurèrent,
saignèrent,
se turent et
se racontèrent des histoires sans nom.
Ils se séparèrent avec un chagrin sans nom.
Ils partirent chacun dans sa direction
avec une colère sans nom
contre Sansnom.
Peter Handke
Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille
Ed. Gallimard
IMPRESSIONS
I
LES SILHOUETTES
La mer est tachetée de barres grises,
Le vent morne et mort est sans voix
Et, telle une feuille flétrie, la lune
Est emportée sur la baie qui s’agite.
Clairement dessinée sur le sable blafard
Git une barque noire, et un jeune marin
Grimpe à son bord. Sa joie est sans souçi,
Son visage est rieur, ses mains brillent.
Dans le ciel crient les courlis,
Et, dans l’herbe assombrie des collines,
Passent de jeunes moissonneurs au brun poitrail
Telles des silhouhettes détachées sur le ciel.
II
LA FUITE DE LA LUNE
De tous côtés tout n’est que paix,
Une paix rêveuse alentour,
Profond silence sur la terre assombrie,
Profond silence où cesse l’ombre.
Seul le cri désolé que l’écho rend perçant
De quelque oiseau solitaire,
Un râle des genêts appelant sa compagne.
Seule y répod la colline brumeuse.
Et, soudain, la lune a repris
Au ciel lumineux sa faucille,
Elle s’enfuit en sa caverne sombre,
Enveloppée dans une gaze jaune.
III
LE JARDIN
Le calice fané du lis tombe
Sur l’ombre du pistil doré
Et, dans les bouleaux de la lande,
Roucoule un ultime ramier.
Le tournesol à crinière de lion,
Noir et flétri, penche sur sa tige
Et, dans les allées du jardin venteux,
Volettent les feuilles mortes.
Les blancs pétales des blancs troènes
Forment des boules de neige,
Et les roses tombent dans l’herbe
Tels haillons de soie cramoisie.
IV
LA MER
Un brouillard blanc s’étire comme un voile.
La lune, en ce ciel d’hiver indomptée,
Brille, tel l’œil d’un lion farouche
Dans sa crinière de nuages fauves.
Le timonier, en épais suroît, à la barre
N’est plus qu’une ombre dans la nuit.
Dans la chambre aux machines vibrent
Et luisent de longues lamelles d’acier.
L’ouragan brisé a laissé sa trace
Sur l’immense dome mouvant
Où de minces fils de jaune écume
Comme dentelle déchirée flottent sur les vagues.
Oscar Wilde
La ballade de la geôle de Reading et autres poèmes
Trad. Paul Bensimon et Bernard Delvaille
Ed. Gallimard